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BALLAST • Toulouse : quand on veut raser un quartier – Revue Ballast

Depuis vingt ans, l’Agence natio­nale pour le renou­vel­le­ment urbain (ANRU) fait s’é­crou­ler les grands ensembles HLM des quar­tiers popu­laires. « Renouvellement urbain » : si l’ex­pres­sion est poli­cée, la réa­li­té qu’elle recouvre l’est moins. À la place des immeubles exis­tants, des habi­tats plus petits et, sur­tout, moins acces­sibles, sont construits. C’est le fer de lance des poli­tiques publiques visant, dans des métro­poles où l’ha­bi­tat est satu­ré, à chas­ser les pauvres pour faire place nette aux classes moyennes et aisées. C’est le cas à Toulouse, dans le quar­tier de la Reynerie. La col­la­bo­ra­tion de l’ANRU avec les pou­voirs publics locaux y conduit, au nom d’une soi-disant « mixi­té sociale », à la mise en place d’une poli­tique de démo­li­tion sys­té­ma­tique et au dépla­ce­ment des per­sonnes rési­dant dans le quar­tier. Contactés, ni la mai­rie de Toulouse ni le Conseil dépar­te­men­tal n’ont don­né suite à nos demandes d’en­tre­tiens. La popu­la­tion, elle, nous a répon­du. ☰ Par LoezBALLAST • Toulouse : quand on veut raser un quartier - Revue Ballast L’automne à Toulouse res­semble à un été qui s’é­ti­re­rait pares­seu­se­ment. Le bleu du ciel refuse de se lais­ser engri­sailler par de gros nuages. À la sor­tie du métro Reynerie, au sud-ouest de la ville, le gou­dron noir de la place Abbal est écra­sé de lumière. Les eaux du lac arti­fi­ciel scin­tillent. À l’autre bout de la place, des bif­fins ont éta­lé leurs mar­chan­dises à même le sol, à proxi­mi­té du centre social et des loge­ments dont les façades neuves signalent la pre­mière étape du pro­jet de recons­truc­tion du quar­tier, ache­vée quelques années plus tôt. Près de la bouche du métro, une cin­quan­taine de per­sonnes se sont ras­sem­blées autour d’un bar­num blanc ins­tal­lé entre deux hauts sapins, que le vent agite mol­le­ment. Des ban­de­roles ont été accro­chées : « Partir ou res­ter, à nous de déci­der » clame l’une d’elle en lettres bleues et rouges. Une autre demande « un mora­toire pour la réha­bi­li­ta­tion » et appelle à stop­per « la casse des HLMs ». Le ras­sem­ble­ment est orga­ni­sé par l’Assemblée des habitant·es de la Reynerie, qui se mobi­lise depuis plu­sieurs années pour ten­ter de stop­per le pro­jet de démo­li­tion du quar­tier impul­sé loca­le­ment par la Mairie de Toulouse et le Conseil dépar­te­men­tal de la Haute-Garonne, et sou­te­nu au niveau de l’État par l’Agence natio­nale pour le renou­vel­le­ment urbain (ANRU). Le col­lec­tif, consti­tué de per­sonnes qui refusent de quit­ter les lieux dans les­quels ils ont vécu par­fois plu­sieurs dizaines d’an­nées, mul­ti­plie les inter­pel­la­tions des pou­voirs publics, et assiste les habitant·es dans leurs démarches.
Des ombres sur le sol : une nuée de pigeons. Les témoi­gnages rela­tant des vies bou­le­ver­sées par les pro­jets de des­truc­tion s’en­chaînent au micro. Chacun des immeubles porte un nom qui, plus que celui des rues, sert ici de repère. Messager, Grand d’Indy, Poulenc, Cambert et Gluck sont les bâti­ments pro­mis aux pelles voraces des bull­do­zers. Sur un côté de la place, der­rière les com­merces, les planches de bois jaunes qui obs­truent les fenêtres de Gluck sont autant de plaies dans la façade grise d’un géant de béton ago­ni­sant sous les coups des poli­tiques de la ville. À l’in­té­rieur, des portes blin­dées condamnent l’ac­cès aux loge­ments abandonnés.
« Imaginez socia­le­ment le fait d’être dans son séjour et qu’à 50 cen­ti­mètres, l’ap­par­te­ment et les gens que vous connais­sez et qui étaient là dis­pa­raissent bru­ta­le­ment. »
Lorsque le pro­jet du Mirail a été lan­cé au début des années 1960, les archi­tectes n’imaginaient pas seule­ment bâtir une ville nou­velle cen­sée accueillir près de 100 000 habitant·es sur plus de 200 hec­tares. Portés par une vision huma­niste, c’est un tout un uni­vers que pro­po­saient Candilis, Josic et Woods dans les trois quar­tiers concer­nés, ceux de Reynerie, Bellefontaine et celui de l’u­ni­ver­si­té. Un sys­tème de dalles, sortes de grandes places sur­éle­vées, devait per­mettre la cir­cu­la­tion pié­tonne des habitant·es, le long de grands immeubles, au pied des­quels se trou­vaient tous les équi­pe­ments publics néces­saires à la vie quo­ti­dienne. Des cour­sives cou­rant au niveau des 5e et 9e étages pro­je­taient en hau­teur l’i­dée de la rue. Protégée de la cir­cu­la­tion, celle-ci rede­vien­drait un espace de socia­bi­li­té. Au cœur des bâti­ments en forme de tri­pode, des écoles et des espaces verts. Mais le pro­jet ne ver­ra jamais entiè­re­ment le jour. Dès 1974, il subit les attaques de plu­sieurs poli­ti­ciens qui en font un champ de bataille élec­to­ral. Et ce qui fai­sait la par­ti­cu­la­ri­té du pro­jet, les dalles, les cour­sives, les bâti­ments com­mu­ni­cants, est démo­li petit à petit. « Le Mirail, dans les années 1970–1980, était très classe moyenne. La ségré­ga­tion s’est construite petit à petit », nous explique Pascal, qui y a ensei­gné de longues années. La pau­pé­ri­sa­tion, le chô­mage et les dif­fi­cul­tés sociales ont fini par dégra­der les condi­tions de vie dans le quar­tier, et son image vis-à-vis des pou­voirs publics.
