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«Chasseral», le feuilleton de Joseph Incardona, épisode 4: Du sang et des larmes – Le Temps

Dans les épisodes précédents, Wolf Doppelmayr, qui vit reclus dans sa maison, «reçoit» le représentant de l’office des poursuites ainsi que de potentiels acheteurs avec un fusil d’assaut. La police biennoise encercle désormais son logement et cherche à entamer des négociations
Ce texte est librement inspiré de l’histoire de Peter K., « le forcené », qui a tenu en haleine la ville de Bienne en 2010. Bien que certains éléments du réel soient repris ici, il va de soi que tout le reste est le fruit de l’imagination de son auteur, c’est-à-dire de la fiction.
Retrouvez tous les épisodes au fur et à mesure.
SAMEDI 21 AOÛT
A 01:13, Sonja Antonescu est une des trois employés à veiller dans les bureaux du Service des renseignements de la Confédération au numéro 20 de la Papiermühlestrasse, à Berne. Le bâtiment jouxte celui du Kommando Operationen, (ça se passe de traduction). Les deux autres fonctionnaires en service sont Omar, «Spécialiste systèmes» (J’assure l’exploitation et le développement de nos systèmes informatiques et solutions de communication sécurisés. La marge de manœuvre dont je bénéficie est très appréciable), et Erika, occupée au «Suivi de la situation» (J’observe l’état du monde et, si nécessaire, j’alerte les services concernés à toute heure du jour ou de la nuit).
Sonja, 26 ans, parle et écrit quatre langues (français, allemand, anglais, roumain), diplômée (master) en criminalistique – par qui et comment l’acte a été commis, sa matérialité (ne pas confondre avec la criminologie qui cherche à identifier le pourquoi du crime, son aspect humain et sociétal) –, a coché toutes les bonnes cases pour obtenir ce poste: vivacité d’esprit, exigence de performance, capacité au travail en équipe, ainsi qu’une réputation irréprochable (Confiance, professionnalisme et cohésion sont des valeurs fondamentales pour le SRC. Nos collaborateurs sont hautement qualifiés et ambitieux, ils font preuve d’initiative et sont capables de s’adapter aux changements de façon rapide et professionnelle).
Après trois mois de procédures destinées à vérifier si elle possédait le profil et les aptitudes requises pour travailler au sein du SRC, Sonja Antonescu a signé avec une certaine gravité son contrat d’engagement lui assurant un excellent salaire et un tas d’avantages accessoires (assurance maladie, club de sport, deuxième pilier, 13e et 14e mois…); gravité, parce que dorénavant, sa vie sociale ne serait plus tout à fait la même. Son devoir de discrétion la coupe un peu du monde, notamment de son petit ami, Marco, ainsi que de ses parents (père roumain, mère suisse, divorcés) et de sa sœur Anja.
Depuis, 22 mois ont passé, et la gravité s’est transformée en légère déception augmentée d’un soupçon d’aigreur. Elle savait qu’elle s’engageait dans une activité de service, c’est-à-dire que le travail sur le terrain deviendrait une hypothèse. En fait, tout ce qu’elle avait appris jusqu’à présent en lien avec les sciences forensiques serait destiné à ne pas servir – ou à servir très peu, dans une sorte de périphérie des compétences. Mais c’est ainsi pour de nombreux diplômés: la réalité du monde du travail est une machine à doucher les enthousiasmes ou à broyer les idéaux, au choix. Le chômage est une menace et le souhait d’une vie confortable, un miroir aux alouettes (Ma tâche consiste à analyser les informations entrantes et à élaborer des produits. J’apprécie le contact direct avec mes clients de tous les départements). En l’occurrence, le «produit» à fournir ici est la face cachée de la personnalité de Wolf Doppelmayr. Ses zones d’ombre. Sa part immergée. Ça lui donnerait parfois des envies d’une double vie, à Sonja. Intégrité, probité et secret professionnel cumulés, ça fait beaucoup pour cette jeune femme. Elle va jusqu’à exprimer une certaine réserve même quand elle fait l’amour; une sorte de surveillance s’inscrivant insidieusement au fond d’elle-même, comme une seconde nature. La petite caméra de surveillance qu’on installe dans un coin de son cerveau. Enfin, il faut savoir aussi que le SRC accorde une grande importance à la conciliation de la vie professionnelle et familiale. Et puisqu’elle n’a pas (encore) d’enfants et qu’elle est (officiellement) célibataire, c’est souvent à elle que reviennent les extras du travail de nuit ou des présences les jours fériés, autrement dit: l’élaboration de ces fameux «produits» sans que la famille en pâtisse trop.
