Publié le 29/01/2023 à 18h00
Daniel Lauret
Le mouvement a commencé peu après l’arrivée de Damien Dormoy à la tête du Leclerc Guéret, en avril 2020. Quelques salariés, avec parfois 10, 15, 20 ans d’expérience, ont démissionné. Cette première vague de départs en a inspiré d’autres, à la fois chez les cadres et les employés. À ce jour, d’après nos calculs, le nombre de salariés en CDI ayant quitté l’un des plus gros employeurs privés de Guéret et de la Creuse s’élève à environ 80. Soit près de la moitié de l’effectif total (180 environ) de l’entreprise en moins de deux ans et demi.
Le management autoritaire du patron fait partie des reproches les plus souvent exprimés par les anciens salariés pour justifier leur départ de Leclerc Guéret. Nicolas (1), un ancien responsable de rayon, a bien tenté de composer avec les premiers mois de la gouvernance Dormoy. Mais il a fini par ne plus supporter les directives constamment contradictoires. Par exemple en matière de rayonnage : « Vous aviez beau proposer une première solution, une deuxième solution, puis une troisième : vous pouviez être sûrs que ça ne serait toujours pas la bonne ! » L’ancien cadre se souvient également de l’ambiance qui régnait pendant les réunions hebdomadaires de cadres, quand elles avaient lieu.
« C’était que des critiques ! On ne savait pas faire notre travail. À la fin, on ne disait plus qu’on allait en réunion, mais qu’on allait prendre la fessée. »
Nicolas (1) (ex-salarié)
Émile (1), un autre ancien cadre resté moins d’un an dans l’entreprise, confirme : « C’était une heure de tour de table pendant laquelle on se faisait forcément allumer ». Très motivé lors de son recrutement à l’idée de « reprendre en main une équipe », il a rapidement déchanté face à un président qu’il accuse de « nourrir un climat de travail malsain ».
« Il décide que ça se passera comme ça, sans prendre en compte l’avis du responsable de secteur concerné. Il se sent très fort quand il est en position d’attaque. Mais avoir un débat constructif, il refuse. »
Emile (1) (ex-salarié)
L’ex-salarié a préféré arrêter les frais. « Je ne suis pas dans une situation financière qui me pose problème, j’ai cette chance », explique celui qui a une vingtaine d’années d’expérience. « S’il faut faire serveur, je ferai serveur. Je suis issu d’un milieu ouvrier… Être cadre chez Leclerc, ce n’est pas un objectif en soi. »
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Damien Dormoy n’est pas seulement critiqué pour son management autoritaire, il l’est aussi pour ses sorties verbales non maîtrisées. Nombre d’anciens salariés interrogés disent avoir été dénigrés par le patron, parfois devant d’autres collègues.
« Il rabaisse tout le temps et tout le monde »
Nicolas (1) (ex-salarié)
« Incompétent », « nul », « bon à rien », « incapable » feraient partie du vocabulaire courant du patron, du genre à « hurler » sur ses employés pour leur signifier son mécontentement. Parfois même, des insultes fuseraient. À ceux qui ne supporteraient pas ses méthodes, le chef aurait un message simple à faire passer : qu’ils n’hésitent pas à démissionner. Beaucoup ont fait ce choix plus ou moins « librement » ces derniers mois. Mais selon plusieurs témoignages, Damien Dormoy inciterait directement des salariés à utiliser ce mode de départ, financièrement indolore pour l’entreprise. « Un ancien responsable a été convoqué pendant son arrêt maladie et on l’a forcé à démissionner ! », affirme une de nos sources (2).
Proche de la cinquantaine, Marc (1) estime avoir été très durement « rabaissé » lors de son départ. « Il m’a expliqué que je n’étais pas fait pour ce poste », s’offusque celui qui possède pourtant une quinzaine d’années d’expérience. « Il pouvait être très bien cinq minutes, puis juste après vous engueuler. Comment voulez-vous travailler dans une ambiance comme ça ? On m’avait averti qu’il était spécial, mais avoir un patron comme ça, ça ne m’est jamais arrivé ! »
Des clients de Leclerc Guéret en colère après un problème de chèques reportés
Des témoignages concordants font aussi état de violences psychologiques sur des personnes extérieures à Leclerc, comme des fournisseurs. Les foudres subies par certains d’entre eux de la part de Damien Dormoy auraient été dans des proportions telles qu’elles ont choqué des responsables de rayon, pourtant habitués aux négociations commerciales âpres qui caractérisent le milieu de la grande distribution. Des candidats à l’embauche au sein du magasin auraient également été vus repartant en pleurs après un entretien avec le patron.