En 2013, la Reynerie est l’ob­jet d’une pre­mière vague de démo­li­tions de bâti­ments qui touche cette fois-ci les bâti­ments eux-mêmes. Nadia*1, qui habite le quar­tier depuis son mariage il y a plus de trente ans, a été dure­ment affec­tée par celles-ci. Certains des immeubles sont alors cou­pés en deux, au pré­texte de recréer de l’es­pace et de l’aérer — ren­dant en même temps caduque l’in­gé­nieux sys­tème de cir­cu­la­tion par les cour­sives. « La pre­mière des­truc­tion a bri­sé mon réseau social. Tu vois, l’ap­par­te­ment où tu as pas­sé ta vie, tout est sur mesure, c’est bri­sé d’un seul coup. Ils détruisent ta vie petit à petit. Recommencer ça en 2022, non. » Nadia est alors « entrée en bataille » et a rejoint l’Assemblée des habitant·es. « Changer le quar­tier pour qui, pour quoi ? reprend-elle. Moi je le voyais pas pire. Si cha­cun avait fait ce qu’il devait on n’en serait pas là. Ils sont comme des mar­chands de som­meil. Les ter­rains publics sont ven­dus au pri­vé avec des sub­ven­tions du public. » L’architecte Jean-Philippe Vassal confirme son appré­cia­tion : « Il y a une tour, une barre, on en coupe une moi­tié. C’est presque encore plus violent. Au lieu de vous tuer com­plè­te­ment on vous enlève un bras. Imaginez socia­le­ment le fait d’être dans son séjour et qu’à 50 cen­ti­mètres, l’ap­par­te­ment et les gens que vous connais­sez et qui étaient là dis­pa­raissent bru­ta­le­ment. C’est odieux. À Toulouse le Mirail c’est du déchi­que­tage qui s’est effec­tué depuis dix-vingt ans. Démolir par­tiel­le­ment c’est ce qui occupe la majo­ri­té du bud­get. Puisqu’on démo­lit cette par­tie-là, on aura d’au­tant moins d’argent pour réha­bi­li­ter le reste du pro­jet, et c’est ça qui est inco­hé­rent. »
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Si le pro­jet de recons­truc­tion du quar­tier Reynerie est à l’é­tat d’é­bauche depuis déjà vingt ans, il connaît une brusque accé­lé­ra­tion en 2015 avec l’ar­ri­vée de George Méric à la pré­si­dence du Conseil dépar­te­men­tal. Son pré­dé­ces­seur, Pierre Izard avait juré que tant qu’il serait là, il n’y aurait pas de démo­li­tion du col­lège de Reynerie. Mais le ton change avec le nou­veau pou­voir local, dont les choix idéo­lo­giques s’a­lignent avec les déci­sions prises au som­met de l’État. Georges Méric, ancien méde­cin de cam­pagne, est issu d’une dynas­tie socia­liste — le grand-père fut proche de Jaurès et le père de Mitterrand. Il est décrit par ceux qui le connaissent comme ani­mé d’une pro­fonde convic­tion répu­bli­caine et laïque2. Il n’est éga­le­ment pas étran­ger au monde des affaires : il gère en effet plu­sieurs socié­tés immo­bi­lières, ce qui ne peut man­quer d’at­ti­rer l’attention3. En octobre 2016, il publiait sur son compte Twitter : « Jaurès a dit N’ayant pas la force d’a­gir, ils dis­sertent. Nous n’al­lons pas dis­ser­ter mais agir. » C’est le début du pro­jet de mixi­té sociale, une expres­sion bien floue qui per­met de lan­cer un véri­table plan d’in­gé­nie­rie sociale, et sert de jus­ti­fi­ca­tion au pro­jet de recons­truc­tion du quar­tier — et d’é­vic­tion de ses habitant·es. Celui-ci se décline à la fois à tra­vers les des­truc­tions des bâti­ments d’ha­bi­ta­tion, mais aus­si au niveau édu­ca­tif avec celle des deux col­lèges du Mirail et la dis­per­sion de leurs élèves. « La mixi­té sociale pour nous c’est faire vivre la République », affirme Georges Méric. Il ren­ché­rit : « L’enjeu majeur, c’est mon­trer l’é­ga­li­té des chances et l’in­clu­sion répu­bli­caine dans les quar­tiers ghet­toï­sés de Toulouse. »
De fait, Méric s’ins­crit bien dans la droite ligne d’une cer­taine tra­di­tion répu­bli­caine. Celle qui veut mettre au pas des pro­vinces rétives en les pré­sen­tant comme arrié­rées. Ou celle, encore, d’un cer­tain Ferry, Jules, qui décré­tait l’ins­truc­tion publique en même temps qu’il jus­ti­fiait la colo­ni­sa­tion, affir­mant que les « races supé­rieures » ont le « devoir de civi­li­ser les races infé­rieures ». La République bour­geoise aime jus­ti­fier ses volon­tés de conquête par un dis­cours civi­li­sa­teur. Et ce n’est sans doute pas un hasard si les habitant·es des quar­tiers voués à démo­li­tion sont pour beau­coup les descendant·es de celles et ceux que la République de Ferry a vou­lu colo­ni­ser avant d’en exploi­ter la main d’œuvre.
