Né le 10 juillet 1871 et mort le 18 novembre 1922 à Paris, à 51 ans, Marcel Proust s’est « longtemps couché de bonne heure ». Ce qui n’a pas empêché l’écrivain inhumé au cimetière du Père-Lachaise à Paris, d’écrire un chef-d’œuvre majeur de la littérature mondiale. Pourtant, au départ, ce n’était pas gagné. En quête de formes nouvelles, l’écrivain s’est longtemps cherché, entre journalisme, essais, premier roman abandonné et écrits autobiographiques épars.
Automne 1912. Le jeune Marcel Proust vient de terminer son premier roman, alors intitulé « Le temps perdu. » Seize ans après avoir publié, à 24 ans, en 1896, un premier ouvrage, « Les plaisirs et les jours », un recueil de poème en prose et de nouvelles tombé aux oubliettes. Quand il dépose son nouveau manuscrit à la NRF, la maison d’édition fondée un plus tôt par un certain Gaston Gallimard, c’est André Gide (1869-1951) qui l’ouvre en premier. Manque de chance : l’auteur des « Nourritures terrestres » tombe sur la description d’une infusion de tilleul… Interminable et beaucoup trop proustienne pour le futur prix Nobel de littérature qui refuse le manuscrit et le fait retourner à son expéditeur. Qu’à cela ne tienne : ce dernier ne lâche pas l’affaire. Il publie son roman à compte d’auteur chez Grasset. Paru sous le titre « Du côté de chez Swann », le 14 novembre 1913, le livre connaît aussitôt un vif succès, y compris à l’étranger où il est salué par le « Times » qui le place dans la lignée d’un autre géant de la littérature, Henri James. Quand même.
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Si ça y ressemble (au moins pour la thématique), ce n’est pas du Proust, mais du Dave. Écrite par l’auteur Patrick Loiseau, son compagnon d’alors, et le compositeur Michel Cywie, la chanson interprétée par le chanteur néerlandais, né en 1944 à Amsterdam, est parue en single en 1975 et a cartonné en France. Elle s’est classée à la troisième place du hit-parade et s’est écoulée à plus de 400 000 exemplaires.
Pour toute une génération de lycéens, Dave a dépoussiéré l’œuvre de Proust, en leur ouvrant les yeux sur la possible modernité d’un auteur incontournable (et donc réputé a priori d’un ennui mortel) des programmes du bac. Pas mal, pour un chanteur étiqueté « à minettes ».
Gide s’est longtemps mordu les doigts d’avoir refusé le premier roman de Proust. Il lui a d’ailleurs présenté des excuses restées dans les annales de l’histoire de la littérature : « Je me confesse à vous ce matin, vous suppliant d’être pour moi plus indulgent que je ne suis aujourd’hui pour moi-même ». Proust, rancunier, lui a voulu encore plus longtemps. Mais il a accepté de publier la suite d’ « À la recherche du temps perdu » avec Gallimard. Et c’est avec le plus prestigieux des éditeurs français qu’il remporte, en 1919, le prix Goncourt, pour le roman « A l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Bien vu.
Si l’on additionne le contenu des sept tomes, 3 000 pages, 1 300 000 mots et 9 609 000 caractères écrits et publiés pendant plus de quatorze ans, le chef-d’œuvre de Proust est un pavé monumental. Dans ce livre littéralement hors norme, les phrases comptent, en moyenne 43 mots, contre une vingtaine en moyenne chez les écrivains de langue française. Dans « Les Misérables » de Victor Hugo, la phrase la plus longue contient 823 mots mais Marcel Proust, champion des points-virgules, fait mieux dans « La Recherche », puisque l’on trouve dans Sodome et Gomorrhe une phrase de 856 mots !
Ce qui ne l’a pas empêché d’écrire aussi l’une des phrases les plus courtes de la littérature et aussi la plus connue : « Longtemps je me suis couché de bonne heure. » Huit mots mythiques qui constituent l’incipit de son œuvre majeure. Les profs de français qui conseillent à leurs élèves de faire des phrases les plus courtes possibles, n’ont donc pas non plus tout-à-fait tort…
À défaut d’avoir lu son œuvre, une somme dans laquelle on hésite parfois à se lancer, tout le monde connaît Proust et sa fameuse madeleine, ce petit gâteau qu’il a rendu célèbre dans son obsession de la quête du passé, ce « temps perdu ». Dans « Du côté de chez Swann », c’est en effet une petite madeleine qui déclenche chez le narrateur un doux souvenir lié à l’enfance. Sa tante avait l’habitude de lui donner de petites madeleines trempées dans du thé. Quand il goûte à nouveau à une madeleine, c’est tout un passé oublié qui resurgit ainsi involontairement.
En 2001, le cercle littéraire proustien de Cabourg-Balbec a créé un prix littéraire, le prix de la Madeleine d’or, ou prix du Cercle littéraire proustien, décerné tous les deux ans. Pourtant grâce à un texte de Proust lui-même publié par « Le Figaro », on sait que le gâteau iconique avait d’abord été du pain rassis, puis du pain grillé et enfin une biscotte. On est d’accord : le prix de la Madeleine d’or, ça a quand même une autre gueule que celui de la Biscotte d’or.
À la manière de Balzac, Proust, par son analyse du snobisme et des ressorts de la société aristocratique et bourgeoise de son temps, interroge les mobiles sociaux de l’individu, instruments de l’ascension sociale, et son rapport aux autres. Depuis « Du côté de chez Swann » jusqu’au « Temps retrouvé », son œuvre réserve aussi une place importante à l’homosexualité, en particulier dans « Sodome et Gomorrhe », avec le personnage du baron de Charlus. Tous les lecteurs de Proust le savent : s’il ne l’a jamais reconnu ouvertement, l’auteur de « La Recherche » était homosexuel et son orientation sexuelle le tourmentait, à une époque où l’homosexualité était très mal acceptée par la société. Il aura pourtant été l’un des premiers en son temps à lever le tabou de l’homosexualité dans la littérature.
L’écrivain souffre depuis toujours d’un asthme sévère. Au fur et à mesure que sa santé se détériore, il lui devient de plus en plus difficile de travailler. Précieuse assistante plus que simple gouvernante, Céleste Albaret (1891-1984) l’épaule dans la rédaction de son œuvre. Vers la fin de sa vie, elle rédige carrément le manuscrit, sous sa dictée. Reconnaissant, l’écrivain a donné son nom à l’un de ses personnages, dans « Sodome et Gomorrhe ». Originaire d’Aurillac en Lozère, Céleste était montée à la capitale, après son mariage avec un chauffeur de taxi parisien. Durant huit années, jour et nuit, nuit et jour, elle prendra soin de Marcel Proust qui l’a engagé en 1913, et veillera sur lui jusqu’à sa mort, en 1922. L’histoire restera méconnue jusqu’à ce qu’elle couche ses souvenirs, à 82 ans, dans un livre intitulé « Monsieur Proust », qui dresse un portrait sensible et bouleversant du romancier, publié en 1973.
En 1976, l‘Union astronomique internationale a nommé Proust un cratère d’impact de la planète Mercure, en hommage à l’écrivain. Son diamètre est de 145,09 km et il se situe dans le quadrangle de Kuiper (quadrangle H-6) de la planète sur laquelle chaque cratère porte le nom d’un écrivain ou d’un artiste célèbre.