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Si le bilan de la COP27 est globalement décevant, sans avancée sur la sortie des énergies fossiles, la conférence climat a fait naître le premier fonds pour les pertes et dommages dus au réchauffement climatique dans les pays les plus vulnérables. Au-delà, elle révèle l’inadéquation de la finance climat aux besoins de la transition au Sud. Sa transformation sera au coeur d’une conférence internationale en juin à Paris.
Après un marathon de négociations, la conférence climat de Charm El-Cheikh a reconnu pour la première fois la nécessité d’aider financièrement les pays les plus vulnérables à faire face aux dégâts causés par le réchauffement.
Vendredi 18 novembre, le regard las, Sameh Choukry, le président égyptien de la COP27, recueille les ultimes remarques de représentants des délégations et sur les nombreux textes encore sur la table à Charm El Cheikh. "Est-ce qu’une délégation souhaite encore s’exprimer ?", demande-t-il. Silence.
Soudain une voix d’enfant monte dans la salle Ramsès. "Mon nom est Nakeeyat Dramani Sam. J’ai dix ans et je viens du Ghana. J’ai vu les inondations dans mon pays. C’était très effrayant…" Sa voix comme ses mots rompent avec le langage codé des négociateurs. "Si vous aviez mon âge, vous iriez plus vite. Peut-être qu’il faut laisser les COPS aux jeunes, a poursuivi la jeune activiste ghanéenne intégrée dans la délégation de son pays. John Kerry, est venu visiter notre pavillon à la COP. Il était gentil. Il a 80 ans. Quand j’aurai son âge, ce sera la fin du siècle. Et là, je verrai le nombre de morts liés au réchauffement climatique et je sais qu’il ne sera pas le même avec un réchauffement à 1,5°C, 2°C ou plus. Moi aujourd’hui, j’ai écrit un livre sur les arbres, j’en parle avec des enfants, mais le problème est trop grand pour moi. S’il vous plaît. Soyez nos héros à Charm el Cheikh." Nakeeyat Dramani Sam se lève, brandit un panneau avec deux mots adressés aux pays développés: payment overdue -retard de paiement- et reçoit une standing ovation des dizaines de délégués présents, émus aux larmes.
Qui sait si cet instant de grâce dans la zone bleue a influencé les négociateurs dans la nuit de samedi à dimanche pour trouver, après un marathon de 48 heures, un terrain d’entente en ce dernier jour officiel de la COP27 ? A 4 heures du matin, dans la nuit de samedi à dimanche sous des applaudissements, le principe de la création d’un fonds pour les pertes et préjudices était adopté en plénière. C’était l’enjeu symbolique de cette COP : faire naître le premier fonds porté par les pays développés destiné à soutenir les plus vulnérables face aux "pertes et dommages" liés au réchauffement climatique. Des dommages qui, pour la seule année 2021, ont coûté plus de 170 milliards de dollars à travers le monde, tous pays confondus.
Que dit le texte? Que tout le monde est d’accord sur l’urgence à "prévenir, réduire au minimum et réparer les pertes et les dommages liés aux effets néfastes des changements climatiques, compte tenu de la poursuite du réchauffement de la planète et de ses incidences importantes sur les populations vulnérables et les écosystèmes dont elles dépendent." Que l’objectif des 1,5°C doit rester le cap fixé par la communauté internationale, notamment parce que, comme l’a montré le Giec dans son sixième rapport, "chaque fraction supplémentaire de degré compte". pays reconnaissent "le besoin urgent et immédiat de ressources financières nouvelles, additionnelles, prévisibles et adéquates pour aider les pays en développement particulièrement vulnérables aux effets néfastes du changement climatique". Et ce pour faire face "aux pertes et dommages économiques et non économiques associés aux effets néfastes du changement climatique, qu’il s’agisse des conséquences de phénomènes météorologiques extrêmes ou de "phénomènes à évolution lente".