« À Toulouse, le dis­cours de la Mairie et Département tient en quelques mots matra­qués sur des années au fil d’ar­ticles com­plai­sants : ségré­ga­tion, ghet­to et mixi­té sociale. »
Le cher­cheur Jérôme Beauchez a mon­tré, dans son étude sur la Zone de Paris4, le pro­ces­sus par lequel on se débar­rasse d’un quar­tier et de ses habitant·es devenu·es gênant·es. Fin XIXe, cette bande de terre située au pied des for­ti­fi­ca­tions de Paris, coin­cée entre la capi­tale et les ban­lieues ouvrières, est faite de construc­tions de bric et de broc. « Cet infra­monde pari­sien, fruit amer d’une moder­ni­té qui aurait dépo­sé là toutes ses misères, pas­sait pour une sorte de capi­tale des classes dan­ge­reuses » qui aurait engen­dré des « sau­vages de la civi­li­sa­tion », selon le regard sur­plom­bant que portent sur ses habitant·es les classes domi­nantes. Alors qu’il n’existe fina­le­ment qua­si­ment pas de témoi­gnages directs des zoniers, les dis­cours de poli­tiques, de jour­na­listes, d’artistes exté­rieurs à la Zone ont construit la repré­sen­ta­tion d’un ter­ri­toire de non-droit, abri­tant une menace pour la socié­té. En lisière de Paris, il s’agit pour les classes domi­nantes d’y remettre de l’ordre, à la fois dans l’espace en rasant les construc­tions illé­gales pour les rem­pla­cer par des immeubles, et chez les indi­vi­dus en leur impo­sant les normes du tra­vail, de la reli­gion, de la famille… À Toulouse, le dis­cours de la mai­rie et du dépar­te­ment tient lui en quelques mots matra­qués sur des années au fil d’ar­ticles com­plai­sants : « ségré­ga­tion », « ghet­to » et « mixi­té sociale ».
Jacques, che­veux blancs et visage affable, habite le Grand d’Indy depuis plus de qua­rante ans. Il se sou­vient avoir vu les arbres, dont les branches atteignent désor­mais le 5e étage, alors qu’ils n’é­taient encore que des arbustes. Au milieu des tri­podes, ils forment des îlots de ver­dure au centre des­quels les écoles sont pro­té­gées de la cir­cu­la­tion. « Au début, la popu­la­tion était mélan­gée. Lors des émeutes en 2005, on est allés dis­cu­ter avec les jeunes. Ils disaient, on tra­verse le par­king de Casino, il y a de belles entre­prises, mais nous on ne peut pas y aller. Mais d’autres font 50 km pour venir y tra­vailler. C’est aus­si pour ça qu’il y a du tra­fic. » Assise à l’ombre du bar­num sur la place où a lieu le ras­sem­ble­ment, Marie-Odile, retrai­tée, montre fiè­re­ment son badge siglé Nathalie Arthaud. « La vie de quar­tier ça me concerne », dit-elle, déter­mi­née. « C’est pas parce qu’on est pauvres ou pas bien fran­çais qu’on n’a pas le droit de s’ex­pri­mer. Pour payer des impôts ça ne pose de pro­blèmes à per­sonne après tout. Des chasses à l’homme et des lacry­mos, j’en ai vues. Il faut autre chose pour les jeunes que d’es­sayer de sau­ver sa peau. Chacun a droit à une place digne. »
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Marcel, sa cas­quette vis­sée sur la tête, a pris le micro pour s’a­dres­ser à la foule. Il est lui aus­si membre de l’Assemblée des habitant·es. « Ce ne sont pas des immeubles dont il s’a­git ici, mais des habi­tants et des habi­tantes. Pour la Mairie, la popu­la­tion qui habite ici doit par­tir. Ils sont en trop. Qui est ici est d’i­ci, et a le droit de res­ter et d’y vivre. » Le cour­rier indi­gné écrit par trois membres de l’Assemblée suite à une ren­contre le 29 avril 2021 avec Gaëtan Cognard, élu en charge de la poli­tique de la ville et « maire » du quar­tier, va dans le sens de ses pro­pos. Les trois femmes y témoignent d’« une sor­tie plutôt sur­pre­nante et inquiétante de la part de l’é­lu : il nous a dit que le pro­jet urbain per­met­tait de chan­ger les têtes. Nous lui avons demandé de préciser, il nous a dit : chan­ger les gens, chan­ger la popu­la­tion. » Pour Brigitte, retrai­tée active dans l’Assemblée des habitant·es, « suite aux atten­tats, il y a eu la volon­té de dis­per­ser les habi­tants du quar­tier, consi­dé­ré comme com­mu­nau­ta­riste. Pour eux, la Reynerie était une bombe à retar­de­ment, qui fabri­quait en masse de futurs petits ter­ro­ristes. Il fal­lait donc immer­ger de force les enfants d’i­ci dans d’autres milieux, d’autres quar­tiers. Comme ils ne peuvent pas ouver­te­ment par­ler de mixi­té eth­nique, ils parlent de mixi­té sociale, un argu­ment qui fait consen­sus au niveau poli­tique. »
