Un demi-siècle après l’émeute étudiante de 1969 qui dénonçait le racisme institutionnel à l’Université Concordia, l’établissement présente ses excuses aux personnes noires qui ont été arrêtées, emprisonnées, brutalisées ou marginalisées dans la foulée de ces événements violents.
L’université anglophone montréalaise a mené depuis deux ans un vaste exercice visant à tourner la page sur ce qu’elle considère comme le « racisme systémique » qui continue de sévir sur le campus et ailleurs au pays — y compris au Québec.
Dans un rapport de 108 pages dévoilé ce vendredi, l’établissement prend une série d’engagements pour réparer les relations avec la communauté noire. L’Université s’engage à augmenter le nombre de personnes noires parmi la population étudiante et toutes les catégories de personnel. Elle s’engage aussi à « renommer ses principales installations en tenant compte de ses relations historiques avec les communautés noires et autochtones ».
Le recteur de l’Université Concordia, Graham Carr, doit présenter ses excuses à la communauté noire lors d’une cérémonie, ce vendredi après-midi. Le discours du recteur, remis au Devoir, évoque sans détour cette page sombre — et méconnue — de l’histoire montréalaise : 97 étudiants avaient été arrêtés brutalement lorsque leurs dénonciations du racisme institutionnel à l’Université Sir George Williams (l’ancêtre de Concordia), rejetées par l’établissement, avaient viré à l’émeute, à l’hiver 1969.
« Malheureusement, les mesures prises par l’Université, tout autant que son inaction, témoignaient sans équivoque de l’existence d’un racisme institutionnel. Ce comportement a eu de vastes conséquences négatives dans les communautés noires non seulement à Montréal, mais aussi ailleurs dans le monde – en particulier dans les Caraïbes, d’où venaient plusieurs des étudiants impliqués dans la manifestation de la Sir George Williams University », indique le texte du recteur.
« L’Université Concordia, avec le soutien de son conseil d’administration, s’excuse pour les décisions et les mesures prises par la direction de l’Université à l’époque. […] Nous reconnaissons les conséquences graves et souvent désastreuses des mesures prises par l’Université à l’époque, et leurs répercussions persistantes au fil des ans. En outre, nous regrettons profondément notre silence au fil des décennies qui ont suivi la manifestation. Ce silence a participé à la fragilisation de la confiance ainsi qu’à la rupture des liens entre l’Université Concordia et les communautés noires. Il n’aurait pas dû falloir plus de 50 ans pour reconnaître les erreurs qui ont été commises à cette époque », ajoute le discours du recteur.
Le groupe de travail sur le racisme à Concordia a été formé dans la foulée de la mort violente de George Floyd, un Noir américain tué par la police en mai 2020 à Minneapolis, au Minnesota. La violence policière contre les Noirs aux États-Unis a suscité une vague d’indignation partout dans le monde, y compris à Montréal. Le « racisme systémique » est revenu à l’avant-scène au Québec, en raison aussi des mauvais traitements infligés aux Autochtones.
Parmi les gestes réparateurs entérinés par l’Université Concordia, une plaque commémorative sera installée dans le pavillon Henry-F.-Hall, où ont eu lieu les manifestations étudiantes de 1969. Le théâtre D.-B.-Clarke, qui honore le directeur intérimaire et vice-chancelier de la Sir George Williams University au moment de ces événements troublants, changera aussi de nom.
L’Université Concordia est née en 1974 de la fusion de l’Université Sir George Williams et du Collège Loyola. L’établissement compte mettre en place une série de mesures de réconciliation avec la communauté noire à temps pour son 50e anniversaire, en 2024. La reconnaissance du traumatisme des manifestations contre le racisme de l’hiver 1969 est un des gestes importants de réconciliation, indique au Devoir le recteur Graham Carr.
Cet épisode douloureux a commencé en mai 1968. Six étudiants noirs de l’Université Sir George Williams avaient porté plainte pour discrimination contre un professeur adjoint de biologie, Perry Anderson. Malgré des faits démontrant qu’il traitait différemment les étudiants noirs, notamment en leur accordant des notes systématiquement inférieures à leurs camarades blancs, l’Université avait rejeté pendant plusieurs mois les dénonciations de racisme.
Environ 400 étudiants ont riposté en occupant le laboratoire d’informatique de l’établissement, le 29 janvier 1969. La manifestation est restée pacifique jusqu’au 11 février. L’établissement a demandé à la police de mettre fin à l’occupation. Les étudiants ont saccagé le laboratoire et lancé des objets par les fenêtres. Un incendie a éclaté.
Les policiers ont arrêté 97 étudiants, de façon « parfois violente », reconnaît l’Université Concordia. « Ces arrestations ainsi que la neutralisation de la manifestation ont eu des conséquences graves et persistantes sur la vie de nombreuses personnes. Des peines d’emprisonnement, des expulsions, des traumatismes psychologiques, des blessures physiques, des pertes d’emploi, l’aliénation sociale et l’interruption – voire l’abandon – d’études universitaires », indique le texte d’excuses du recteur de Concordia.
L’établissement admet aussi que les plaintes de discrimination « ont été largement négligées, mal gérées et rejetées » sur une période de près d’un an.
Deux des étudiants arrêtés sont devenus d’illustres personnages : Roosevelt « Rosie » Douglas, condamné à deux ans d’emprisonnement, a été premier ministre de la Dominique, son pays d’origine, et Anne Cools, originaire de la Barbade, condamnée à quatre mois d’emprisonnement, a été nommée sénatrice à Ottawa. Mais d’autres étudiants victimes de la répression vivent encore des séquelles des événements racistes de 1969, selon le rapport dévoilé vendredi.
Angélique Willkie, présidente du groupe de travail et conseillère spéciale en matière d’intégration des Noirs à Concordia, dit souhaiter que les excuses du recteur mènent à une nouvelle ère « pour que ces événements-là ne puissent plus se reproduire ».
« J’ai un fils de 18 ans et j’ai envie de pouvoir lui dire : “Concordia est un endroit où ta voix compte” », dit-elle au Devoir.
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