Comment? Le texte évoque de "nouvelles modalités de financement", des "ressources nouvelles et supplémentaires", "un fonds" - c’est ça, l’événement historique- et un "comité de transition" de 24 membres représentant les pays du Nord et du Sud qui se réuniront trois fois par an dés 2023. Ce comité qui se verra attribuer 1,8 million de dollars pour son fonctionnement tiendra sa première réunion en mars prochain. Il avancera par consensus et devra délivrer ses premières recommandations à la COP28.
Sa naissance a été qualifiée d’historique par les ONG mais aussi par tous les représentants des pays en développement et de leurs groupes : G77+ Chine, pays africains, pays les plus vulnérables… "Vous aviez promis une COP du Sud et de la mise en œuvre, vous l’avez réalisée", a ainsi déclaré dans un grand sourire au président égyptien la représentante du Pakistan, au nom des 144 pays du groupe G77+ Chine. "Cette COP africaine est un grand succès. Nous sommes venus pour parler d’adaptation et des événements climatiques qui nous affectent. Ces décisions nous donnent de l’espoir", a enchaîné le représentant des pays africains. "Le comité de transition, le fonds, tout ça doit être prêt pour la prochaine COP", espère la représentante d’Antigua qui représente les petites îles.
Cet enthousiasme tranche avec l’amertume de Frans Timmermans, le représentant de l’Union européenne qui, comme d’autres pays développés, regrette l’absence d’effort conséquent en Egypte sur des réductions d’émissions de CO2 qui augmentent. "Nous n’allons pas assez loin pour pousser les pays les plus émetteurs à réduire leurs émissions de CO2." Et de noter la tentation de revenir en arrière. "Certains ont peur de la transition. Il faut trouver le courage de dépasser cette peur." L’Europe qui va verser 1 milliard d’euros sur l’adaptation en Afrique, notamment sur des systèmes d’alerte des risques climatiques, estime que la Chine ou encore l’Arabie Saoudite doivent, eux aussi, contribuer à financer l’adaptation au réchauffement climatique des pays les plus vulnérables.
Alok Sharma, le président britannique de la COP 26 à Glasgow, n’a pas non plus caché sa colère. "Ce n’est pas l’heure de la célébration. Les conversations ont été rudes pour préserver les réalisations de Glasgow. Les plus gros émetteurs n’ont pas progressé cette année. Le pic des émissions avant 2025, comme la science nous le dit, ce n’est pas dans le texte ! L’affirmation de la réduction progressive du charbon, pas dans le texte ! Des engagements clairs pour éliminer progressivement tous les combustibles fossiles, pas dans le texte ! Le texte sur l'énergie a été affaibli au dernier moment. Et l’objectif des 1,5 degré reste sous assistance respiratoire"…
"Nous devons drastiquement réduire les émissions maintenant, et c’est une question à laquelle cette COP n’a pas répondu", a aussi regretté le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres. Il a toutefois salué comme "un pas important vers la justice" la création du fonds pour les pertes et dommages : "Ce ne sera clairement pas assez, mais c’est un signal politique tout à fait nécessaire pour reconstruire une confiance brisée."
A côté du fonds sur les pertes et dommages et des faibles progrès de la COP27 en termes d’atténuation des émissions de CO2, l’inadéquation de la finance climat aux besoins du Sud restera l’autre grand marqueur du rendez-vous égyptien. Comme si, au pays des pyramides de Khéops, Khéphren et Mykérinos, le monde avait redécouvert l’importance d’une autre pyramide, celle des besoins humains, inventée par un certain Robert Maslowe. Selon le rapport sur l’Etat de l’action climatique 2022 réalisé pour la COP par un groupe de think tanks et d’ONG reconnus comme le World Resources Institute ( WRI), le montant total du financement climatique mondial devrait être multiplié par huit, pour atteindre 5200 milliards de dollars par an d’ici 2030. Qui nécessite une augmentation moyenne de 458 milliards de dollars par an entre 2020 et 2030.