Les pro­jets de démo­li­tion brisent les liens sociaux. Un homme âgé raconte : « Une dame qui est main­te­nant à Muret m’a dit : J’ai un beau jar­din… Mais je ne parle pas avec le jar­din ». Malik, qui habite le quar­tier depuis une tren­taine d’an­nées, est venu avec sa femme. Il ren­ché­rit : « Je connais un Comorien, il revient régu­liè­re­ment. Il a les boules là où il est. » Nombreux et nom­breuses sont les habitant·es du quar­tier qui, après avoir démé­na­gé, y passent régu­liè­re­ment. Ils ne trouvent pas sur leur nou­veau lieu d’ha­bi­ta­tion les com­merces bons mar­chés, les ser­vices publics et sur­tout le tis­su social : ami·es, voisin·es, asso­cia­tions… Les femmes en par­ti­cu­lier sont affec­tées. « Il y a le coût psy­cho­lo­gique, l’i­so­le­ment des femmes », affirme Brigitte. « Il n’y a plus la famille, les voi­sines. On perd en soli­da­ri­té. Si une maman doit se dépla­cer en urgence, ici elle peut trou­ver une amie, une voi­sine pour aider avec les enfants. »
« Ils sont en train de nous déga­ger un par un et je pense pas qu’ils vont rame­ner les mêmes per­sonnes. »
Malgré les dif­fi­cul­tés, l’at­ta­che­ment au quar­tier est bien réel, chez les ancien·nes comme chez les jeunes. Le court métrage Splendides tour­né en 2021 par la réa­li­sa­trice Meriem-Bahia Arfaoui le montre bien. Une jeune femme, Fatime, y déclare : « Pendant le rama­dan, au moment de la rup­ture du jeûne, quand tu des­cends y a tout le monde dehors. […] Ça dans vingt ans il n’y aura plus. Tu des­cends, t’as tout le monde, t’as la famille, t’as les voi­sins, la famille de tes voi­sins… Cette mixi­té, ça va par­tir, ça va dis­pa­raître. » Pessimiste face aux chan­ge­ments qui s’an­noncent, Fatima ajoute : « Ils sont en train de nous déga­ger un par un et je pense pas qu’ils vont rame­ner les mêmes per­sonnes. »
La poli­tique de relo­ge­ment, en plus de dis­per­ser les habitant·es, les isole. « Ici j’ai tout : maga­sins, métro, bus… », explique Malik. Son appar­te­ment se trouve dans l’un des bâti­ments condam­nés à deve­nir gra­vats et pous­sière. Les pro­po­si­tions de relo­ge­ment qu’on lui a fait ne le satis­font pas : « On veut m’en­voyer dans des endroits où il n’y a même pas un tram qui passe, tu es obli­gé d’u­ti­li­ser la voi­ture. »
Outre le loyer et sur­tout les charges plus éle­vées que dans l’an­cien loge­ment, le nou­vel envi­ron­ne­ment a un impact sur le bud­get des per­sonnes et contri­bue à les pau­pé­ri­ser. Difficile de trou­ver des com­merces dont les prix riva­lisent avec ceux de ce quar­tier popu­laire. Les loge­ments pro­po­sés sont sou­vent situés en péri­phé­rie de la ville, il faut alors inclure dans les frais sup­plé­men­taires les coûts de trans­port pour se rendre à son tra­vail ou en ville. Et pour les familles relo­gées en dehors de Toulouse, les frais de can­tine, de trans­port sco­laire, d’ac­ti­vi­tés péri­sco­laires peuvent s’a­vé­rer plus éle­vés. Malik reprend : « Il faut res­pec­ter la loi d’é­qui­va­lence. Les appar­te­ments pro­po­sés ont un loyer plus cher, mais sur­tout la sur­face n’est pas la même et les charges sont plus éle­vées. Je connais une dame qui est par­tie, elle paie 150 euros de plus de loyer. Mon appar­te­ment est tra­ver­sant. Si je pars dans un loge­ment neuf, qu’est-ce que ça me va me coû­ter en clim l’é­té par exemple ? Et puis le nou­veau bâti est de mau­vaise qua­li­té. Certaines per­sonnes ont honte de dire qu’elles se sont fait avoir. Il y avait une vie de quar­tier : on se connais­sait tous. Maintenant la plu­part des gens que je connais­sais che­mi­ne­ment d’Indy ont démé­na­gé. Dans mon bloc il reste Jacques, et une vieille dame. Une autre a démé­na­gé il n’y a pas long­temps. Elle avait les larmes aux yeux. Les gens ont abdi­qué à cause des pres­sions. Des per­sonnes âgées s’ac­crochent, mais les familles sont par­ties. »
[Loez | Ballast]
Rencontrée un lun­di de sep­tembre lors d’une réunion de l’Assemblée, dans les locaux exi­gus mais cha­leu­reux de l’as­so­cia­tion La Barre à Palabres, au pied du Grand d’Indy, une femme affir­mait que beau­coup de demandes de relo­ge­ment ne sont pas satis­faites : familles qui s’a­gran­dissent, per­sonnes à mobi­li­té réduite… Les per­sonnes âgées ins­tal­lées là depuis long­temps, les pré­caires et les familles nom­breuses sont les plus péna­li­sés par le pro­jet. Elle ajoute néan­moins au sujet des jeunes qu’ils « veulent bou­ger, c’est nor­mal. Il y a aus­si l’ef­fet sur le CV d’ha­bi­ter à la Reynerie ».
