Les “Guerrilla Grafters” (“Guérilla Greffeurs”) greffent secrètement des branches fruitières sur les arbres stériles des villes ; des fruits seront ainsi mis à la disposition des habitants. © Nicolas Zurcher/Guerrilla Grafters
Comment agir face à la crise climatique quand les pouvoirs publics semblent se contenter de mesures superficielles ? Certains militants ont fait le choix de l’illégalité. Panorama de ces « dissidences » écologiques, plus ou moins violentes.
Écologie et violence : les deux termes, dans l’esprit d’une grande partie des penseurs et des militants des luttes environnementales, ne s’accordent pas. Pire, pour certains : s’autoriser l’usage de la violence reconduirait des logiques de guerre, de domination et de prédation qui structurent la représentation du monde à l’origine de la crise climatique.
Cette conviction, sous une forme ou une autre, parcourt la plupart des courants de l’écologie. On la retrouve par exemple chez Arne Næss (1912-2009), fondateur de l’« écologie profonde » : « L’expérience accumulée ces dernières années indique que le point de vue écologique avance grâce à une communication politique non violente qui mobilise à la racine […]. La violence à court terme contredit la réduction universelle à long terme de la violence. […] Plus votre opposant comprend votre conduite, moins vous aurez de risque qu’il fasse usage de la violence. »
Symbolisée ces derniers jours par les actions spectaculaires de militants dans des musées, cette position est tout particulièrement vivace dans les mouvements écoféministes, qui ont tendance à associer violence et domination patriarcale sur les femmes comme sur la nature. La militante indienne Vandana Shiva, par exemple, appelle à une « désobéissance créatrice » qui enraye les logiques de prédation plutôt qu’à des opérations destructrices.
C’est une approche radicalement inverse, et évidemment plus polémique. Définie (par le FBI américain) comme « l’usage ou la menace d’utiliser la violence de manière criminelle, contre des victimes innocentes ou des biens, par un groupe d’orientation écologique, pour des raisons politiques liées à l’environnement », la notion d’« écoterrorisme » est rejetée par la plupart des activistes. Elle est en général utilisée par le pouvoir comme une rhétorique visant à discréditer des pratiques et des actions peut-être illégales, mais légitimes, y compris lorsque ces actions ne présentent aucun danger réel.
Il est pourtant certains écologistes qui ont revendiqué et l’étiquette et la violence qu’elle implique. C’est en particulier le cas du mathématicien éco-anarchiste américain Theodore Kaczynski, surnommé « Unabomber », qui fut responsables de seize attentats. Bilan total : vingt-trois blessés et trois morts – le propriétaire d’un magasin d’informatique, un publicitaire, et le président de l’Association de sylviculture de Californie. La légitimation de cette violence – qui vise en l’occurrence essentiellement des symboles du « système techno-industriel » que Kaczynski rend responsable de la situation de la planète – prend deux formes.
Si le cas d’Unabomber a frappé les esprits, il ne reflète pas le positionnement de la majorité des activistes écologistes, qui refusent pour l’essentiel les violences contre les personnes – la violence contre les choses, moins. L’action de ces « éco-guerriers » (ecowarriors) peut prendre, elle aussi, différentes formes.
S’il n’endosse pas l’appellation d’« éco-terroriste », Paul Watson, co-fondateur de l’ONG Sea Shepherd, n’en promeut pas moins des stratégies de destruction : « J’ai élaboré une stratégie de “non-violence agressive”. Nous respectons les limites de ce qui est acceptable par la loi. Nous paralysons ou quelquefois détruisons des biens (navires, armes…) qui sont utilisés pendant des activités reconnues comme illégales, mais nous le faisons sans causer de décès, sans dommage physique. » Dans son texte Mise au poing ou souvenirs de la vieille enragée, la théoricienne écoféministe Françoise d’Eaubonne défendait la même idée : « Le prochain acte réellement révolutionnaire sera l’attentat contre une centrale nucléaire en construction. » D’Eaubonne a d’ailleurs elle-même participé au dynamitage de la pompe hydraulique de la centrale (alors en construction) de Fessenheim, en 1975.
Ce qui ressort de ces stratégies de subversion et de régénération de milieux endommagés, c’est la tendance croissante de militants écologistes à collaborer avec des espèces tierces. Il ne s’agit plus simplement de protéger le vivant, mais de coopérer avec lui pour recréer les conditions d’une habilité durable. Sur Twitter, au détour d’une conversation, les idées fusent. « Après les sangliers pour détruire les golfs, quel animal allié pour détruire les jets privés ? », s’interroge l’utilisatrice @hellogrise. Introduire des lapins dans les aéroports, qui ont tendance à ronger les fils électriques ? Ou bien des rats ? Infester les jets privés de punaises de lit ? Certains se montrent plus imaginatifs : « Pas un animal, mais des champignons, qui se nourrissent de kérosène dans les réservoirs et le rendent inutilisable. Leurs petits noms : Hormoconis resinae (aka la “moisissure du kérosène”) », répond le compte @N_n_s_p_s.