En l’occurrence: des informations concernant Wolf Doppelmayr.
Elle a d’abord engagé une recherche sur les 200 000 fichiers secrets du service obtenus par la surveillance de sujets suspects, mais surtout documentés sans bases légales (au temps pour la probité et l’intégrité, n’est-ce pas?). Ce qui n’empêche pas Sonja et ses collègues de les consulter régulièrement. C’est leur passe-droit, après tout, rien à foutre de la surveillance de la surveillance. Mais bon, son examen approfondi de l’intéressé n’a curieusement rien donné. Seules ses anciennes inculpations sont remontées, celles déjà connues de son passé d’activiste anarchiste. Mais Sonja Antonescu se dit que – non, mieux: elle le sait, c’est à la fois empirique et mathématique – les individus comme ce Doppelmayr ont forcément continué à se mouvoir entre l’ombre et la lumière. Certains portent la rébellion et la tragédie en bandoulière.
Il faut savoir aussi que Sonja s’est révélée douée pour ce travail. Elle s’est découvert une prédilection pour une capacité particulière: celle de fouiner dans la vie des autres afin d’en exhumer la part obscure. Elle pourrait même le faire avec son compagnon, ses parents ou amis, mais c’est une ligne rouge qu’elle s’est juré de ne jamais franchir même si, parfois, la tentation est là, cette attraction ambiguë pour les recoins de l’âme humaine. Au fil de ces mois d’apprentissage, elle a su tisser un premier réseau avec ses collègues européens de même génération, une sorte de confraternité de jeunes gens liés par une activité similaire, dans un jeu d’alliance de drapeaux frères. Et là, justement, elle attend la réponse d’un certain Guillaume R. de la DGSE à Paris.
Sonja est montée faire une pause sur le toit du bâtiment végétalisé. Elle s’accorde une de ses trois cigarettes par veille, son smartphone dans les mains en attente d’un message sur Slingshot.
Elle fume et regarde la silhouette de sa ville natale dans la nuit bleue: la flèche de la cathédrale Saint-Vincent, le halo des lumières de la vieille ville et, plus haut, l’écho des étoiles pointant si loin, au cœur de la galaxie, du côté de la nébuleuse d’Orion. Elle s’y perd un instant, Sonja, s’oublie un peu, s’éloigne de l’inframince et du contingent qui est pour elle le destin d’un homme à traquer. Elle soupire. Quel est le prix à payer de la délation? La dignité, peut-être. Même quand elle se veut justifiée.
Et puis l’appareil vibre dans sa poche.
Et le message arrive.
Elle éteint sa cigarette dans le cendrier sur pied, touche son écran, ouvre le dernier mail et se met à lire.
Salut S.
Addendum au curriculum vitæ du sujet masculin Wolf Doppelmayr en relation avec son dernier employeur connu (société Total Energies de 1989 à 1995, Nigeria): formation d’artificier C4/T2, puis d’artificier démineur obtenue lors d’un séjour en France en 1994. Cette même année, sa femme d’origine malienne et sa petite fille sont enlevées par les gangs de Shina Rambo et exécutées malgré le versement de la rançon par l’employeur.
Un pot quand tu viens à Paris? Bises. G.R.
«Merde», dit-elle.
Et sélectionne le numéro d’Odile Lanz.
Le silence – l’homme ne s’est plus manifesté depuis ses coups de feu de la veille malgré les appels réitérés à se rendre. La cible – l’homme est seul et sans otages.
Après la réunion, Odile Lanz, son état-major et le détaché au Département fédéral de la défense sont arrivés à la conclusion unanime de la nécessité d’une intervention.
Un rebelle, un cas déviant qui commence à mobiliser l’actualité nationale. Déjà, une petite foule compacte s’est réunie aux abords du périmètre sécurisé et des caméras des journalistes. Surtout des jeunes après la fermeture des bars, assis par terre avec leurs canettes de bière et des joints, défiant ouvertement les flics. Avec ces foutus téléphones mobiles et leur Facebook, ils sont capables de se réunir en un temps record. Le point presse du porte-parole, aussi minimaliste fût-il, a attisé leur curiosité.
Un vioque, putain.
Un truc de ouf.
Un vioque avec un gun dans sa baraque qu’il veut pas lâcher.
Les mythes sont des lignes claires.
Des archétypes. Des échantillons de vie. Des schèmes puissants.
