Le 21 septembre denier, le tribunal de commerce de Paris a rendu un jugement très instructif à l'encontre de la société Heretic, éditrice du site Signal-arnaques.com.
Une société prestataire de service en ligne s'est vue critiquée par un signalement de prétendue arnaque sur le site en question. Elle a donc notifié à Signal-arnaques ce qu'elle considérait comme des avis dénigrants – dont le mot "arnaque", largement répété dans ces avis – par plusieurs courriers recommandés restés sans effet. Elle s'est alors tournée vers la justice et a assigné Heretic devant le tribunal de commerce en tant qu'hébergeur des contenus litigieux.
Balayant certaines arguties sur la procédure légale de signalement auprès de l'hébergeur, le tribunal a considéré que, destinataires de plusieurs lettres recommandées, l'hébergeur avait suffisamment acquis la connaissance du fait qu'il hébergeait des avis litigieux, et n'avait pas consécutivement "agi promptement" pour en bloquer l'accès, comme l'exige l'article 6-I, 2°) de la LCEN à propos de la responsabilité des hébergeurs.
Plusieurs points sont intéressants dans la décision du tribunal.
Le tribunal reproche à Heretic, éditeur de Signal-arnaques, de n'avoir pas respecté la réglementation sur les avis de consommateurs, notamment l'obligation d'informer les visiteurs de son site de manière "claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne" (article L.111-7-2 code de la consommation).
Heretic ayant contesté sa qualité de gestionnaire d'avis de consommateurs en ligne, ne pratiquant, selon elle, que le recueil de signalements de pratiques frauduleuses, les juges constatent que :
"les internautes qui se manifestent sur le site arnaques.com pour se plaindre des pratiques notamment tarifaires du demandeur, déposent bien des avis en ligne au sens d’une part de la norme AFNOR NF Z74 501 ; d’autre part, de l’article [D.111-16] du code de la consommation".
Il est remarquable que les juges s'appuient sur la norme AFNOR NF Z74 501 – devenue la norme internationale NF ISO 20488 en 2018. Cela donne à celle-ci une mise en lumière jurisprudentielle, sans pour autant lui donner force de loi, comme toute norme professionnelle.
Les juges rappellent tout d'abord la définition du dénigrement :
"le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur une personne en répondant à son propos, ou au sujet de ses produits ou de ses méthodes commerciales, des critiques ou des informations malveillantes, peu importante que ces informations soient exactes ; le caractère malveillant de ces informations doit être apprécié in concreto ; il est rappelé de plus que, la liberté d’expression étant la règle, le dénigrement fautif doit être apprécié de façon restrictive et ce d’autant plus que les propos litigieux émanent ici de consommateurs"
Le tribunal reprend ensuite en détail tous les termes publiés dans les avis qui relèvent selon lui du dénigrement et conclut :
"l’ensemble des propos ci-dessus rapportés vise clairement les services [du plaignant], ils sont clairement divulgués au public, et ils sont incontestablement dénigrants".
Le tribunal relève enfin que le mot "arnaque", constitutif de dénigrement, est fréquemment utilisé par les auteurs d'avis, la présence de ce terme dans le nom du site constituant une invitation à l'utiliser par les auteurs d'avis "en chœur".
Et d'en conclure :
"il n’est donc pas étonnant qu’Heretic s’expose ainsi à ce grief de dénigrement, ici parfaitement caractérisé puisque les propos querellés dépassent manifestement les limites de la liberté d’expression".
Heretic, en tant qu'éditeur du site Signal-arnaques.com est condamné à :
Le tribunal ordonne en outre :
"la publication sur la page d’accueil du site www.signal-arnaques.com, en partie haute, d’un communiqué judiciaire, en police 12, libellé en caractères majuscules, indiquant les mesures qui ont été prononcées par ce jugement, et ce, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement pour une durée d’un mois"
Ce type de disposition, fréquente en matière de droit de la presse, est nouveau sur le terrain des avis de consommateur, mais le bienvenu. Il est même permis de considérer qu'en termes d'e-réputation, c'est un peu l'arroseur arrosé…
Nettoyeurs d'e-réputation, et plus spécialement d'avis de consommateurs, nous voyons trop souvent des clients désemparés par des avis nuisibles infondés et plus encore par l'inertie, pour ne pas dire par la complicité des plateformes d'avis.
À considérer de nombreux indices récents, il semble que la justice commence à prendre la mesure du caractère particulièrement toxique de nombreux sites d'avis de consommateurs – Signal-arnaques.com n'étant qu'un de ces sites – et frappe suffisamment fort pour faire réfléchir et inviter les responsables à plus de sérieux dans la gestion des avis.
On ne peut que souhaiter que la norme NF ISO 20488 sur la gestion des avis de consommateurs inspire le législateur pour que ses dispositions particulièrement équilibrées entre protection des entreprises et liberté d'expression des consommateurs acquièrent enfin force de loi en France, ou mieux, au sein de l'Union européenne.
Consulter le jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 septembre 2022 sur Legalis.net.
Voir notre actualité du 30 juin 2020 faisant le point sur Les avis de consommateurs en ligne face à la législation.
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Didier FROCHOT
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