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Des pensionnaires de la Maison relais de Bourges jouent une pièce de théâtre où la force du collectif redonne de l'allant à ces vies cabossées – Le Berry Républicain

Publié le 22/10/2022 à 06h02
Rémy Beurion
Nono porte à son poignet gauche la trace de son passé de galère. Sept bracelets y sont accrochés, pour autant d’années passées dans la rue. Il les garde non pas comme des preuves ou des trophées, ou comme un remède contre une éventuelle amnésie. Non, il les conserve comme des cicatrices qui font partie de sa vie.
Sur sa tête de 58 ans, sa casquette laisse dépasser ses cheveux longs mais cache le dessus de son crâne lisse. Depuis deux ans, il habite un appartement de vingt-cinq mètres carrés, à la pension de famille du Relais, ouverte à Bourges en mai dernier. Elle est provisoirement nommée “Baudens”, comme le quartier dans lequel elle s’est construite, avenue de Gionne. Ou plutôt « Bodin’s », comme la Maria du même tonneau, c’est aussi de cette façon que les pensionnaires nomment leur petit nid.
Nono, c’est une gueule qui agrippe votre attention sans vous lâcher d’une semelle. Son aura est attachante autour de ce corps abîmé mais dont l’âme reste intacte et vibre d’une oscillation durable depuis qu’il joue au théâtre. Ce fut comme une main inattendue, un pont jeté au-dessus de ses propres convictions. Nono, dans son costume de flic, le lieutenant Despé (rados comme la bière), a foulé le sol du festival “C’est pas du luxe”, à Avignon. Et ça scintille encore dans sa tête.
« Les boules », il les a eues au creux du ventre, un bon sang de trac bien acide avant de monter sur la scène devant des inconnus, afin de libérer son texte de toutes ses peurs. Pris dans l’adrénaline, il a même imprivo… imvropi… Il peine à sortir le mot « improviser ». Alors, Ermine, 50 ans, jadis « madame tout le monde », ex-assistante dentaire tombée dans la maladie, l’errance, la fuite, prononce le mot pour lui.Des pensionnaires de la Maison relais de Bourges jouent une pièce de théâtre où la force du collectif redonne de l'allant à ces vies cabossées - Le Berry RépublicainNono
C’est la force d’être ensemble. On se croirait dans les pages serrées d’un roman d’Anna Gavalda, Ensemble c’est tout, où les uns sont les autres et inversement. Alors, Nono se met à chanter Les Copains d’abord comme un générique à leur histoire commune qui annonce le début d’une grande émission sur l’expérience théâtrale de la Maison relais (autre nom de la pension de famille) Baudens, intitulée Au village, le mental s’emballe. Cette chanson de Brassens sert de fil rouge à la pièce que la petite troupe improvisée (lui, Ermine, Léo, Christophe, Jean-Michel, Bastien, Amaury, Franck) et les professionnels du Relais ont écrite et mise en scène, avec l’aide technique de Caroline Bouquin, d’ImproScène, à Bourges.
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C’est l’histoire d’un village, ils l’ont appelé Saint-Valentin, comme celui qui existe dans le département de l’Indre. Des personnages très différents, comme eux, au destin hirsute, comme le leur, s’y croisent : artiste, grand-père, maire, policier, jeune à casquette… Ils fondent le socle d’un collectif échevelé, mais salvateur qui déroule ses répercussions sur l’individualité. Et surtout, sur la solitude, en creuset, dans leurs existences cabossées. La Maison relais, alors transformée en salle de théâtre, a servi justement de carrefour de toutes leurs solitudes qu’ils chantent à pleins poumons.
Léo, 22 ans, a cogné son enfance et son adolescence, contre la brutalité des autres, « des fréquentations qui ont détruit [s]a vie ». Pourtant, sa vie ne fait que commencer et le voilà, lui aussi, à jouer l’acteur, à chanter, à vivre, à déclamer, l’instant d’une fiction, une existence par procuration dans laquelle il met ses envies profondes. Il se dit « influençable » mais lutte, désormais, contre tous ceux qui viendraient porter atteinte à son existence.
Des pensionnaires de la Maison relais de Bourges jouent une pièce de théâtre où la force du collectif redonne de l'allant à ces vies cabossées - Le Berry RépublicainLéo
 