Les loca­taires reçoivent nor­ma­le­ment trois pro­po­si­tions de relo­ge­ment. Ensuite ils doivent se débrouiller par leurs propres moyens. « C’est illé­gal car les pro­po­si­tions doivent cor­res­pondre aux besoins des gens. Mais il faut un cour­rier de refus qui l’ex­plique pour que l’ar­gu­ment soit valide », raconte Jean-Louis, habi­tant de la Reynerie depuis une qua­ran­taine d’an­nées et membre actif de l’Assemblée. De fait, la plu­part des loge­ments pro­po­sés sont plus petits et plus chers que ceux d’o­ri­gine. Pourtant, Jean-Louis le rap­pelle, la loi et la conven­tion de relo­ge­ment sti­pulent bien « prix et sur­face équi­va­lente ». Les bailleurs sociaux jouent sur la fra­gi­li­té des per­sonnes âgées ou pré­caires, qui ne maî­trisent pas suf­fi­sam­ment les pro­cé­dures admi­nis­tra­tives, pour les for­cer à accep­ter au plus vite les offres qui leur sont faites. Malik confirme : « Quand on ne sait pas lire où écrire, dif­fi­cile de réagir et de s’op­po­ser aux pro­po­si­tions. » Et il y a les idées reçues, aus­si, comme nous le dit Jean-Louis : « Les gens se disent : On n’a pas le droit, on n’est pas pro­prié­taires. »
« Entre avoir vrai­ment envie de par­tir et se sen­tir obli­gé, ce n’est pas pareil »
L’ensemble du pro­ces­sus se fait dans la ten­sion, constate Nadia : « La peur des huis­siers occa­sionne du stress. Les per­sonnes en situa­tion pré­caire, sans papiers, ont peur, elles n’ouvrent pas leurs portes. Là ils veulent m’en­voyer aux Tintorets, à Bellefontaine, mais ça va être démo­li dans deux ans ! On me pro­pose plus petit et plus cher, ça ne me conve­nait pas, j’au­rais dû sacri­fier des choses. J’ai une super vue, pas de vis-à-vis. » Dans l’im­meuble Messager où s’é­taient ins­tal­lés des squat­teurs, la police a bri­sé les fenêtres en plein hiver pour rendre les loge­ments inha­bi­tables. Mais cela a impac­té la quin­zaine de foyers qui y vivaient encore, fai­sant chu­ter la tem­pé­ra­ture dans tout le bâti­ment, comme le raconte une habi­tante. Éreintée par sa lutte contre le syn­dic, elle se dit las­sée par le fait qu’on leur « impose des choses. Ce qui se passe dans le quar­tier de la Reynerie touche tout le monde. Ma vie a chan­gé, ma famille a été impac­tée car j’ai dû pas­ser mon temps à aller lut­ter contre ce pro­jet et défendre mes droits ».
Pour pous­ser les habitant·es au départ, en par­ti­cu­lier les pro­prié­taires qui ne veulent pas vendre, tous les moyens sont bons. À une réunion du col­lec­tif mi-décembre, une femme venue deman­der conseil avoue avoir peur la nuit, car elle est la seule qui habite encore à son étage. « Il y a le deal, l’ab­sence d’en­tre­tien, et les ascen­seurs. Les ascen­seurs, c’est un flux impor­tant, c’est un lieu de ren­contre car tout le monde est obli­gé de pas­ser par là. Quand ils ne marchent pas, ça veut dire que des per­sonnes âgées ne peuvent plus sor­tir de chez elles, et se retrouvent iso­lées », pour­suit Jean-Louis. Et d’a­jou­ter : « Entre avoir vrai­ment envie de par­tir et se sen­tir obli­gé, ce n’est pas pareil. » Face aux pres­sions des bailleurs sociaux et des pou­voirs publics, l’Assemblée reven­dique le libre choix des habitant·es de par­tir ou de rester.
[Loez | Ballast]
Enfin, démo­lir un quar­tier, c’est aus­si enter­rer un mor­ceau d’his­toire. « C’est dom­mage de voir le patri­moine par­tir en miettes ! Ces bâti­ments ont résis­té à AZF5 » regrette Nadia. « C’est toute une vie qu’ils cassent, des géné­ra­tions qui se sont suc­cé­dé. Parfois, les grands-parents ont construit le quar­tier » ana­lyse Jean-Louis. « La des­truc­tion du quar­tier, ce n’est pas que la gen­tri­fi­ca­tion, c’est la des­truc­tion de leur ins­crip­tion dans l’his­toire du pays. Si tu rases régu­liè­re­ment les lieux où les gens créent leur his­toire, c’est facile de dire qu’ils n’en ont pas. Il y a la volon­té d’empêcher un cer­tain nombre de gens de dire : on est d’i­ci. On fait comme si ça n’a­vait pas exis­té. C’est une déci­sion poli­tique et pas éco­no­mique (mais qui va quand même enri­chir les pro­mo­teurs). Une métro­pole riche comme Toulouse, vitrine des indus­tries de pointe, n’a pas de place pour les pauvres. »
Disperser et iso­ler une popu­la­tion qu’on ne veut plus voir ne suf­fit pas. Pour qu’elle dis­pa­raisse non seule­ment phy­si­que­ment mais aus­si sym­bo­li­que­ment, il faut aus­si dis­ci­pli­ner et nor­ma­li­ser les enfants de celles et ceux qu’on soup­çonne de n’a­voir pas suf­fi­sam­ment prê­té allé­geance à la République. Souvent, les descendant·es de celles et ceux qu’elle a colonisé·es. Dans cette optique, le deuxième volet du pro­jet dit de « mixi­té sociale » prend tout son sens. À la manœuvre, la même idée répu­bli­caine que celle qui, de la Bretagne au Sénégal, pour mieux assi­mi­ler les popu­la­tions, fai­sait pendre au cou des élèves des objets humi­liants quand ils par­laient une autre langue que le français.