Si de telles idées restent majoritairement à l’état de projet, d’autres ont déjà été concrétisées, en particulier à l’étranger. On peut citer le cas du mouvement de guerrilla grafting (guérilla de la greffe) initié à San Francisco en 2015 – « Des militants greffent illégalement [les fruits, jugés salissants pour les rues, sont exclus des programmes de végétalisation officiels] des tiges d’arbres fruitiers sur des arbres ornementaux des quartiers populaires pour que l’espace urbain redevienne un commun comestible et non marchand », résume la sociologue Flaminia Paddeu dans Sous les pavés, la terre. Agricultures urbaines et résistances dans les métropoles (Éditions du Seuil, 2021). Ce mode d’action invite à la participation démocratique spontanée et encourage le fourmillement « sauvage » des initiatives.
Le guerilla grafting est « une véritable alliance végétal-humain, car il y a restitution aux arbres (stérilisés) et aux habitants des villes (en position de consommateurs) d’une capacité à se reproduire par eux-mêmes. Une fois greffé, le pommier ou le cerisier sélectionné pour être stérile va retrouver en quelques années la capacité de répandre des graines […] à l’aide des pigeons, des merles ou des fouines », résument Lena Balaud et Antoine Chopot dans Nous ne sommes pas seuls (Éditions du Seuil, 2021). Les non-humains deviennent de véritables « acteurs » à part entière des luttes politiques. Ce genre d’alliances existe également dans les stratégies d’occupation : à Notre-Dame-des-Landes, certains zadistes « ont cherché à faire revenir une plante protégée par la loi, la gentiane des marais, qui pouvait constituer un obstacle légal de plus au projet d’aéroport. »
Toutefois, ces alliances inter-espèces sont de plus en plus utilisées à des fins offensives : de destruction, de sabotage, etc. Dans leur ouvrage, Balaud et Chopot relatent en particulier « l’histoire des activistes paraguayens et argentins, ayant trouvé à s’allier à une plante : l’amarante, devenue résistante au glyphosate et un véritable fléau pour l’agriculture intensive […] L’invention politique des paysans et activistes aura été celle d’oser amplifier la puissance d’agir d’un végétal, en confectionnant des “bombes à graines” (composées d’argile et de graines d’amarante résistante) lancées dans les champs de soja OGM, pour en entraver la culture. » Ou quand le vivant souffle des idées aux militants.
Le 21 avril, une lettre rédigée par un ancien officier de l’Armée de Terre, Jean-Pierre Fabre-Bernadac, et signée par de nombreux officiers à le retraite (26 254 d’après le site de l’auteur) est relayée par le magazine Valeurs Actuelles. Elle dénonce en des termes emphatiques le « chaos croissant » du pays et voit poindre une « guerre raciale » et même la « guerre civile » si rien n’est fait pour l’empêcher. Le 11 mai, cette notion de guerre civile est mobilisée à nouveau, cette fois-ci par des officiers d’active, dans une nouvelle tribune également relayée par Valeurs Actuelles. Nous avons demandé au philosophe et essayiste Guillaume Barrera, auteur de La Guerre civile. Histoire, philosophie, politique (Gallimard, 2021) de nous décrypter la signification profonde de cette notion – et de quelle manière celle-ci est aujourd’hui employée par les militaires.
Depuis dix ans, Ron Finley cultive des potagers en pleine rue dans l’un des quartiers les plus pauvres de Los Angeles. Pour concurrencer les fast-foods ? Pas seulement. Avec ce militant, le jardinage devient un geste collectif, politique, qui réconcilie les Afro-Américains avec la terre que leurs ancêtres ont cultivée en tant qu’esclaves. Le confinement, avec la redécouverte du jardinage, lui a donné raison. Rencontre avec un “gangsta gardener”.
Formulé au XIXe siècle par le philosophe Henry David Thoreau, le principe de la désobéissance civile n’a cessé d’inspirer les luttes pour les droits civiques. Mais, aujourd’hui, cette notion peut-elle être mobilisée pour remettre en question les injonctions sanitaires ? Les philosophes Frédéric Gros et Pierre-Henri Tavoillot s’opposent et livrent leurs arguments.
Le 22 septembre, la Cour de cassation a estimé que le fait de décrocher un portrait du président de la République pour dénoncer l’(in)action de la France en matière de lutte contre la crise climatique pouvait relever de la liberté d’expression, effaçant ainsi l’infraction première qui était un vol. Une reconnaissance paradoxale de la désobéissance civile ?
La désobéissance civile a le vent en poupe, à l’heure où chacun réclame plus de démocratie. Mais qu’entend-on vraiment par cette idée ? Voici les réponses des philosophes américains qui y ont le plus réfléchi : Thoreau, Arendt et Rawls.
Bêcher la terre, arroser des fleurs, faire pousser des plantes aromatiques ou des légumes… Avec le confinement, le jardinage a repris du poil de la blette. Quatre philosophes font l’éloge de la main verte.
Le score très bas de Yannick Jadot, candidat d’Europe Écologie Les Verts, au premier tour de la présidentielle (4,6%) est l’une des surprises de ce scrutin. Comment expliquer une telle déroute, alors que l’écologie est omniprésente dans le débat public et que Les Verts ont remporté de nombreuses villes aux dernières municipales ? Pierre Charbonnier, philosophe proche de Bruno Latour et auteur récemment de Culture écologique (Presses de Sciences Po, 2022), nous livre son analyse.
C’est sur une couleur – le vert – qu’a misé Emmanuel Macron dans cet entre-deux-tours. Le candidat sortant entend rallier une partie de l’électorat écologiste, dispersé entre le vote Jadot et (surtout) le vote Mélenchon. En déplacement à Marseille, il a promis la désignation d..