Il entonne, dans le déroulé de la pièce, un titre de Black M, Sur la route, en appuyant fort sur les syllabes pour bien former chaque mot. Il est habité, comme on peut l’être quand les paroles, finalement, sont beaucoup plus que des paroles.
Nono avait un copain, Joël, « Jo » pour les intimes. Il devait jouer la pièce avec eux, il avait même commencé les répétitions en mars. Il est mort en avril. D’une brutalité telle que le cœur de Nono est humide sous ses paupières.
On arrive ici, on est quelqu’un. On vit ici, on est quelqu’un de différent. On repart, on est quelqu’un d’autre.
Ermine dont « la vie a explosé », résume-t-elle simplement, avait, auprès de Jo, appris « des leçons de vie ». C’est ainsi, « la camaraderie » des Maisons relais. Elle a passé onze ans dans un tel lieu, en Bretagne, pour se reconstruire, pierre par pierre, avant de décider à revenir dans le Cher, près du reste de sa famille. Une longue parenthèse essentielle à la reprise en main de tous ses lendemains.
« On arrive ici, on est quelqu’un. On vit ici, on est quelqu’un de différent. On repart, on est quelqu’un d’autre. » Ermine donne notamment la réplique à Pauline, la cheffe de service de la pension de famille, avec une facilité si fluide que ça ne sent pas le texte appris, ni le texte débité, mais la vie vécue, avec ses embarras, ses peines et ses joies. Elle est solaire quand elle chante, pas forcément juste mais peu importe. C’est elle qui ouvre la pièce et s’adresse au public. Assise sur son banc, à parler avec un artiste, autre acteur de la pièce, on se croirait au bord du canal de Berry, que le hasard des rencontres peuple de dialogues aussi vifs.
Des pensionnaires de la Maison relais de Bourges jouent une pièce de théâtre où la force du collectif redonne de l'allant à ces vies cabossées - Le Berry RépublicainErmine
 
C’est Pauline, avec ses collègues de la maison Baudens, qui a embarqué la troupe de pensionnaires à Avignon. Une expérience dont on ne sort pas tout à fait pareil qu’en arrivant. Les mêmes ont eu l’idée de jouer cette même pièce, dans le cadre des semaines d’information dédiées à la santé mentale. À la différence près, cette fois-ci, que les pensionnaires-acteurs ont joué à domicile, deux fois (ce mardi et ce jeudi). La salle commune où la petite société se retrouve s’est grimée en salle de spectacle d’une jauge de trente-cinq spectateurs.
Pour les répétitions, d’autres pensionnaires sont venus d’autres maisons (notamment du Clos des Pommiers). Ils passent une tête, tapent la discute, parlent trop fort pour permettre la concentration des répétiteurs. Alors, ils sortent parler dehors. D’autres s’assoient sur le canapé et regardent. Les répétitions se sont enchaînées, au gré des disponibilités de chacun. À chaque fois, c’était du sérieux.
Christophe, 55 ans, joue le maire. Il s’est glissé dans ses habits tricolores pour une scène avec Léo. Dans son rôle de jeune à casquette et capuche, il veut partir du village, car il s’ennuie, veut aller ailleurs, regarder le monde autrement. Mais le maire tente de l’en dissuader, s’interroge sur ce qui le motive à partir.
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Ermine, dans la pièce, arrive dans le village, seule, « des bleus au corps », chante-t-elle. Elle ne connaît personne et veut sympathiser avec tout le monde parce que, finalement, n’est-ce pas cela l’idéal d’un village?? Parler à tous, sans exception, lier des amitiés, des relations. Faire société. En fait, elle est ainsi dans la vie, Ermine, elle se lie. Elle a tassé, dans un coin d’elle-même, tout ce que son existence a charrié de rien de bon. « J’ai eu de mauvaises fréquentations, j’ai suivi quelqu’un et tout s’est mal fini. » Chaque histoire porte en elle la force nécessaire aux jours nouveaux qui leur est réservée.
Pour moi, le théâtre, c’est me permettre de me marrer et de faire rêver les gens.
Mais elle est là, Ermine, debout. Et quand le chemin de son récit vient à passer devant l’importance qu’elle porte aux autres, Nono chante à nouveau les Copains d’abord. Comme un déclic. Comme si les liens invisibles qui les raccordent mettaient une pièce dans le juke-box collectif.
Depuis des mois, le théâtre que Nono n’avait jamais effleuré auparavant lui a permis de se faire « des copains et des copines ». Il faut le voir, Nono, sur sa chaise, à regarder une répétition, à chanter avec Ermine, à taper dans ses mains comme si sa vie en dépendait. Il a enfilé son pantalon de policier, a remplacé sa casquette par un couvre-chef où l’on peut lire « Police ». Il tend un tableau, apparemment le point de départ de la pièce. On y voit un pont, il y voit un symbole. Il est grand dans son rôle.
Des pensionnaires de la Maison relais de Bourges jouent une pièce de théâtre où la force du collectif redonne de l'allant à ces vies cabossées - Le Berry RépublicainChristophe
 
De son côté, Léo est intarissable. Il parle comme il respire. Il aime la lumière pour chasser ses ombres, le regard des autres et on le sent, les applaudissements, comme à Avignon, ça le fait encore vibrer sur son socle. Le théâtre, il en avait croqué dans sa prime jeunesse, dans une MJC de l’Indre. « Pour moi, le théâtre, c’est me permettre de me marrer et de faire rêver les gens. » Pour Ermine, « c’est faire passer un message, « tous bien ensemble dans une activité. » Christophe a un rêve : faire chanter des enfants. Un rêve. Pour laver les scories d’une vie pas facile. Rideau?!

Rémy Beurion
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