« L’idée de mixi­té a rem­pla­cé celle d’in­té­gra­tion car ils ont échoué. »
Pour annon­cer la fer­me­ture des deux col­lèges du Mirail, Bellefontaine et Raymond Badiou, le Conseil dépar­te­men­tal orga­nise en octobre 2016 une grande réunion. La cita­tion choi­sie sur la pre­mière dia­po­si­tive de la pré­sen­ta­tion ne manque pas d’in­ter­pel­ler parents et habitant·es du quar­tier présent·es. Alors que le sou­ve­nir des atten­tats de 2015 est très pré­sent, ils voient s’af­fi­cher sur l’é­cran du vidéo­pro­jec­teur ces mots qui font mal : « La ségrégation sociale est une bombe à retar­de­ment pour la société française6 » Les expres­sions « cocotte-minute », « situa­tion explo­sive », « col­lège-ghet­to » sont éga­le­ment employées. « On te traite de ghet­to, tes enfants de bombe à retar­de­ment, de dan­ger pour la République » s’emporte Nadia. « Il est bien le quar­tier, c’est convi­vial. Il y a beau­coup d’ac­ti­vi­tés, de centres sociaux. Les gens s’en­traident. La mixi­té est déjà là. L’idée de mixi­té a rem­pla­cé celle d’in­té­gra­tion car ils ont échoué. Mais ce n’est pas de la vraie mixi­té, c’est je décide pour toi. »
Samira* aus­si s’in­digne : « Les gens pensent la mixi­té en fonc­tion de ce qui les arrange. C’est quoi ? selon les reve­nus ? selon la culture ? Mais le Karim de Cugnaux7, ce n’est pas le Karim de la Reynerie. Ici on a une forme de mixi­té déjà. J’aimerais bien savoir quel est l’ob­jec­tif de cette mixi­té dont ils parlent. Ça mar­chait bien, ce qu’il y avait, toutes les struc­tures néces­saires étaient à proxi­mi­té ». La qua­ran­te­naire pré­cise que par­mi sa ving­taine de nièces et neveux, seul·es trois habitent encore en HLM. Certain·es sont devenu·es méde­cins, fonc­tion­naires… Parlant de ses enfants, elle ajoute : « Moi j’ai deux pépites à la mai­son, mais on m’a aidé à les faire émer­ger, c’est tous les gens autour, à l’é­cole, à la biblio­thèque, au centre de loi­sirs… On entend que des choses néga­tives, on a l’im­pres­sion que ce qui fonc­tionne on ne veut pas en par­ler. Mais pour 90 % ça marche, c’est sur les 10 % qu’il reste qu’il aurait fal­lu concen­trer les moyens. »
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Le pro­jet du dépar­te­ment pour les col­lèges se déroule en deux étapes. D’abord, une fer­me­ture pro­gres­sive des éta­blis­se­ments. Le mil­lier d’é­lèves qui aurait dû y être affec­té est envoyé en bus sco­laire dans onze col­lèges plus « favo­ri­sés » de la ville. Pascal, ancien ensei­gnant du col­lège de la Reynerie, renom­mé Raymond Badiou en 2012 pour le « déta­cher » du quar­tier, explique : « Jusqu’en 2016, date de la fer­me­ture annon­cée de Badiou, c’é­tait dans ce col­lège qu’il y avait le moins de demandes de déro­ga­tions. Les gens res­taient. Cette déci­sion poli­tique est arri­vée après les atten­tats. Ils ont vou­lu créer un enne­mi : les quar­tiers et les éta­blis­se­ments dits for­te­ment ségré­gués. »
C’est une stra­té­gie de dilu­tion : les pou­voirs publics font le pari que, cou­pés de leurs pairs et de leur ancrage ter­ri­to­rial, les élèves du Mirail adop­te­ront par « ruis­sel­le­ment » les habi­tus des enfants de milieux sociaux davan­tage pri­vi­lé­giés — ou en tout cas, plus conformes à l’i­dée que la République se fait de sa jeu­nesse. Bien que le dépar­te­ment comme l’Éducation natio­nale vantent la réus­site de leur pro­jet, aucune étude sérieuse n’a encore été menée sur l’im­pact de ce dis­po­si­tif. Du côté des oppo­sants, on consi­dère que les pro­grès sco­laires des enfants n’ont rien de spec­ta­cu­laire. Surtout, un cer­tain nombre de celles et ceux qui n’ont pas su se plier assez aux nou­veaux codes de leurs éta­blis­se­ments d’ac­cueil se sont retrou­vés exclus. Les consé­quences sur les rythmes des enfants sont par contre assez simples à obser­ver : obli­gés de se lever beau­coup plus tôt pour prendre le bus, ils rentrent sou­vent trop tard pour pou­voir pra­tique des acti­vi­tés extra-sco­laires. De ce fait, la socia­li­sa­tion avec d’autres enfants du quar­tier se réduit for­te­ment, tan­dis que celle avec les enfants des col­lèges d’ac­cueil n’a lieu que de 8 heures à 17 heures les jours de semaine.