Relevée par plusieurs anciens salariés, une pratique de Damien Dormoy questionne. Elle consiste, pour une personne nouvellement embauchée, à multiplier les périodes d’essai pour finalement annoncer le dernier jour que l’aventure ne se prolongera pas. Sans qu’aucune mise au point n’ait été effectuée avec le salarié pendant la période concernée. Et sans qu’une procédure de recrutement n’ait été lancée en parallèle. Pour légale que soit cette manière de manager, elle laisse des trous dans l’organigramme. Et oblige les salariés en place à « colmater » en occupant plusieurs postes à la fois au sein du magasin. Avec les risques de stress et d’épuisement professionnel que cela peut engendrer, comme l’attestent nos sources.
Si les cadres du magasin ont été en première ligne des agissements du président de Leclerc Guéret, les employés n’ont pas été épargnés. Beaucoup ont imité leurs supérieurs en partant de l’enseigne. Linda (1), une salariée toujours en poste, fustige le comportement « très élitiste » de Damien Dormoy. « Il ne descend pas, il ne parle pas au petit peuple », critique-t-elle. Le chef passerait systématiquement par les cadres pour faire passer ses messages, même quand la possibilité de s’adresser directement au salarié existe. Il leur conseillerait par ailleurs d’utiliser le vouvoiement avec les employés, comme si cela permettait de restaurer une forme d’autorité. Une recommandation qui fait sourire Émile : « quand j’ai entendu ça, je l’ai mis dans ma poche et j’ai mis un mouchoir dessus : ce n’est pas mon style de management ».
Dans ce climat jugé délétère, aucune action coordonnée des salariés n’a émergé à l’encontre de la direction. « On a beaucoup dialogué, communiqué », estime pourtant Émile. La plupart des cadres sont désormais partis. Les élus du conseil social économique (CSE) n’oseraient pas relayer le désarroi des salariés.
« C’est dommage car avec un CSE qui fonctionne, il y a de vraies procédures à lancer. Il peut lancer des alertes danger grave et imminent, organiser une expertise, des enquêtes… Mais il faut qu’il y ait une volonté. »
Jean-Louis Borie (avocat en droit du travail au barreau de Clermont-Ferrand)
Aucun syndicat ne s’est emparé du sujet au Leclerc Guéret puisque, comme dans d’autres hypermarchés Leclerc de France, ils sont absents depuis plusieurs années. Le patron disposerait donc d’une grande latitude pour gérer son magasin comme il l’entend. « On aurait dû s’opposer collectivement à des agissements avérés », regrette Émile. Certains anciens salariés envisagent des recours aux prud’hommes (3). D’autant que si les agissements du patron étaient répétés, ils pourraient relever du harcèlement moral.
Au sein du magasin, le malaise social semble perdurer. De nouvelles démissions sont en cours. « Les gens sont fatigués, usés, c’est triste au possible », constate Audrey, une ex-salariée. Marc espère une chose : « si Michel Edouard-Leclerc voit que beaucoup ont démissionné, il va peut-être y mettre son nez ».
Les salariés d’une entreprise de Creuse privés de (chèques) cadeaux pour les fêtes
Contacté vendredi 20 janvier, Damien Dormoy a dans un premier temps accepté le principe d’une interview au sujet des nombreux départs de son magasin. Elle aurait dû avoir lieu mercredi dernier, mais le patron a argué d’un imprévu pour l’annuler le matin même. Avant de demander à La Montagne et France Bleu de contacter le service presse national de Leclerc, contrairement à son engagement initial de nous recevoir. Nous avons donc envoyé nos questions par courriel à la fois à Damien Dormoy et au service presse. En fixant un premier délai de réponse très court, compte tenu que nous souhaitions publier cette enquête dans la journée. Nous avons finalement proposé dimanche 29 janvier midi comme nouvelle échéance afin d’offrir à nos interlocuteurs un délai raisonnable pour répondre. Mais ni Damien Dormoy ni le service presse ne nous ont recontactés dans ce délai.
(1) Tous les prénoms ont été modifiés.
(2) Si elle était avérée, cette situation serait problématique, selon l’inspection du travail, car la démission peut se définir comme “acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail”. « La décision doit être prise librement et peut être remise en cause si elle résulte de “faits imputables à l’employeur” (Cass. soc. 9 mai 2007, n° 05-40315) », indique l’Inspection en complément.
(3) À l’heure où ce papier est publié, trois procédures ont été engagées auprès du conseil des prud’hommes à l’encontre de l’actuelle direction de Leclerc Guéret.
Daniel Lauret
daniel.lauret@centrefrance.com
2 commentaires
Dudu 63 a posté le 29 janvier 2023 à 19h27
Que fait la direction générale de Leclerc, lui qui pavoise à la TV et qui dit être prêt de son personnel
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Shadock a posté le 29 janvier 2023 à 19h21
Article 1, le chef a toujours raison…
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