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Elle vit loin de Paris, protège jalousement son jardin secret et trace sa route dans le cinéma français Telle la Louise qu’elle incarne dans le très beau « Django ». Elle est libre, Cécile !
Paris, 1943, sous l’Occupation. Le musicien tsigane Django Reinhardt triomphe sur toutes les scènes. Les Français comme les Allemands l’adorent et l’admirent. Pendant ce temps-là, son peuple est arrêté et envoyé dans des camps d’extermination en Pologne. Ce n’est qu’en 1979 que le parlement de la RFA reconnaîtra la persécution des Tsiganes, puis le génocide en 1982. Le long-métrage d’Étienne Comar ne porte pas sur cette extermination, mais sur une prise de conscience. Quand le film commence, Django Reinhardt, à qui Reda Kateb prête merveilleusement ses traits, n’a conscience de rien. Du moment que le public aime sa musique, il est content. La Seconde Guerre mondiale est la guerre des Blancs, ceux que les Tsiganes nomment les “Gadjé”, le peuple nomade ne se sait pas en première ligne. Dans ce beau premier film, Cécile de France incarne Louise, une femme de l’ombre pleine de mystère. Elle est celle qui va ouvrir les yeux du nouveau dieu du swing. Non par des discours, mais par son amour, son aura de femme libre, la fascination qu’elle exerce sur lui. « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité », faisait dire Jean Cocteau à Jean Marais dans le texte « Le Menteur », écrit pour lui pendant la guerre. Le célèbre aphorisme pourrait être signé par Louise. Elle vit à Paris et disparaît en Allemagne. C’est une femme qui fait tourner les coeurs, reste insaisissable, et qui semble incroyablement maîtresse de ses sentiments en dépit de l’amour qu’elle éprouve pour Django. Personne, sauf elle, ne sait de quel côté elle est. Cécile de France, dans le rôle d’une ambiguë ? C’est une excellente idée de distribution, tant la comédienne frappe, quand on la rencontre, par sa sincérité. Entretien avec une star qui ne ment jamais.
ELLE. Qu’est-ce qui vous a attirée dans cette aventure ?
Cécile de France. Je connaissais un peu l’histoire du peuple gitan depuis que j’étais allée à un festival de musique tsigane au Rajasthan, en Inde. Cette musique ne prend pas une ride, n’est pas cantonnée à une époque ou à une mode. Elle parle aux enfants comme à leurs grands-parents. Les Manouches de « Django » sont interprétés par des Gitans de la communauté tsigane de Forbach, dans l’est de la France, et cela a été extraordinaire de travailler avec eux. Grâce à eux, ce tournage a eu une valeur commémorative. Il n’existe presque aucune fiction sur le sort des Gitans pendant la guerre. Sans doute parce qu’ils n’ont jamais cherché à faire le récit de leur persécution, à construire une mémoire et des mausolées.
ELLE. Tous les Gitans du film le sont donc dans la vie ?
Cécile de France. Oui. La communauté de Forbach, sédentarisée, a gardé sa langue – ce mélange d’allemand et de romani. Reda Kateb s’est nourri de leur authenticité pour construire son personnage de Django. En échange, il les accueillait sur son terrain de jeu, il les mettait à l’aise avec la caméra. C’était vraiment beau, cette cohésion entre Reda, le réalisateur, Étienne Comar, et les Gitans. C’est courageux de la part d’Étienne de tourner son premier longmétrage avec autant de non-professionnels. C’est aussi un film sur la musique. Or, filmer la musique dans une fiction, faire en sorte qu’elle ne soit pas illustrative mais qu’elle soit le noyau palpitant est ce qu’il y a de plus difficile.
ELLE. Votre personnage est ambigu. Est-ce son amour pour Django qui motive Louise ? Ou une cause qui le dépasse ?
Cécile de France. Louise est presque plus amoureuse de sa musique que de Django. Le film n’en fait d’ailleurs pas un héros, il est lâche, égoïste, égocentré. Il était important qu’on n’identifie pas complètement le ressort de Louise. C’est son mystère qui est intéressant àjouer. On ne sait pas de quel bord elle est… Louise est un personnage de fiction inspiré par la photographe Lee Miller, une femme intrépide et féministe : l’égérie de Man Ray, de Cocteau, le modèle de Picasso, mais aussi une correspondante de guerre en 1942 pour « Vogue » ! On en a fait le symbole de toutes ces femmes qui adoraient Django et l’ont sorti de la rue pour l’introduire dans le groupe d’artistes de Montparnasse. Django et elle auraient pu se rencontrer et tomber passionnément amoureux.
ELLE. Il est rare de vous voir en femme fatale…
Cécile de France. Dans la vie, je ne sais pas, mais au cinéma, j’adore être une muse. Je me suis sentie la muse du directeur de la photo du film, Christophe Beaucarne. On s’est beaucoup inspiré des films noirs avec Lauren Bacall. Django était fan des films américains, notamment ceux avec Clark Gable. Comme il n’y a pas beaucoup de traces documentaires sur Django Reinhardt, on n’était pas contraint par un réel trop présent, on pouvait laisser nos pensées en roue libre.