«  Au début il y a eu le loge­ment, puis ça a été le col­lège. »
Dans un même temps, deux nou­veaux col­lèges ont été construits en péri­phé­rie sud du quar­tier. Ils ont ouvert leurs doubles grilles à la pein­ture grise flam­bant neuve à la ren­trée 2022. La carte sco­laire a été pen­sée pour y mélan­ger quelques enfants du Mirail avec les enfants des quar­tiers pavillon­naires du sud de Toulouse. Mais la mayon­naise a du mal à prendre, notam­ment parce que l’Éducation natio­nale, au-delà des dis­cours de façade, n’a pas mis les moyens suf­fi­sants, et que le bras­sage social repose sur des dyna­miques bien plus com­plexes que le simple Indice de posi­tion­ne­ment social (IPS) dont on croit qu’il peut ser­vir d’in­di­ca­teur sur le niveau de dif­fi­cul­té des élèves — il sert désor­mais aus­si à clas­ser les éta­blis­se­ments, ren­for­çant les phé­no­mènes d’é­vi­te­ment de cer­taines écoles. Le socio­logue Bernard Lahire l’a bien mon­tré dans son livre Enfance de classe : capi­tal éco­no­mique et capi­tal cultu­rel ne forgent pas les mêmes habi­tus, notam­ment en termes d’a­dap­ta­tion aux normes scolaires8
Si cer­tains parents sou­tiennent l’ac­tion du dépar­te­ment, pen­sant que cela pour­ra favo­ri­ser la réus­site indi­vi­duelle de leur enfant, d’autres, comme Nadia, n’ont guère eu de dif­fi­cul­té à faire le lien entre les dif­fé­rents pro­jets dans le quar­tier. « Au début il y a eu le loge­ment, puis ça a été le col­lège. Ils ne nous ont pas dit tout de suite à nous parents du pri­maire que nos enfants devraient se lever à 6h du matin pour par­tir à Balma9. Ils ont dit, on va vous envoyer un bus place du souk. Moi je ne connais pas ce lieu, place du souk. Ils vou­laient par­ler du mar­ché. Ils ont dit, il faut arrê­ter de côtoyer Fatima et Mohammed, il faut côtoyer Jean et Paul. On nous a impo­sé cette déci­sion. On nous a dit que c’é­tait à nous de nous dépla­cer, que les gens ne veulent pas venir ici. »
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Un col­lec­tif s’est mon­té pour ten­ter de faire aban­don­ner le pro­jet. À la Reynerie, la lutte pour conser­ver le col­lège se croise avec celle pour empê­cher les des­truc­tions d’im­meubles. « On a mené une belle bataille en 2017. C’était magni­fique. On était sans repos, sans répit. Juste parce qu’ils nous ont trai­té de bombes à retar­de­ment. Quand j’en­tends ça, ça me donne le sen­ti­ment que je ne suis rien. On décide du sort de mes enfants. C’est une façon de nous rabais­ser, de nous dire : Vous n’êtes que des Arabes. Ils plaquent sur nous des sché­mas. Moi je m’in­tègre comme je veux, avec ce que je fais dans ma vie ». À l’ou­ver­ture des deux nou­veaux col­lèges, 70 habitant·es du Mirail ont deman­dé une déro­ga­tion pour que leurs enfants puissent y être sco­la­ri­sés, plus près de chez eux. Parmi ces demandes, 68 ont été refu­sées par l’Éducation natio­nale, au pré­texte que cela dés­équi­li­bre­rait la « mixi­té sociale ». Le col­lège de la Reynerie, le pre­mier à avoir été vidé de ses élèves, sera fina­le­ment démo­li en sep­tembre 2022.
La lutte de l’Assemblée des habitant·es de la Reynerie est effi­cace. Elle se mobi­lise en 2017 contre la des­truc­tion annon­cée de l’im­meuble Messager, où vivent encore aujourd’­hui 17 foyers. Après une enquête d’u­ti­li­té publique, Michel Jones, com­mis­saire char­gé de l’enquête d’u­ti­li­té publique, retoque le pro­jet cette même année. La lec­ture de son rap­port laisse appa­raître un dos­sier bâclé sur de nom­breux aspects, notam­ment celui de l’im­pact humain où les études menées s’a­vèrent par­ti­cu­liè­re­ment lacu­naires. Le com­mis­saire enquê­teur pointe du doigt la contra­dic­tion entre l’ob­jec­tif affi­ché de mixi­té sociale et le fait que les tra­vaux effec­tués jusque là se sont avé­rés peu concluants. Pire, pour lui, la fer­me­ture des col­lèges du quar­tier le ren­dra encore moins attrac­tif. Le rap­port est émaillé de constats édi­fiants. Il sou­ligne notam­ment le fait que les habitant·es ne sont pas convain­cus par le pro­jet, et que l’ar­gu­ment de l’in­sé­cu­ri­té ne jus­ti­fie en rien qu’on démo­lisse les bâti­ments, mais devrait plu­tôt être réglé par un plus grand enga­ge­ment des auto­ri­tés. Le com­mis­saire enquê­teur pointe éga­le­ment que l’al­ter­na­tive de la réha­bi­li­ta­tion n’a pas été suf­fi­sam­ment étu­diée. Il « juge que de rame­ner la part de loge­ments sociaux à 50 % en uti­li­sant des démo­li­tions c’est le rejet de l’as­pect humain, signa­lé par les habi­tants, sur un quar­tier dont les carac­té­ris­tiques socioé­co­no­miques n’ont pas évo­lué depuis la mise en œuvre des poli­tiques de la ville ». Il « constate que la mixi­té recher­chée conduit à iso­ler les familles de tout leur réseau rela­tion­nel qu’elles peuvent avoir sur le quar­tier ». Et le com­mis­saire enquê­teur de conclure sur ces mots : « Les études sur le pro­jet de renou­vel­le­ment urbain ont mal­heu­reu­se­ment négli­gé les aspects socio-éco­no­miques de l’ha­bi­tat pour pri­vi­lé­gier l’ur­ba­nisme et l’en­vi­ron­ne­ment qui sem­ble­raient les seules options pour une requa­li­fi­ca­tion du quar­tier. »
« Les démo­li­tions coûtent cher, avec l’argent qui y est consa­crée on pour­rait construire des loge­ments qui cor­res­pondent à cette mixi­té dont tout le monde parle. »
