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Pourquoi un si grand écart politique, philosophique et humain entre les projets de constitutions, tunisienne et chilienne, présentées à quelques jours d’écart ? La comparaison entre les deux projets est très instructive, mais elle est au désavantage du projet tunisien.
Par Lotfi Maherzi *
Le hasard du calendrier a voulu que les nouveaux projets de constitutions, chilienne et tunisienne, fussent présentés à quelques jours d’écart aux présidents tunisien Kaïs Saïd et chilien Gabriel Boric. Deux pays aux parcours politiques et institutionnels marqués par des ressemblances et des différences notables.
Le chili : 19 millions d’habitants, 16 ans de dictature Pinochet, plusieurs décennies de gestion néolibérale puis élection à la présidence de la république de Gabriel Boric, ancien leader de gauche et héritier des grandes révoltes populaires et sociales de 2019. Une mobilisation historique qui a fini avec l’élection du plus jeune président du Chili, à tourner la page de la dictature et de plusieurs décennies d’un néolibéralisme destructeur.
Rupture confirmée également par le projet d’une nouvelle constitution qui dessine un système politique chilien profondément sociale, plus démocratique, plus écologiste et plus soucieux des droits des femmes et des populations autochtones. Il devra être validé par référendum et après débat le 4 septembre prochain.
La Tunisie, presque 12 millions d’habitants, plus de vingt ans de pouvoir autoritaire et répressif de Zine El-Abidine Ben Ali, une révolution populaire inachevée débouchant sur plus d’une décennie d’hégémonie politique et religieuse de l’islam politique incarné par le parti Ennahdha. Puis une transition marquée par un «tawafoq» (consensus) mortifère avec les islamistes a favorisé l’élection, en octobre 2019, de l’austère Kaïs Saïed, à la tête de l’État grâce un discours anti-corruption, conservateur et religieux.
Très vite et bien loin de l’esprit de la révolution tunisienne, ce dernier se transforme en leader populiste, invoque un péril imminent, s’accapare de tous les pouvoirs et impose une nouvelle constitution taillée sur mesure qui projette une Tunisie conservatrice avec des risques réels de dérives autoritaires et despotiques. Ce projet fera l’objet sans débat d’un référendum le 25 juillet prochain.
Voilà pour le contexte qui va lourdement impacter deux projets de constitution aux différences abyssales sur les plans philosophique, politique et humain. Deux conceptions du monde totalement opposées, l’une rétrograde, hégémonique et hasardeuse, l’autre humaine, sociale et environnementale.
La nouvelle constitution tunisienne prévoit le remplacement de la démocratie représentative par un système hyper présidentiel incontestable, dans un environnement institutionnel conservateur, rétrograde et hégémonique voulu en rupture avec l’identité de la société civile tunisienne. Elle insiste sur l’appartenance de la Tunisie à la «oumma» (nation) islamique, une notion archaïque qui suppose le dépassement des spécificités tunisiennes au profit d’une espèce de glaciation islamique où l’altérité politique et confessionnelle est prohibée. Et pour donner un peu plus de poids à ce sacré augmenté, elle prévoit l’enracinement de la jeunesse et son éducation conformément à son identité arabo-musulmane alors qu’une décennie de noyautage des écoles privées et publiques par l’islam politique ont détruit un enseignement public moderne, ouvert sur la science, le savoir et la connaissance hérité du volontarisme bourguibien.
Enfin, selon le texte proposé, le leadership d’un hyper président, obligatoirement de confession musulmane et sans possible remise en cause, exclut toute candidature de tunisiens de confessions juive, chrétienne ou non-religieux.
Elle consacre un chef divin pour régner pour l’éternité sur le pays. Une discrimination anachronique, raciste et discriminatoire inexistante dans les lois fondamentales des pays avancés.
En outre, le projet de nouvelle constitution ne consacre pas d’une manière claire et volontariste l’égalité entre les genres; il s’engage juste à garantir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Une égalité légale non extensive aux autres égalités notamment successorale, contraire selon le président à la règle coranique.
Autrement dit, nous assistons à un glissement d’interprétation religieuse des pratiques sociales qui interdirait toutes réformes allant dans le sens des droits individuels et collectifs.
Ces articles plongent la nouvelle constitution dans l’univers du conservatisme moral et religieux, mené au nom de la charia, des textes religieux et de la souveraineté du peuple. Une escroquerie intellectuelle qui embarque les rédacteurs du projet indéniablement dans le chemin détestable, dévastateur et destructeur de l’homophobie, de l’intolérance, du racisme et du puritanisme.
Le projet de nouvelle constitution chilienne n’est ni littéraire ni lyrique comme le Tunisien. Il est clair, concret et plus compréhensible. Il définit d’abord le Chili comme un État démocratique de droit, «plurinational, interculturel et écologique», donne au président des pouvoirs limités et met surtout en avant les droit sociaux des Chiliens notamment dans le domaine de la santé, des retraites, des logements et de l’éducation sans oublier les besoins qui découlent de leur bien-être comme le droit au «régime alimentaire complet et culturellement adapté», ou au «sport et à l’activité physique».
Autre grande écart avec le projet tunisien, aucune allusion à l’appartenance religieuse des Chiliens n’est mentionnée, au nom de la séparation des pouvoirs, de la subordination de la norme religieuse au droit séculier et du respect des libertés publiques. Une absence assumée malgré le poids pesant de l’église catholique et des chrétiens évangélistes au Chili.