ELLE. Que vous ont raconté les Gitans de Forbach sur leur vie actuelle ?
Cécile de France. Ils ne vivent que pour la musique ! Ils naissent musiciens, ils chantent, ils dansent. Et « Django » raconte aussi cela : la musique donne la liberté.
ELLE. Dans le film, Django vit dans une bulle, il ne s’engage pas alors que son peuple est persécuté…
Cécile de France. Le plus étonnant est que le prénom Django veut dire « je réveille » ou « je m’éveille ». Et il finit par s’éveiller à Thonon-les-Bains, en 1943, lorsque Louise le persuade de passer en Suisse avec toute sa famille élargie. C’est à ce moment-là qu’il compose le requiem pour son peuple, dont il ne reste que quelques notes, et qu’on entend durant le générique de fin. Il ne savait pas écrire la musique, mais il demandait à l’un de ses musiciens, Plume, de la noter pour lui. Cette partition a disparu, mais grâce à un fragment qui a échappé à la destruction, Warren Ellis s’est réapproprié ce requiem et en a fait un morceau bouleversant. Quand Django dirige ses musiciens, on comprend qu’il a enfin ouvert les yeux.
ELLE. En tant que Belge vivant en France, à la campagne, depuis longtemps, comment regardez-vous l’élection présidentielle ?
Cécile de France. Ma famille amicale est aujourd’hui plus nombreuse en France qu’en Belgique. Mais comme je ne vote pas, je me sens privée de parole, je ne peux pas m’exprimer directement. Ma parole ne pourrait servir qu’à convaincre les gens autour de moi d’aller voter. La culture française, notamment politique, est très étrange pour une Belge. En classe, on apprend que la France est le pays de la Révolution, que le peuple a décapité son roi, mis la tête des aristocrates sur des piques. Pourtant, c’est en France que le Président ressemble le plus à un roi. Cette élection d’un seul homme a une importance dingue. Il y a un culte de la personnalité à l’égard du président de la République que je comprends mal.
ELLE. Vous avez bien un roi en Belgique ?
Cécile de France. Oui, mais il reste dans l’ombre. Il n’a aucun pouvoir. Son rôle n’est qu’affectif et social. On ne l’élit pas, on ne le choisit pas. Il naît roi pour les Wallons comme pour les Flamands. En Belgique, il n’y a pas vraiment cette culture du débat, ces oppositions d’idées entre la droite et la gauche. On a d’autres problèmes. Par exemple, le pays a connu une période sans gouvernement. Tout se focalise sur le mur invisible qui sépare Flamands et Wallons. Moi qui suis de Namur, je ne connais aucun Flamand et je n’ai jamais tourné en Flandres.
ELLE. Avez-vous beaucoup d’amies actrices ?
Cécile de France. Non, parce que je vis loin de tout. Mais j’ai toujours été étonnée par l’affection que me manifestaient les actrices françaises que je rencontrais. Quand je suis arrivée en France, je m’attendais à ce que nos relations soient beaucoup plus violentes. Après tout, il n’y a pas trente-six rôles. Je me suis toujours sentie la bienvenue. On ne m’a jamais reproché d’être l’étrangère qui vient piquer le travail des Françaises !
ELLE. Vivez-vous dans une région où les étrangers sont suspects ?
Cécile de France. Le FN y bat des records, ses électeurs, dont certains sont très intelligents, choisissent ce parti par crainte de tout ce qui est différent d’eux. À force d’entendre que l’autre est un danger, on a rendu acceptable la xénophobie. La méconnaissance de l’autre se nourrit d’ellemême car, là où je vis, il n’y a pas d’étrangers.
ELLE. La montée du Fn vous inquiète-t-elle ?
Cécile de France. Elle me terrifie, mais je ne peux pas avoir d’hostilité pour tous ceux que je connais et qui votent FN. Je peux seulement espérer secrètement qu’en voyant « Django » l’un d’eux fasse le lien entre la persécution des Gitans pendant la guerre et ce qui se passe aujourd’hui, notamment pour les Roms. Dans mon village, ils sont très mal vus, dès qu’il y a un vol, on les accuse…
ELLE. Vous refusez d’être un porte-drapeau, pas même celui d’une marque…
Cécile de France. C’est une manière de ne pas être complètement inféodée au star-système, même si je pense faire déjà beaucoup trop de concessions… Je veux garder ma liberté d’artiste. Je suis écolo, j’ai été élevée avec des valeurs anticapitalistes. Il en reste quelque chose.
ELLE. En ce sens, peut-on dire que vous êtes engagée ?
Cécile de France. Dans mon quotidien, et notamment dans l’éducation de mes enfants, je défends mes valeurs, mais je ne suis pas quelqu’un qui manifeste ou qui signe des pétitions. C’est à travers mon art que je m’engage. Grâce à mes rôles, je peux réveiller des consciences, m’immiscer dans la vie des gens. J’aime incarner des personnages qui remettent en question les préjugés et qui continuent de résonner après qu’on les a croisés dans un film.
« Django », d’Etienne Comar, en salle le 26 avril 2017.
Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 31 mars 2017.
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