Dans le texte final de la COP27, les chiffres évoqués donnent, eux aussi, le vertige : "La transformation mondiale vers une économie à faible émission de carbone devrait nécessiter des investissements d’au moins 4 à 6000 milliards de dollars par an." Et il faudra "investir environ 4 000 milliards de dollars par an dans les énergies renouvelables jusqu'en 2030 pour pouvoir atteindre des émissions nettes nulles d'ici à 2050." Face à un tel changement d’échelle, l’ensemble des pays estiment que "la mise à disposition de ces fonds nécessitera une transformation du système financier, de ses structures et de ses processus, impliquant les gouvernements, les banques centrales, les banques commerciales, les investisseurs institutionnels et d'autres acteurs financiers".
Emmanuel Macron, premier chef d’Etat d’un pays développé à prendre la parole à l’ouverture de la Cop27, le 7 novembre dernier, a rappelé l’importance politique de l’amélioration de la finance climat. "La confiance s’effrite entre le Nord et le Sud. Il faut éviter cette grande division du monde sur la guerre, mais aussi sur le climat." A la COP27, la France a soutenu l’initiative de Bridgetown pour la refonte du système financier international portée par Mia Mottley, la première ministre très respectée de la Barbade. Emmanuel Macron a annoncé qu’un groupe de sages de haut niveau ferait des recommandations sur des nouveaux outils de financement innovants dès le printemps 2023. Seront appelés à plancher entre autres le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE. Dans ce grand chantier, les banques multilatérales de développement devront répondre présentes. D’après un rapport publié en octobre, leur engagement climat a représenté en 2021 19 milliards de dollars sur les 50 milliards qu’elles ont consacré aux économies à faible revenu et à revenu intermédiaire. "Il faut, a répété Emmanuel Macron, changer les règles de nos grandes banques internationales, de nos banques de développement, du FMI, de la Banque mondiale et de nos grands prêteurs". Objectif : permettre aux pays du Sud de s’adapter au changement climatique sans alourdir leur dette et créer un "nouveau pacte financier entre le Nord et le Sud". Point d’arrivée de cette réflexion : une grande conférence internationale à Paris en juin 2023.
Face aux besoins gigantesques pour financer la transition au Sud, la finance privée et le secteur privé seront, eux aussi, mobilisés. Comme l’a dit Mia Mottley, "les acteurs non étatiques doivent prendre leur responsabilité, notamment les entreprises qui ont fait plus de 200 milliards de dollars de profits ces 3 derniers mois. Elles devraient contribuer à hauteur de 10 centimes sur chaque dollar de profit à un fond dédié aux pertes et préjudices".
Pour Al Gore, venu à Charm El Cheikh, il est également temps de "libérer les billions de la finance climat et notamment ceux de la finance privée. Aux Etats-Unis et au Canada, le financement des énergies renouvelables vient à 90% du secteur privé. En Afrique, il provient à 86% des Etats. Pour construire une centrale solaire même rentable, les taux d’intérêts sont 7 à 8 fois plus importants que ceux pratiqués dans les pays développés. C’est injuste et absurde."
Comme d’autres, il en appelle à l’esprit des accords de Bretton Wodds qui ont posé les bases de la prospérité mondiale après la Seconde Guerre Mondiale. Et d’alerter sur le fait que si l’effort n’est pas à la hauteur des besoins, un milliard de personnes dans le monde seront contraintes demain de quitter des pays devenus inhabitables. Et qu’il y a encore la possibilité de réussir la transition au Sud. "L’Afrique peut devenir une superpuissance du solaire car elle concentre 40% du potentiel solaire mondial, qui lui donnerait 400 plus d’énergie que ses réserves fossiles potentielles".
A 8 heures du matin, ce dimanche, Sameh Choukry, le président égyptien de la COP27, s’apprête, quant à lui, à conclure au micro deux semaines épuisantes de négociations onusiennes. "Nous avons, je crois, entendu l’appel de notre jeune collègue ghanéenne. Nous avons réussi ici à Charm El Cheikh à créer le fond pour les pertes et dommages. Il fallait sans doute que cela se produise ici, en Afrique."
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