Ils puisent au plus profond de notre être, dans les récits fondateurs et ancestraux.
Ils viennent de loin.
Prométhée, Narcisse, Antigone, Sisyphe, Médée.
La mère courage. Le père vengeur. Le fils prodigue.
Le vieux rebelle.
Le vieux qui refuse de se rendre.
Le vieux qui refuse de mourir.
Tout ça, fait beaucoup pour Odile Lanz. Tout ça pèse sur son orgueil, elle qui est née un 17 août. C’est à la fois la force et la faiblesse du Lion. Son orgueil le pousse à atteindre des sommets et à se dépasser pour parvenir à ses objectifs. Malheureusement, cette facette de son caractère le rend très susceptible. La moindre critique ou contrariété peut le plonger dans une terrible colère.
Tout ça fait qu’elle ne suit pas son intuition initiale: attendre le rapport de cette Sonja Antonescu. D’autant plus que sa dernière conversation avec la jeune femme, qui remonte à plus d’une heure maintenant, semble confirmer que le sujet restera muet et ne donnera pas d’autres informations sur son pedigree.
Le calcul bénéfice/risque est à l’avantage de ses hommes.
L’assaut est donné par le groupe Gentiane à 01:20.
Trente secondes plus tard, son téléphone vibre dans la poche de son treillis.
Mais il est trop tard.
Trop tard parce que deux petites explosions, déclenchées par des câbles tendus entre les frondaisons, fauchent les premiers grenadiers approchant la maison par l’arrière. Les deux hommes blessés appellent leurs collègues en braillant. Un pied et une jambe en charpie.
Le commandant Lanz ordonne aussitôt d’interrompre l’assaut, et de secourir les blessés sans approcher davantage le périmètre de la maison tant qu’il ne sera pas sécurisé.
Cris, ordres (ça gueule dans tous les sens), lasers de fusils à lunette sur les murs délabrés. Plusieurs coups de feu sont tirés contre la façade.
(«C’était le chaos, c’était la guerre», dira un journaliste).
Odile fait immédiatement cesser les tirs, personne n’a donné l’ordre, Blödian!
Ça se corse, putain.
Les deux grenadiers n’osent pas regarder leurs jambes.
Odile Lanz a besoin de réfléchir. Elle écrase son orgueil sous la semelle. Il s’agit de raisonner, de ne pas céder à l’instinct qui lui dirait de faire sauter cette foutue baraque avec l’enfoiré qui se trouve à l’intérieur. Elle veut y voir clair et demande qu’on installe rapidement des projecteurs afin d’éclairer le pourtour de la maison.  «Grouillez-vous, Gottverdammt
Engins Explosifs Improvisés (EEI), voilà ce qu’elle pense. Elle prend son téléphone, voit l’appel en absence de Sonja Antonescu. Odile Lanz s’éloigne de ses hommes et la rappelle.
Ecoute ce que Sonja lui dit.
Met fin à la conversation.
Appelle à elle le major Künzi: «Faites évacuer les maisons avoisinantes, voyez avec la municipalité pour les loger à l’hôtel. Je veux également que l’on avertisse l’établissement scolaire limitrophe, il n’y aura pas de reprise de l’école avant que le sujet soit appréhendé.
– Mais commandant, nous sommes en pleine nuit et…
Schnell!
– A vos ordres mon commandant.»
Plus loin, des journalistes ont profité de la confusion pour se faufiler aux premières loges. Ils filment blessés et secours dans ce qui ressemble tout à coup à une scène de guerre. Des policiers les ceinturent et les évacuent, mais déjà les premières images sont dans la boîte. Et ça, ça fait vraiment chier, putain.
Odile Lanz se demande si Petites Couilles Künzi ne lui porterait pas la poisse, aussi.
Quant à Wolf Doppelmayr, il ne se manifeste toujours pas. La poudre a parlé pour lui.
Si ton ennemi te semble colérique, cherche à l’irriter encore davantage. (Sun Tzu)
Prochain épisode: Les forces spéciales tombent sur un os
Joseph Incardona est né en 1969. Il est l’auteur d’une quinzaine de romans, dont le dernier, «Les Corps solides», est paru le 25 août aux Editions Finitude. Dans le feuilleton proposé ici, il part d’un fait divers lui permettant d’explorer un de ses thèmes de prédilection, celui des perdants magnifiques: l’individu confronté à la confluence du fatum et du tragique, sa lutte pour la dignité et l’affirmation de soi.
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