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Autonomie de la Bretagne : pourquoi ma génération a échoué ? – agence bretagne presse

Suite à une question posée lors d’une réunion unitaire à Carhaix le 27 août dernier, organisée par le groupe Douar ha Frankiz ( voir l’article ), les anciens ont été interpellés sur les raisons des l’échec de quatre revendications principales qui ont animé cette génération d’après guerre, et qui sont aujourd’hui proposées pour construire une plateforme unitaire à travers tous les partis et toutes les associations. Il ‘agit de la reconnaissance du peuple breton, de l’autonomie, de l’officialisation des langues bretonnes et de la réunification

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La première partie de cette chronique comporte quelques réponses des anciens ; dans la 2e partie je donne mon humble opinion – étant moi-même de cette génération dite des baby boomers.

Pour Pierre Loquet, un ancien du FLB âgé de 93 ans, «il nous faut revenir aux anciennes méthodes car la France ne comprend que le rapport de force». C’est vrai que la révolte des Bonnets rouges a abouti à la suppression des portiques. Que les plastiquages du FLB ont abouti aux 4 voies et à la Charte culturelle bretonne accordée par le président Giscard d’Estaing. Dans une certaine mesure la régionalisation proposée par le Général de Gaulle en 1969 et reprise 12 ans plus tard par Gaston Defferre, sous la présidence Mitterrand, est aussi une conséquence des actions du FLB.

Pour Yoran Delacour, qui a fondé les éditions Yoran Embanner, la maison d’édition des “peuples oubliés”, «il nous faut quand même reconnaître que si les générations précédentes ont créé le drapeau, l’hymne national, l’orthographe standard du breton, les cercles celtiques & les bagadoù, notre bilan n’est pas si négatif puisque notre génération a obtenu le gwenn ha du sur les plaques d’immatriculation des voitures, a pu créer les écoles Diwan, dont dans la foulée les écoles bilingues. Sans oublier la renaissance musicale d’une musique celtique traditionnelle à la suite d’Alan Stivell et d’une floppée de musiciens. La création de nombreux festivals dont le Festival interceltique de Lorient s’inscrit dans cette renaissance culturelle».

Pour Yannig Baron, militant de la langue bretonne et auteur de plusieurs grèves de la faim sur ce sujet, il est évident que nous avons échoué vu ce qu’ont obtenu les Basques, les Corses et même les Alsaciens. De plus nous avons loupé le virage du multilinguisme : «ceux qui nous ont dirigés en Bretagne jusqu’à ce jour en ces domaines ont été incapables de voir l’évolution des besoins de la société qui ne consistent plus seulement à la connaissance du seul breton, mais aussi d’autres langues comme le gallo ou l’anglais. Le bilinguisme c’est le passé et le plurilinguisme le futur. Nos enfants ont besoin de connaître une de leurs langues du coin mais aussi celles de nos deux pays voisins, soit, le français et l’anglais… ou une autre. La région devrait se saisir de la question comme d’autres régions l’ont fait. »

Pour Jean-Pierre Le Mat un insoumis exilé en Irlande, et revenu en Bretagne pour devenir Chef d’entreprise, les raisons principales de cet échec est le clivage droite-gauche « Le mouvement politique d’après-guerre, lui, a été perturbé par le clivage droite-gauche. Les plus idéologisés à gauche, en général les plus bornés, en ont fait un mur entre eux et tous les autres, soupçonnés de nostalgie envers Breiz Atao. Le clivage idéologique cachait mal le clivage sociologique. La gauche bretonne était composée majoritairement de fonctionnaires » ( voir l’article ). Personne ne peut nier que ce clivage a empêché, à la grande joie des partis politiques hexagonaux, un front politique commun autour de nos principales revendications comme cela s’est fait en Corse.

Pour Christian Guyonvarc’h, un élu UDB au Conseil régional âgé de 58 ans, l’échec est dû à la bourgeoisie bretonne. «La bourgeoisie bretonne est très liée aux milieux financiers et politiques de Paris (les exemples ne manquent pas : Pinault et Chirac, Bolloré…). et concourt directement à maintenir la Bretagne dans une relation de dépendance. C’est évidemment une différence fondamentale avec la situation de la Catalogne, du Pays basque ou de l’Ecosse.» Guyonvarc’h déplore aussi une vision désuète et romantique de la Bretagne chez certains : « il y a au plan politique à la fois chez certains un manque de pragmatisme, mais aussi une vision romantique et désuète de la Bretagne qui empêche de répondre aux attentes de ce qu’est réellement le peuple breton en 2022.»

Pour Jean-Jacques Goasdoué, âgé de 77 ans, le dernier survivant des fondateurs de la Brittany Ferries, «nous avons réussi économiquement car nous nous sommes appuyés sur la tradition entrepreneuriale bretonne issue du monde paysan, nous avons réussi culturellement car nous avons renoué avec notre identité culturelle et ses traditions, mais nous avons échoué politiquement car nous n’avons pas su ancrer la politique dans l’histoire de la Bretagne.» Il pense que l’enseignement de l’Histoire de la Bretagne doit être la première revendication. Contrairement à ce qu’explique Djohar Le Clec’h-Sidhoum de Douar ha Frankiz, qui pense qu’une fois des institutions d’autonomie acquises, l’enseignement de l’histoire en découlera, Goasdoué pense que les deux sont liés car sans un mouvement politique fort on n’aura pas ces institutions autonomes et sans l’enseignement de l’histoire on aura pas de mouvement politique suffisamment fort.

