Un homme patiente à l'accueil d'une agence Pôle emploi à Paris, le 25 mars 2016. – JACQUES DEMARTHON / AFP
Le licenciement de Jérôme Ferrand pour motif économique en 2017 marque le début d’une période troublée pour ce commercial dans le bâtiment. Depuis six ans, cet homme de 57 ans “jongle entre les petits emplois” et le chômage.
Et même avec une dizaine d’années d’expérience derrière lui, cet habitant d’Antibes (Alpes-Maritimes) peine à trouver des missions ou des contrats au long-terme qui lui permettraient d’atteindre l’âge de la retraite sereinement. D’autant plus si, comme la réforme présentée par le gouvernement le prévoit, l’âge légal de départ passait de 62 à 64 ans.
Le quinquagénaire ne se fait pas d’illusions, et sait qu’en France, le marché du travail a encore tendance à se montrer hostile vis-à-vis des seniors. En effet, le taux d’emploi des 55-64 ans ne s’élevait qu’à 56% en 2021: un chiffre en progression mais toujours en dessous de la moyenne européenne.
Sur la Côte d’Azur, Jérôme Ferrand affirme ne trouver que des contrats à court ou moyen terme dans des petites et moyennes entreprises (PME): “Ma situation n’est pas stable, mais on prend ce qu’on trouve, on n’a pas le choix parce qu’on essaie de garder ses droits (au chômage). On essaie de toujours repousser les échéances pour essayer d’aller au bout, d’atteindre la retraite en mettant tout bout à bout”.
Pour lui, “les seniors sont dévalorisés dans ce pays”. “Au cours de discussions avec des professionnels, on m’a d’ailleurs déjà sorti que les seniors étaient plus difficiles à manager et qu’ils rentraient moins facilement dans le moule.”
“Le coup de massue” a été le même début janvier pour Catherine L., cadre supérieure de 57 ans, lorsque son entreprise en informatique a décidé de se séparer d’elle dans le cadre d’une réorganisation structurelle. “C’est d’une extrême violence: on m’a clairement dit que je n’avais plus ma place dans la nouvelle organisation de l’entreprise”, déplore cette ancienne “key account manager” à la Défense à Paris.
“C’est la double, voire la triple peine… C’est frustrant: j’ai vraiment l’impression qu’on s’est débarrassé de moi afin de pouvoir employer des jeunes à moindre prix et faire plus de bénéfices”, déplore cette femme, qui a défilé ce jeudi contre la réforme des retraites aux côtés de ses proches.
Elle regrette “une réforme profondément injuste” qui va reculer d’au moins un an son départ à la retraite, initialement prévu pour octobre 2027. Pour autant, Catherine n’est pas du genre à se résigner facilement. Si elle est déterminée à se retrousser les manches, elle est aussi consciente que la tâche qui l’attend va être compliquée, surtout si elle souhaite garder les mêmes prétentions salariales et le même niveau de vie.
Cette phrase, Jacques Peronnet se l’est lui-aussi beaucoup répétée au cours de ses deux dernières années de chômage. “C’était devenu mon obsession”, raconte à BFMTV.com cet ancien directeur commercial, licencié en décembre 2020 après 19 ans dans la même entreprise de région parisienne. À 59 ans, Jacques Peronnet témoigne de “la difficulté de devenir chômeur” à quelques années de la retraite, à l’âge où on prépare habituellement plutôt ses cartons que de nouveaux CV.
“Au début, je pensais que l’affaire serait pliée en un an. Mais la vie m’a vite fait déchanter”, raconte le père de famille. “Pourtant, j’ai tout essayé. J’ai envoyé près de 300 candidatures à droite à gauche, multiplié les formations. Mais rien n’y faisait… Ça ne mordait pas. On me répondait parfois que ‘j’avais un beau profil, et qu’avec 5-7 ans de moins, je serai le candidat parfait’, mais qu’à profil égal avec un autre candidat, on choisirait forcément un quadra à moi.”
“C’était dur car plus les années passaient, moins je savais que j’avais de chance de remettre un pied en entreprise”, poursuit le quinquagénaire. “Le fait de se rapprocher de la retraite, ça me mettait une pression.”
Au bout de deux ans, Jacques Peronnet a finalement retrouvé un emploi de “directeur du développement” début janvier grâce à un stage réalisé en fin d’année dernière dans le cadre d’une formation payée par Pôle emploi. Mais il reste “profondément marqué” par une “période de brouillard”, “un tunnel fait de grande souffrance morale” qui l’a “broyé mentalement” au cours de laquelle il ne s’est pas réellement senti accompagné.
Aujourd’hui, celui qui approche la soixantaine veut “tordre le cou à la mentalité française” qui considère que les salariés de plus de 55 ans sont inaptes ou périmés pour le marché du travail. “C’est terrible parce que ces refus à répétition ont fait naître chez moi un syndrome de l’imposteur. J’avais l’impression d’être un bon à rien, ce qui est un sentiment normal puisque personne ne veut de vous. J’avais par exemple l’impression que je n’étais plus capable de mener des négociations commerciales.”
Pourtant, “tous les réflexes reviennent” une fois sur le terrain professionnel, se réjouit ce “directeur du développement”, qui dit avoir réussi à retrouver sa place dans son nouvel emploi, au sein d’une entreprise de produits de traitement du bois basée entre Mulhouse et Colmar (Haut-Rhin).
Le recul de l’âge de départ à la retraite ne lui pose pas de problème: pour lui, “cette réforme est nécessaire si on veut garder le système par répartition, tant qu’elle prend en compte la pénibilité de certaines professions”. Jacques Peronnet s’est d’ailleurs déjà mis en tête de rester dans l’emploi jusqu’à 65 ans.
Afin d’améliorer l’employabilité des seniors, la réforme des retraites présentée par le gouvernement prévoit la mise en place d’un “index seniors” qui sera publié pour toutes les entreprises de plus de 1000 salariés dès cette année et 300 salariés dès 2024. Il permettra de “valoriser les bonnes pratiques et de dénoncer les mauvaises”, et son absence pourrait déboucher sur des sanctions.
“Une bonne idée qui permettrait d’afficher les mauvais élèves”, pour Jérôme Ferrand. “S’il n’y a pas de pénalités ni d’obligations, rien ne changera”, rétorque Catherine L. “Ça n’a aucun intérêt”. Quant à Jacques Peronnet, il préfère de loin “la pédagogie” aux systèmes de quotas. “Il faut faire les choses plus plus intelligemment. Là, ça donne vraiment l’impression de forcer les entreprises à incorporer les dinosaures coûte que coûte.”
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