Le sélectionneur de l'équipe de France, en lice pour conquérir une troisième Coupe du monde ce dimanche face à l'Argentine, a érigé le collectif en vertu cardinale de sa réussite. Une stratégie de « gestion des talents », saupoudrée de pragmatisme et de leadership, dont devraient s'inspirer pléthore d'organisations.
Par Samir Hamladji
« Didier Deschamps privilégie son équipe et le collectif à sa personne. Ce qui est également typique d'une fonction RH bien gérée ». Un constat signé Jean-Claude Le Grand, grand amateur de ballon rond, mais également directeur des relations humaines (RH) – « et non pas des ressources », précise-t-il tout de go – du numéro 1 mondial des cosmétiques l'Oréal.
Et d'ériger d'autres passerelles entre le métier de « DRH » ( directeur des ressources humaines ) et celui de sélectionneur avec, toujours en toile de fond, cette notion de groupe. « Nous partageons notamment l'idée que privilégier un individu au détriment du collectif est voué à l'échec. Aimé Jacquet – mentor de Didier Deschamps -, en son temps, a procédé ainsi avec Eric Cantona, joueur le plus doué de sa génération qui ne sera néanmoins pas de l'aventure 1998, année du premier sacre des Bleus », explicite le dirigeant.
« L'équipe de France 1998 était loin d'être composée des 22 meilleurs joueurs français du moment mais il s'agissait d'un groupe parfaitement taillé pour cette mission », appuie Florent Gautreau, ex-directeur de la rédaction d'Equidia et France Mayenne, journaliste au sein de l'émission phare de RMC, l'After Foot, dont la ligne éditoriale s'éloigne volontiers du rectangle vert stricto sensu, explorant d'autres contrées connexes comme l'économie du football , la géopolitique du sport ou encore le management .
Faisant fi des critiques sur son jeu parfois considéré, par certains observateurs, comme « minimaliste », Didier Deschamps, loin d'être inflexible, brille davantage par sa capacité à s'adapter à la situation du « moment ». Capitaine des Bleus lors de la première épopée victorieuse de 1998, il a depuis embrassé cette philosophie d'Aimé Jacquet de constituer un groupe cohérent, plutôt qu'une simple addition de talents.
Une intelligence situationnelle, « soft skill » par excellence prisée dans l'univers du management qu'il a encore mis en pratique, cette année, au Qatar . Privé de Paul Pogba, Ngolo Kanté, Christopher Nkunku puis, dans la dernière ligne droite du ballon d'or Karim Benzema, il a néanmoins réussi le prodige de convertir ces « problèmes en solutions ».
En faisant appel à de jeunes joueurs ayant bien moins prouvé que leurs aînés susmentionnés – citons pêle-mêle Tchouameni, Fofana ou encore Kolo-Muani – mais qui tiennent leur rang pendant ce Mondial, Didier Deschamps montre également qu'il n'est pas « déconnecté » et qu'il sait adapter son discours à cette nouvelle génération. « Ce qui peut paraître, de prime abord, comme un coup dur, Didier Deschamps parvient à en faire une force. En retirant, par exemple, Karim Benzema de l'équation, il préserve, quoi qu'on en dise du point de vue sportif, l'équilibre de son vestiaire, laissant le champ libre à Olivier Giroud », développe Florent Gautreau.
Les deux attaquants n'étant pas réputés comme étant les « meilleurs amis du monde » – doux euphémisme -, l'unité du vestiaire demeure préservée. Car l'une des autres forces de Didier Deschamps, liée à son leadership , est « d'embarquer tout le monde » dans son projet, y compris les nouveaux venus. Un processus de « onboarding » similaire à ce qui se pratique dans les travées de l'entreprise dite traditionnelle.
Un modus operandi auquel souscrit volontiers le responsable des relations humaines chez l'Oréal. « Tout le monde ne sera pas numéro 1 mais nous avons besoin de tout le monde et nous devons faire en sorte que toute personne reste concernée ». Car si certains choix du sélectionneur ont pu déconcerter, l'épreuve des faits semble, une fois de plus, lui donner raison grâce un pragmatisme à toute épreuve.
Antoine Griezmann, transparent en club ? Didier Deschamps le repositionne dans le coeur du jeu, lui permettant de briller de mille feux. Adrien Rabiot, critiqué pour son faible rendement avec la Juventus ? Le sélectionneur lui maintient sa confiance – autre notion primordiale en management – au point de voir ceux qui le vouaient aux gémonies… finalement s'inquiéter de son absence face au Maroc en demi-finale. « Un entraîneur doit pouvoir coordonner les efforts de ses joueurs et encourager les membres de l'équipe à dépendre les uns des autres pour en assurer la réussite », souligne, de son côté, Ryne Sherman, docteur et directeur scientifique chez Hogan Assessments, leader mondial des évaluations de personnalité en milieu professionnel et de développement du leadership.
Si, à l'instar d'Aimé Jacquet, Didier Deschamps n'est pas, sans lui faire injure, le plus grands des tacticiens, il a su ciseler et peaufiner d'autres compétences. « Ce type d'entraineur ne voit pas souvent d'un bon oeil qu'on minimise les qualités technico-tactiques au profit de qualités humaines et managériales. Peut-être parce que le manager, en France, n'est pas aussi valorisé qu'aux Etats-Unis, par exemple », tente d'expliquer Florent Gautreau.
Quoiqu'il arrive face à l'Argentine ce dimanche, Didier Deschamps restera le seul, dans le football français, à avoir conquis la Coupe du monde sur et en « dehors » du terrain. De quoi largement le hisser au panthéon du sport tricolore.
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« En tant que DRH, j'utilise souvent l'image de « constructeur de cathédrale » dans le sens où nous oeuvrons et nous travaillons pour des choses qui peuvent être plus grandes que nous. Il y a aura une équipe de France après Didier Deschamps comme il y aura un L'Oréal après nous », narre Jean-Claude Le Grand.
Avant cela, la « cathédrale Deschamps » aimerait s'emparer de sa troisième étoile. Et briller un peu plus au firmament.
Samir Hamladji
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