Difficile de ne pas penser à la mise en scène, mythique, de Patrice Chéreau (en 1983) lorsqu’on va voir Combat de nègres et de chiens, pièce hypersensible du météorique Bernard-Marie Koltès (1948-1989). Et pourtant, le collectif Kobal’t réussit à la faire oublier, imposant sa propre atmosphère et ses propres lignes de tension. Sans schématisme ni complaisance mais avec beaucoup d’humanité. Une vraie gageure pour ce texte très dense écrit en 1979, avec des aspects datés et des monologues parfois un peu longuets. Tout dans la mise en scène de Mathieu Boisliveau (fondateur du groupe et comédien) contribue à faire monter la pression entre les quatre protagonistes (plus un chien) de ce drame en huis-clos. Avec pour enjeu le cadavre disparu d’un ouvrier noir sur un chantier de travaux publics mené par des Français quelque part en Afrique de l’Ouest.
La scène est conçue comme une arène, ou plutôt une piste de cirque couverte de sable et cernée par les gradins où prend place le public selon un dispositif tri-frontal. Lequel public comprend vite qu’il joue le rôle des sentinelles de cette cité où sont installés les cadres blancs du chantier. Régulièrement interpellés par les acteurs, les spectateurs sont pris à témoin, entraînés comme partie prenante du drame qui se passe le temps d’une nuit, du crépuscule à l’aube. Sur la piste s’affronte un quatuor d’individus chacun enfermé dans sa bulle avec leurs frustrations, leurs failles et leurs motivations, plus ou moins conscientes. Quatre gladiateurs luttant contre leur solitude, leur échec intime, leur désespoir. Tous en quête d’amour et de reconnaissance dans un monde dominé par les rapports de force où la cohabitation s’avère impossible.
Atmosphère irrespirable
D’entrée, le chef de chantier, un autodidacte nommé Horn, a affaire avec un noir, Alboury, qui s’est introduit dans la cité des blancs pour réclamer le corps de son frère mort, suite prétendument à un accident. Le blanc aura beau temporiser, tenter de convaincre le noir d’attendre le lendemain où le corps plus présentable lui sera restitué, celui-ci n’en démordra pas, il veut maintenant le cadavre de son frère. Or celui-ci a été non pas accidenté mais tué par l’ingénieur Cal qui surgit soudain, racontant comment il a tué le noir qui l’avait offensé, et tenté plusieurs solutions pour se débarrasser du corps avant de le jeter aux égouts. Dans cette atmosphère devenue irrespirable apparaît la seule femme, une Parisienne en quête d’exotisme, venue pour épouser le chef de chantier. Évidemment, aucun des buts fixés par les personnages ne sera atteint, chacun étant renvoyé à la cruauté d’un monde impitoyable.
Très en phase les uns avec les autres, les quatre acteurs défendent leur partition avec beaucoup de conviction. Chloé Chevalier joue la Parisienne ingénue confrontée à d’amères désillusions. Pierre-Stefan Montagnier incarne le chef de chantier et meneur de jeu Horn avec élégance. Denis Mpunga campe un Alboury très touchant lorsqu’il explique combien la présence de son frère lui est indispensable, pour dit-il, « se réchauffer ». Véritable boule d’énergie, Thibault Perrenoud joue l’ingénieur Cal submergé par la violence raciste, traînant son crime comme un fardeau. Tous finalement plus pitoyables que méprisables.
Combat de nègre et de chiens, de Bernard-Marie Koltès au Théâtre de la Bastille jusqu’au 2 décembre, www. theatre-bastille.com. Mise en scène : Mathieu Boisliveau. Collaboration artistique : Thibault Perrenoud, Guillaume Motte. Assistant à la mise en scène : Guillaume Motte. Dramaturgie : Clément Camar-Mercier. Scénographie : Christian Tirole. Lumière : Claire Gondrexon. Costumes : Laure Mahéo
Avec Chloé Chevalier, Pierre-Stefan Montagnier, Denis Mpunga, Thibault Perrenoud.
Tournée : les 7 et 8 décembre, L’Azimut, Châtenay-Malabry. Les 27 et 28 mars : La Halle aux Grains, Blois. Les 25 au 29 avril : Théâtre des Célestins, Lyon. Le 4 et 5 mai : La MCB, Bourges. Du 9 au 11 mai : Théâtre Sorano, Toulouse. Le 16 mai à l’ACB, Bar-le-Duc.
Photo : Gilles Le Mao
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