En outre et à l’opposé du projet tunisien, la nouvelle constitution chilienne reconnaît la diversité du peuple avec les droits de chaque citoyen de suivre sa propre voie religieuse et philosophique et reconnaît la variété de langues parlées autochtones comme langues officielles du Chili, au lieu de consacrer uniquement l’espagnol (l’arabe en Tunisie) en tant que langue officielle. Comme elle indique que «Toutes les personnes ont droit à l’éducation» dans un système d’éducation vertueux sans mentionner une quelconque relation avec la religion.
Autre grande distance avec son homologue tunisienne, la nouvelle constitution chilienne insiste sur la parité homme/femme notamment dans les assemblés élues, reconnaît comme valeurs intrinsèques et inaliénables la dignité, la liberté, l’égalité substantielle des êtres humains, inscrit l’éradication de la violence fondée sur le genre et consacre le droit à l’avortement plaçant ainsi le pays à l’avant-garde mondiale en la matière.
Pourquoi un si grand écart politique, philosophique et humain entre le projet de constitution tunisienne et chilienne? Pourquoi le sacré, notion inexistante dans le projet chilien, est-il si pesant dans le projet tunisien ? Pourquoi cette obsession de s’accrocher dans une tradition islamique évidente pour l’ensemble des Tunisiens
D’abord, parce que la nouvelle constitution tunisienne semble en contradiction avec les aspirations des mouvements sociaux et populaires qui ont mis fin au régime répressif de Ben Ali. Elle ne découle pas des slogans et des revendications des grandes mobilisations populaires comme elle ne prend pas en compte les avancées sociales tant espérées par la jeunesse, contrairement à ce que prétend le président Saïed dans sa lettre aux Tunisiens.
Puis, c’est une constitution qui privilégie la norme religieuse sur la norme juridique et laisse clairement indiquer que le leadership d’un hyper-président sans possibilité de sa destitution annoncerait la probable confiscation des libertés et l’incompétence économique avec pour résultat une régression sociale, un risque d’endoctrinement totalitaire et le culte aveugle de la personnalité.
Pour ces raisons, nonobstant les autres imperfections relatives à l’indépendance des magistrats et à l’universalité des droits humains, on ne peut qualifier le projet constitutionnel du Président Kaïs Saïed comme un sursaut démocratique et moderniste en rupture avec une décennie de domination de l’islam politique. C’est plutôt une défaite de la pensée et de la rationalité laissant place à un projet institutionnel sectaire autour de la colère du peuple, du rejet des élites et du réflexe arabo-nationaliste qui traduit plus une confusion intellectuelle déguisée en une demande de restauration de la souveraineté du peuple. Car, renverser une dictature ce n’est pas modifier substantiellement l’ordre républicain et les fondements de l’ordre social, culturel et religieux des Tunisiens. Ce n’est pas non plus remplacer un ordre ancien détestable par un autre plus archaïque voire catastrophique, ce n’est pas remplacer l’islam politique et ses ravages par une autre variante de l’islam mystique aussi dangereuse. Ce n’est pas imposer ses positions rigides et liberticides sur les questions sociétales au nom de la loi coranique. Non c’est aller au-delà de ses utopies suicidaires en alignant le pays aux normes internationales d’une démocratie exemplaire : indépendance de la justice, séparation des pouvoirs, autonomie des contre-pouvoirs, égalité entre les hommes et les femmes, respect des droits humains et liberté de culte et de conscience. Ce n’est clairement pas le projet de société idéale du Président Kaïs Saïed.
Au Chili, le projet de nouvelle constitution ouvre une autre ère, un futur réellement démocratique et environnemental qui confirme le prolongement des luttes, des mobilisations populaires et des mouvements sociaux qui ont éclaté en octobre 2019. Il est l’émanation des revendications du peuple chilien contre toutes les injustices sociales, y compris les féminicides, l’homophobie et les autres injustices subies par les peuples autochtones. Il vise un changement social, politique et écologique qui ferait rupture avec le modèle conservateur et néolibéral des années de plomb. C’est un projet extrêmement vertueux, qui montre le meilleur de ce que l’on puisse espérer d’une Constitution pour construire un État et une économie stables, écologiques et égalitaires en harmonie avec la nature et le vivant.
Avec cette nouvelle constitution, le peuple chilien aura eu le dernier mot sur son destin.
Deux projets de société avec, pour reprendre Tahar Djaout, «la famille qui avance et la famille qui recule» faisant référence aux sociétés conservatrices et islamistes et celles qui œuvrent pour une société démocratique, républicaine et moderne. L’écrivain et humaniste algérien a, rappelons-le, été assassiné le 13 mai 1993 par le Groupe islamique armée (GIA).
* Universitaire.
Illustration : Kaïs Saïed/Gabriel Boric : ce n’est pas seulement une différence générationnelle.
سيبقى قيس سعيد شوكة في حلقكم وسينتصر عليكم انتصارات ساحقا
Simplement mr parce qu’il y a des gens comme vous qui n’ont aucune identité et qui s’identifient à tout et à rien en oubliant les différences de moeurs de religion géographique etc, cela fait honte de vivre dans un pays comme le nôtre
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