Le jour où l’on célébrait l’accord sur la biodiversité couronnant la COP15 à Montréal, la firme KPMG dressait le constat d’une carence en matière de divulgation de l’impact de nos très grandes entreprises sur le capital naturel. Ce manque de transparence s’insère au sein d’un cadre réglementaire en cours d’élaboration, où la divulgation relative aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) demeure volontaire et où l’harmonisation fait défaut.
Le cabinet de services professionnels KPMG campe bien l’importance de l’enjeu. « La biodiversité et la préservation du capital naturel constituent la prochaine frontière en matière d’information environnementale, tout de suite après les changements climatiques. » Avec plus de 50 % du PIB mondial dépendant modérément ou fortement de la nature et des services qui y sont associés.
Or au Canada, seulement 35 % des 200 plus grandes entreprises abordent la biodiversité dans leurs rapports financiers ou de gouvernance. À leur défense, KPMG rappelle que le cadre de travail et des recommandations quant aux risques et aux impacts sur la biodiversité sont encore en cours d’élaboration. « Par conséquent, la définition d’un “bon rapport de divulgation sur la biodiversité” demeure nébuleuse. » Le peu d’entreprises qui s’y adonnent utilisent donc, pour la plupart, des exemples anecdotiques et des études de cas habituellement en inadéquation avec la façon dont la société traite ces questions, constate le cabinet. « Les données et les objectifs sont rarement divulgués, et la communication de l’information est rarement dictée par des politiques. »
Dans un sens plus large, des principes ont déjà été énoncés pour les facteurs ESG. Pourtant, seulement 64 % de ces grandes entreprises intègrent de l’information sur la durabilité ou sur ces facteurs dans leur rapport financier annuel. On parle, ici, des 200 plus grandes sociétés canadiennes selon le revenu d’après le récent classement du Financial Post. Ce groupe retenu par KPMG comprend des sociétés ouvertes et fermées, des filiales et des sociétés d’État. Il exclut les sociétés de portefeuille.
En novembre dernier, le cabinet PwC publiait ses Perspectives canadiennes des rapports ESG, reposant sur une évaluation des rapports publiés par les 250 plus grandes entreprises inscrites à la Bourse de Toronto selon leur chiffre d’affaires et leur capitalisation boursière. Même constat : leur engagement face à ces critères se situe encore loin sous les attentes des parties prenantes et des organismes de réglementation. Leur divulgation reste déficiente, et ce, davantage pour les indicateurs liés aux changements climatiques.
On pouvait retenir que 77 % des entreprises n’intègrent pas, dans leurs rapports financiers, les principes du Groupe de travail sur l’information financière relative au changement climatique. En fait, 38 % des entreprises n’ont pas encore enchâssé leur information sur les enjeux ESG et la gestion du risque. Au demeurant, 59 % ne parlent que de leurs résultats positifs. En peaufinant la lecture pour retenir parmi les critères ESG les indicateurs liés aux changements climatiques, « quoique nombreuses à divulguer leurs émissions, les sociétés canadiennes semblent tout juste commencer à saisir les effets des changements climatiques sur leurs activités », a-t-on déjà écrit.
Cette lente migration vers le dévoilement de son impact écologique, de son empreinte carbone et de sa gestion des risques climatiques alimente l’incertitude dans un marché des capitaux de plus en plus enclin à mesurer et à accoler un prix aux risques physiques et de transition associés aux changements climatiques. Les analystes du Département monétaire et économique de la Banque des règlements internationaux (BRI) ont survolé la littérature récente abordant la question ou un aspect de la question de la fixation d’un prix adéquat au risque climatique. Elles sont nombreuses les études qui évoquent une incertitude et une information imparfaite et qui, ce faisant, déplorent que la valorisation des entreprises, des marchés et des actifs, financiers ou réels, ne reflète pas ces risques. En outre, les externalités associées au changement climatique et aux émissions de gaz à effet de serre peuvent créer une discordance entre le prix fixé par les marchés financiers et les véritables coûts sociaux, lit-on dans le texte de la BRI.
Un sondage mené en juillet 2021 auprès de professionnels et d’universitaires du monde de la finance, de régulateurs publics et d’économistes place le risque physique associé au changement climatique au sommet dans la liste des risques pour les trente prochaines années. Une forte majorité des répondants croient que le prix des actifs sous-estime le risque climat.
Certes actions et obligations vont se négocier à escompte si les émetteurs sont davantage exposés aux risques climatiques ou de transition. Une obligation verte se négocie à prime par rapport à une obligation comparable ne portant pas ce label. De plus en plus, la cote de crédit des émetteurs va en tenir compte et les analyses vont accoler un prix au risque de retrouver des actifs dits échoués dans les bilans et dans les portefeuilles. Mais au-delà de ces observations à la carte, la difficulté d’avoir l’information et, lorsqu’elle est présente, d’en extraire les données pertinentes est un constat généralisé.
Au Canada, seulement 35 % des 200 plus grandes entreprises abordent la biodiversité dans leurs rapports financiers ou de gouvernance
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