Mon humble opinion

La violence n’est pas forcement la réponse, l’engagement politique si. L’engagement personnel si. Sacrifier quelque chose de son confort matériel, de son futur professionnel, c’est ça l’engagement personnel et c’est ce qui rend sérieux tout engagement politique. Cela n’a rien à voir avec les “mordillements” en bordure, émis par les élus.

Ma génération a t-elle trop cru au collectif, influencée par les mouvements sociaux dont la France est championne ? Oui, ma génération a cru qu’il fallait être beaucoup pour gagner. Elle a trop cru à la règle de la majorité croyant que tant que les autonomistes ou indépendantistes n’étaient pas majoritaires, rien n’était possible. Cette règle ne peut s’appliquer ici puisque les minorités nationales sont par définition des minorités politiques.

L’histoire du monde nous montre tout le contraire. Les bouleversements ne sont pas faits par des majorités mais par des minorités actives et activistes, des hommes et des femmes qui mettent leur vie ou leur futur dans la balance. L’indépendance des Etats-Unis a été réalisée par seulement 3000 rebelles. Je crois que les insurgés de Dublin en 1917 n’étaient que 300. En 1940, les gaullistes étaient un groupe minuscule dont d’ailleurs une grande partie venait de Douarnenez, du Cap Sizun et du Pays Bigouden et pas uniquement de l’île de Sein comme c’est souvent écrit.

L’histoire est faite par des individus et non par de vagues collectifs ou “mouvements associatifs” plombés de réunions à n’en plus finir où chacun s’écoute parler, ou par des manifestations pour se compter. Les manifestations pour la réunification à Nantes ne servent absolument à rien. Il y en a eu une avec 40 000 personnes qui n’a même pas été rapportée par les médias nationaux. Une télé locale, Télénantes qui dépendait du groupe Ouest-France n’en n’avait même pas parlé lors du JT du soir. Les seules manifestations qui ont compté dans l’histoire sont celles qui rassemblaient au moins un demi-million de personnes comme celle en soutien à de Gaulle en juin 1969 ou celle de Dresden en 1989 avec un demi-million d’Allemands contre le gouvernement de la RDA. A la limite 100 000 personnes comme à Plogoff.

Le député gallois Gwynfor Evans a obtenu une télévision galloise en gallois à lui tout seul – grâce à une grève de la faim. La chaîne S4C est financée aujourd’hui à hauteur de 100 millions de livres par la BBC et par le gouvernement britannique. N’oublions jamais que le prix Nobel de la paix, le physicien russe Andrei Sakharov, aussi à lui tout seul, a fait reculer le régime soviétique pour la première fois en 1986 via une grève de la faim.

Pourquoi ne pas s’inspirer des écologistes californiens ? Deux ou trois douzaines de défenseurs de la biodiversité ont stoppé l’abattage des séquoias géants, les redwoods, en vivant sur des plateformes, dans la canopée, oui en haut des arbres. C’était dans les années 1990. Une militante a même vécu 738 jours en haut d’un séquoia. On lui envoyait de la nourriture dans un panier avec une corde. Quand les bûcherons sont arrivés pour couper cet arbre vieux de 1500 ans, toutes les télévisions du monde étaient là pour voir s’ils oseraient.

Cette notion d’engagement personnel est pourtant à la fois une valeur issue du christianisme dont nous avons hérité, et du druidisme qui l’a précédé, y compris le shamanisme qui l’a précédé pendant 25000 ans. Les Chrétiens, comme avant eux les païens, comprennent la notion de sacrifice. Donner quelque chose pour obtenir plus selon le grand principe universel : Tu récolteras ce que tu as semé, everything turns, turns turns, c’est la loi universelle du boomerang que les orientaux appellent “loi karmique”.

Même les milliers de départs, les milliers d’expatriations de Bretonnes et de Bretons vers le monde entier sont des engagements qui comptent. Voter avec ses pieds, c’est aussi un engagement. Des refus qui font bouger les lignes avec le temps.

Les créateurs, écrivains, poètes et musiciens font aussi bouger les lignes car chaque acte créatif individuel est une graine plantée dans les coeurs.

Donc la Bretagne n’obtiendra rien politiquement sans de nouveaux sacrifices personnels d’un minimum d’individus. Je ne crois pas qu’elle bénéficiera de la lutte des autres, des Corses ou des Calédoniens, encore moins de l’action de l’Europe comme le pense Gilles Martin Chauffier. On n’a rien sans rien. Il s’agit de volonté politique et de concentration sur le plus important. Comme l’a dit une fois l’avocat Me Yann Choucq “le problème des militants bretons est qu’ils ont presque tous deux casquettes : la Bretagne et l’écologie, la Bretagne et la gauche, la Bretagne et la droite, la Bretagne et la chasse, la Bretagne et n’importe quoi d’autre…»

La nouvelle génération a une carte à jouer car les jeunes n’ont pas encore de famille et sont beaucoup plus libres que les anciens. Le drame breton c’est que trop peu de jeunes à 20 ou 25 ans sortent indemnes de la matrice de l’éducation nationale et médiatique française : ils subissent un immense bourrage de crâne en faveur de l’idée France et de la république universelle pour tous. Ils ne connaissent pas l’histoire de la Bretagne, de leur pays. 15 ans plus tard, quand ils ont compris qu’ils appartenaient à une autre nation, la nation bretonne, il est bien souvent trop tard car les impératifs ont changé : il faut alors élever les enfants, les nourrir, voire payer la maison.

Si l’histoire est faite par les jeunes, elle ne pourra être faite que par des jeunes qui connaissent l’Histoire de leur pays.
Philippe Argouarch

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