Face à ce camou­flet, les pou­voirs publics se sont empres­sés de com­man­der une nou­velle étude plus com­plai­sante, qui, cette fois, a émis un avis posi­tif en 2021. Les nou­velles démo­li­tions sont donc immi­nentes. Les habitant·es du quar­tier voi­sin, Bellefontaine, voient eux aus­si ces échéances se rap­pro­cher. Les mêmes plans de recons­truc­tion sont en train d’être mis en œuvre, avec les mêmes acteurs, bailleurs sociaux et pou­voirs publics. Rebecca y habite depuis 2001. Elle nous explique que les démo­li­tions pré­vues pour 2024–2025 ont été repor­tées à 2028. Mais depuis quelque temps, dans sa rési­dence, tout se dégrade. Les ascen­seurs sont sys­té­ma­ti­que­ment en panne, depuis des années pour l’un d’eux. Leur fonc­tion­ne­ment est aléa­toire et ils ne des­servent pas les étages, ce qui cause des pro­blèmes pour les per­sonnes à mobi­li­té réduite. L’hygiène est un réel sou­ci : les nui­sibles, insectes et rats, com­mencent à pro­li­fé­rer. « Même si ils pré­voient de démo­lir, ceux qui res­tent devraient pou­voir vivre dans de bonnes condi­tions » affirme la jeune femme. « En plus, on change les enfants d’é­cole comme des pions dans un jeu d’é­chec. »
Les espoirs de l’Assemblée des habitant·es reposent désor­mais sur le tra­vail du « Collectif des Architectes en défense du patri­moine archi­tec­tu­ral de l’équipe Candilis-Josic-Woods au Mirail ». Ce groupe d’ar­chi­tectes, dont le sou­tien « leur a don­né de la force », estime que les poli­tiques de démo­li­tion sont obso­lètes. Il rejoint en cela le point de vue du socio­logue Renaud Epstein : « Pour la réno­va­tion urbaine on a inves­ti 50 mil­liards d’eu­ros. Il fal­lait démo­lir de façon ambi­tieuse, avec l’i­dée qu’en trans­for­mant la forme urbaine on allait trans­for­mer l’i­mage et en trans­for­mant l’i­mage on allait atti­rer d’autres popu­la­tions moins pauvres, moins colo­rées, et que la pro­duc­tion de cette mixi­té sociale tant dési­rée allait résoudre tous les pro­blèmes. Au bout de vingt ans de cette poli­tique la trans­for­ma­tion urbaine a trans­for­mé l’ur­ba­nisme de près de 500 quar­tiers à coup de démo­li­tions et de recons­truc­tions plus ou moins réus­sies. Mais ça n’a pas chan­gé l’i­mage de ces quar­tiers, ça n’a pas chan­gé leur peu­ple­ment. »
[Loez | Ballast]
Le col­lec­tif a éla­bo­ré un contre-pro­jet de réha­bi­li­ta­tion en mon­trant que les démo­li­tions consti­tuaient une aber­ra­tion éco­no­mique, éco­lo­gique, archi­tec­tu­rale et sociale. Ils ont reçu le sou­tien du conseil régio­nal de l’ordre des archi­tectes mais aus­si de la pré­si­dente de région, la socia­liste Carole Delga10 et du dépu­té de la NUPES François Piquemal11. Des archi­tectes de renom comme Jean-Philippe Vassal, Anne Lacaton, Frédéric Borel pointent eux aus­si ce qu’il y a d’a­ber­rant à détruire un tel patri­moine archi­tec­tu­ral. « Nous vou­lons obte­nir un mora­toire sur les démo­li­tions et lan­cer un concours d’architecture et d’ur­ba­nisme pour la requa­li­fi­ca­tion urbaine et la réha­bi­li­ta­tion du quar­tier de La Reynerie et de Bellefontaine sans démo­li­tion. Les appar­te­ments sont spa­cieux, ven­ti­lés et éclai­rés de part et d’autres des façades, bien dis­tri­bués et inso­no­ri­sés. Il y a des arbres qui ont plus de soixante ans pour faire bais­ser la tem­pé­ra­ture. C’est le quar­tier le mieux étu­dié sur un plan envi­ron­ne­men­tal à Toulouse », déclare en ce sens l’ar­chi­tecte Michel Retbi. Il est temps que la ville se fasse par ses habitant·es12.
Si les pou­voirs publics savent dis­cré­di­ter leurs opposant·es quand ils appar­tiennent au groupe même qu’ils stig­ma­tisent, il est plus dif­fi­cile pour eux d’é­touf­fer les voix de professionnel·les adoubé·es par l’ins­ti­tu­tion. Encore plus quand ils reçoivent le sou­tien du prix Pritzker (l’é­qui­valent du Nobel en archi­tec­ture) Jean-Philippe Vassal. Lors d’une encontre autour de la ques­tion de l’héritage des grands ensembles, le manque de loge­ments et la pers­pec­tive de démo­li­tions pro­gram­mées à la cité de Saige de Pessac, celui-ci résu­mait le bilan de la poli­tique de l’ANRU : « Globalement, on a dépen­sé 50 mil­liards pour perdre 20 000 loge­ments. 160 000 démo­lis, 140 000 recons­truits. C’est un gâchis consi­dé­rable. Les démo­li­tions coûtent cher, avec l’argent qui y est consa­crée on pour­rait construire des loge­ments qui cor­res­pondent à cette mixi­té dont tout le monde parle. En réa­li­té la mixi­té dont les gens parlent c’est une mixi­té qui consiste à dire on fait par­tir ceux-là et on met ceux-là à la place. C’est tout à fait l’in­verse de la mixi­té. » Pour Jean-Louis du col­lec­tif d’habitant·es, cette mixi­té sociale tant van­tée est une chi­mère : « Au nom de la mixi­té sociale ils détruisent quar­tiers et bâti­ments, ils pié­tinent la vie des gens. Quand quel­qu’un a peu de moyens, il doit accé­der à un cer­tain nombre de choses, et ça, ça ne chan­ge­ra pas. Les gens qui ont de l’argent, même invo­lon­tai­re­ment, impactent leur quar­tier et font par­tir les plus pauvres. La mixi­té sociale n’a jamais exis­té et n’exis­te­ra jamais. Les com­munes suivent l’offre et la demande. Dans les quar­tiers riches per­sonne ne demande la mixi­té sociale. »
Photographie de ban­nière : Loez | Ballast

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(Photo)journaliste indépendant, Loez s’intéresse depuis plusieurs années aux conséquences des États-nations sur le peuple kurde, et aux résistances de celui-ci.
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