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"Connemara" : Jérôme Fourquet a lu pour nous le dernier Nicolas Mathieu – L'Express

France, Paris, 14 novembre 2019, portrait de Jérôme Fourquet (politologue) et Nicolas Mathieu (écrivain, prix Goncourt 2018)
SERGE PICARD / AGENCE VU POUR L'EXPRESS
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Bien sûr, il y a l’histoire. Les tentatives de bonheur de Christophe et d’Hélène, deux quadras, enfants du pays aux destins qui s’éloignent et s’entrecroisent comme les traces des lames sur la patinoire d’Epinal (où se déroule une partie du roman). Mais dans le nouveau roman de Nicolas Mathieu (prix Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux) il y a aussi, en toile de fond, un récit éminemment politique et social. Sabir des cabinets de conseil, société du cocon, macronie de province… “Avec l’air de ne pas y toucher, Connemara dresse, en subliminal, un panorama du pays très bien senti et parfaitement décrit”, note Jérôme Fourquet. Le bien connu politologue de l’Ifop, coauteur avec Jean-Laurent Cassely du récent essai La France sous nos yeux (Seuil), avait réalisé pour L’Express, en 2019, un entretien croisé avec Nicolas Mathieu dans lequel ils pointaient tous deux : “le souci du réel, c’est déjà un projet politique.” Aujourd’hui, Jérôme Fourquet nous livre, via quatre passages choisis, son décryptage de Connemara, qu’il a lu et – “vraiment beaucoup”, nous demande-t-il de préciser – aimé.  
Extrait (p.126) “Ces catéchismes managériaux variaient d’une année à l’autre, suivant le goût du moment et la couleur du ciel, mais les effets sur le terrain demeuraient invariables. Ainsi, selon les saisons, on se convertissait au lean management ou on s’attachait à dissocier les fonctions support, avant de les réintégrer, pour privilégier les organisations organiques ou en silos, décloisonner ou refondre, […] calquer le fonctionnement des entités sur la démarche qualité et intensifier le reporting ou instaurer un leadership collégial. Les salariés, continuellement aux prises avec ces soudaines réinventions, ne sachant plus où ils se trouvaient ni ce qu’ils devaient faire au juste, restaient toute leur vie des incompétents chroniques, bizutables à l’envi.” 
Jérôme Fourquet : “Il y a, dans le livre, la description au scalpel de la langue managériale mais aussi – ce qui est plus impressionnant encore – une analyse très fine de comment ce volapük est ressenti “à la base”. Cette frénésie managériale déconnectée du “terrain”, que ce soit dans l’administration ou dans le privé, autojustifie des réorganisations à “360 degrés” tous les quatre matins, et plonge les troupes dans une grande perplexité pour ne pas dire une grande méfiance. C’est un autre enjeu du divorce entre les “somewhere” (les gens de quelque part) et “anywhere” (les gens de partout) théorisé par le Britannique David Goodhart : le niveau d’abstraction des “anywhere” est à mille lieues des préoccupations de “la piétaille”, qui juge tout cela avec lassitude. “Les boss ont encore déliré en séminaire, et ça va nous retomber dessus !” se dit la France des subalternes. La perte de sens induite par ce bizutage permanent est immense, et conduit à une société de repli sur son cocon : sa maison, sa famille, ses potes, ses hobbies…. Parce que ça, au moins, c’est tangible. 
Extrait (p. 277) “Le lotissement s’était étendu comme une flambée d’urticaire, parti de rien et couvrant bientôt des hectares de terrain viabilisé. On trouvait là des dizaines de pavillons, en général modestes et de plain-pied, parfois significativement mégalos, avec une tour et des statues à l’antique sur la pelouse, et qui s’alignaient tout le long de voies aux noms hétéroclites. […] Au moins on avait son pré carré et le sentiment de vivre sans seigneur à servir ni barbare à craindre.Au fond, ce qui se tramait dans ces quartiers répliqués et individualistes, entre les plants de tomates et un cellier plein à craquer, ça n’était jamais qu’une énième tentative de trouver son bonheur.”  
J. F. : “Le cocon, c’est le petit réduit dans lequel beaucoup de Français investissent ou se recentrent, poussés par la perte de sens au travail ou dans la vie “civique”, mais aussi par le sentiment que tout leur échappe. Leur cocon est un univers où ils peuvent reprendre le contrôle de leur propre vie – “Take back control“, disaient les Brexiteurs – car là, au moins, personne n’a rien à leur dire sur leur façon de faire. “Chaque maison se vivait comme une principauté relative”, est-il écrit, plus loin, dans la même page. Ces passages décrivent à merveille l’autonomisation culturelle et idéologique de cette France populaire et moyenne qui se refait son monde, sur une base territoriale.  
Extrait (p. 327) “Ce surgissement avait d’ailleurs suscité dans tout le pays une vague de vocations inattendues pour la chose publique et autant de ralliements de dernière minute. Un peu partout […] des socialistes déboussolés et des centristes cent fois défaits, des responsables de ressources humaines et des figures locales sans grand relief voulaient prendre ce train en marche. Ils s’enthousiasmaient unanimement pour cette personnalité rafraîchissante, jadis banquier, produit scolaire comme l’Hexagone en raffole […] et qui contenait en lui, à un degré de concentration presque inédit, quelque chose de l’époque : une certaine obsession pour l’efficacité. 
J. F. : “En quelques lignes, voici portraiturée – de manière grinçante – la base militante qui se mobilisa derrière Emmanuel Macron. Ou comment la plume acérée de l’écrivain est parfois plus efficace que les tableaux de chiffres et les graphiques du sondeur… !” 
Extrait (p. 245) “En le regardant se débattre, elle se disait ouais, les mecs de son espèce n’ont pas de répit, soumis au travail, paumés dans leurs familles recomposées, sans même assez de thune pour se faire plaisir, devenus les cons du monde entier, avec leur goût du foot, des grosses bagnoles et des gros culs. Après des siècles de règne relatif, ces pauvres types semblaient bien gênés aux entournures tout à coup dans ce monde qu’ils avaient jadis cru taillé à leur mesure. Leur nombre ne faisait rien à l’affaire. Ils se sentaient acculés, passés de mode, foncièrement inadéquats, insultés par l’époque. Des hommes élevés comme des hommes, basiques et fêlés, une survivance au fond.”  
J. F. : On retrouve, saupoudré au fil des pages, l’effet inégal des transformations profondes de notre société sur les gents masculine et féminine. Dans les livres de Nicolas Mathieu comme dans la vie, les filles s’en sortent mieux à l’école (la part des filles dans le total des inscrits à l’université est passée de 42,8 % en 1960 à 58,4 % en 2012 !), et prennent plus facilement l’ascenseur social dans une économie tertiarisée, où les diplômes comptent pour beaucoup, et où les métiers “physiques” sont en perte de vitesse. Dans ces deux derniers ouvrages, ce sont les filles qui partent faire des études supérieures, quand les “mecs” restent sur place. Rien de manichéen : il y a aussi, dans Connemara, des hommes riches et puissants et des femmes qui galèrent.  
Du reste, l’héroïne elle-même, toute “executive woman” qu’elle soit, est victime de sexisme dans son entreprise. Mais la toile de fond du grand désarroi masculin, notamment dans les milieux populaires, est très justement décrite. Quand les usines ont fermé, les hommes ont certes perdu leur emploi, mais également une certaine estime d’eux-mêmes. Dans cette France d’après, beaucoup se sentent devenus obsolètes. 
Connemara, Acte Sud, 396 pages, 22 euros.  
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