Respectivement de l’Université de Montréal ; l’Université du Québec à Chicoutimi ; l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail ; l’Université d’Ottawa
Dans un article publié récemment dans Le Devoir, Gérard Bouchard écrit que Montréal témoigne d’un « multiculturalisme émergent dont la métropole montréalaise devient l’épicentre ». Ce portrait est problématique sur plusieurs plans. Non seulement il donne l’impression que les villes ne font rien pour favoriser les relations interculturelles, mais en plus il réactive les vieux préjugés sur Montréal comme étant un lieu hostile et désorganisé qui ne reflète pas le reste du Québec.
Nous sommes d’accord avec l’idée qu’il faut reparler de l’interculturalisme, surtout dans cette période de polarisation, mais de quel interculturalisme parle-t-on ? L’interculturalisme qui vise à « raccorder la conscience collective montréalaise à celle du Québec » ? L’interculturalisme qui tente de « raffermir notre identité et notre culture nationale » ? C’est difficile d’imaginer que cette vision de l’interculturalisme peut rallier les communautés immigrantes et les minorités. C’est aussi difficile de comprendre en quoi cette vision de l’interculturalisme serait interculturelle.
Dans plusieurs de ses écrits, M. Bouchard défend l’idée qu’il y a un consensus au sujet de l’interculturalisme au Québec. Premièrement, plusieurs communautés au Québec défendent le multiculturalisme en disant que « dans le reste du Canada, ils nous acceptent pour qui nous sommes ». Deuxièmement, il y a la perception, et pas seulement dans les communautés immigrantes, que derrière l’interculturalisme se cache une forme d’assimilationnisme.
Effectivement, l’interculturalisme n’a jamais fait l’objet d’un énoncé de politique gouvernementale, et nous avons besoin d’orientations plus claires à ce sujet. Il s’agit d’une problématique structurante, et depuis des années, divers acteurs du milieu revendiquent une politique officielle, notamment le Conseil interculturel de Montréal. Mais il ne faut pas confondre les politiques interculturelles avec les pratiques interculturelles. Il y a plus de 50 ans d’action interculturelle dans les milieux institutionnels et communautaires au Québec, en commençant par l’Institut interculturel de Montréal, qui a littéralement mis l’interculturel sur la carte. Ces acteurs, qui sont souvent eux-mêmes issus de l’immigration, sont complètement ignorés dans les discussions sur l’interculturalisme ; l’article de M. Bouchard en est un parfait exemple.
Les municipalités ont été des acteurs importants dans ce domaine. Depuis son entrée dans le programme de Cités interculturelles du Conseil de l’Europe, Montréal se classe régulièrement parmi les meilleures villes au monde en matière d’intégration interculturelle. La ville s’est démarquée notamment pour les programmes novateurs du Bureau d’intégration des nouveaux arrivants de Montréal (voir le plan d’action Montréal inclusive) et plus récemment, par la création du Bureau à la lutte au racisme et aux discriminations systémiques. Cette année, la Ville de Sherbrooke s’est jointe au réseau pour devenir la quatrième ville interculturelle dans toutes les Amériques. De plus, la Ville de Montréal a été parmi les membres fondateurs du Réseau des municipalités en immigration et en relations interculturelles (REMIRI), un regroupement de professionnels qui travaillent sur l’inclusion avec une approche interculturelle. Dire que les municipalités au Québec « laissent aller les choses » est une fausse représentation et ne rend pas justice aux professionnels qui s’engagent, tous les jours, pour rendre le Québec plus inclusif.
Avec ce portrait de l’interculturalisme au Québec, M. Bouchard creuse davantage la même fracture qu’il essaie de critiquer. En opposant Montréal aux régions et en réactivant la peur par rapport à une métropole qui « risque de se transformer en un électron libre », c’est facile de comprendre pourquoi l’interculturalisme est souvent confondu avec les idéologies assimilationnistes. Proposer que le gouvernement adopte une politique interculturelle pour pouvoir aller plus loin avec le projet de loi 96, c’est aller à l’encontre de l’esprit de l’interculturel.
Si l’interculturalisme veut se donner la vocation de rassembler tous les Québécoises et Québécois dans une même communauté politique, il a besoin de prendre une forme qui reconnaît la présence du groupe majoritaire sans pour autant reproduire la dichotomie entre « nous » et « eux ». Il a d’abord besoin de donner envie d’être québécois.
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