Littérature, cinéma, expos, musique, séries, BD… Chaque jour un objet de l’actualité culturelle passé au crible d’une critique libre et assumée.
Ce soir, Lucile Commeaux nous parle d’un film d’animation qui sort directement sur Netflix : Pinocchio , de Guillermo del Toro.
Le réalisateur mexicain contribue à la bonne fortune cinématographique de Pinocchio, conte italien signé Carlo Collodi et publié en 1881, déjà adapté plusieurs fois sous forme animée, l’occurrence la plus connue étant celle de Walt Disney en 1946.
Del Toro s’approprie la fable dans un film réalisé en stop-motion – cette technique qui consiste à animer des objets réels – dont il situe le récit bien après l’écriture du texte original, dans l’Italie des années trente, alors que le fascisme grandit dans le pays. Gepetto est le charpentier du village, un prologue le montre père d’un petit garçon prénommé Carlo, qui meurt dans le bombardement d’une église à la fin de la première guerre mondiale. Des années après Gepetto devenu inconsolable et alcoolique fabrique un pantin en pin, pantin qui une nuit s’anime, c’est Pinocchio. Pinocchio voudrait être aimé comme Carlo, le vrai et bon petit garçon, et essaie de mettre ses pas dans les siens, mais un directeur de cirque qui s’est installé dans les environs lui propose de jouer sur ses tréteaux. Le conte, qui campait ce pantin obsédé par l’idée de devenir un vrai petit garçon était déjà dur ; le film de Guillermo del Toro en radicalise et en modifie la noirceur.
Le prologue sur la mort du petit garçon est très inquiétant, car il psychologise les personnages de conte, et fait du vieillard Gepetto humain et donc fragile, faible, cruel parfois avec Pinocchio qu’il abandonne à mi-chemin.
Et puis il y a cet ancrage contextuel : l’action se passe dans l’entre-deux guerres, avec des personnages ballotés dans la violence de la guerre qui s’achève et de celle qui vient. Un des voisins de Gepetto est fasciste, un jour Pinocchio se retrouve enrôlé dans une école pour jeunes fascistes avec son fils.
Par ailleurs Del Toro fait glisser sensiblement le merveilleux du conte vers un fantastique dans lequel cette histoire de nez qui grandit quand on ment est plutôt accessoire – un fantastique plus noir et propre d’ailleurs au cinéma de Guillermo del Toro. On y retrouve le gothique, avec cette église comme lieu récurrent et nocturne, ce cirque effrayant dont le directeur campe une espèce de diable faustien, contraignant le petit Pinocchio à signer un contrat monstrueux. Pinocchio lui-même est effrayant, et sa première apparition est filmée comme l’apparition d’une créature hostile dans un film d’horreur, poupée démoniaque qui fait peur à tout le monde, y compris à son créateur. Le Pinocchio de Del Toro est une sorte de Frankenstein, d’Edouard aux mains d’argent, éternel inadapté, enfant monstrueux de créateurs torturés, parias, et peut-être malfaisants. Lorsque Pinocchio meurt, ce qui arrive régulièrement, il se retrouve dans une espèce de monde intermédiaire, un purgatoire où des lapins étranges jouent au poker, un lieu à la fois ludique et terrifiant qui semble être une espèce de modèle pour tous les lieux traversés par les personnages : le village, le cirque, le ventre du monstre marin où ils se retrouvent. De la même manière, Pinocchio se trompant dans les mots appelle Mussolini “Il Dolce” à la place de “Il Duce” : la sucrerie est le revers carnavalesque et inquiétant du danger fasciste, dans une oscillation permanente entre la gravité et la légèreté, la joie et la terreur. Ces incursions dans la référence et le genre font de ce Pinocchio un film assez passionnant et complexe. L’animation, hyper détaillée jusqu’au trop plein épuise un peu, mais participe au fond de ce foisonnement d’idées et de formes. On y retrouve le goût de Del Toro pour les monstres, les paysages nocturnes, et les décors chargés ; les architectures notamment sont très réussies, cette église où se noue le drame de Gepetto, ou encore cette haute école d’officiers fascistes. Ce n’est peut-être pas à mettre devant tous les yeux, une sorte d’anti Disney de Noël. Les spectateurs qui auront été comme moi traumatisés par la version de Walt Disney ne seront pas consolés mais y trouveront peut-être une nouvelle et belle matière à cauchemars. Transcription de la chronique radio de Lucile Commeaux
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