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Après avoir exploré les sévices familiaux, puis le passage à l’acte criminel, le romancier emmène sur les bancs de la correctionnelle. Il dédicace sa trilogie judiciaire, mercredi à 19 h, à Papiers collés.
L’université de philosophie puis des études de sciences cognitives, des recherches sur l’empathie. Rien ne prédestinait Dimitri Rouchon-Borie à rejoindre les bancs des tribunaux. Excepté une crise de vocation. Un petit boulot sur les bateaux-bus de la Seine, à Paris, le conforte dans l’idée qu’il “vaut mieux être au milieu des gens, des idées”. Le journalisme est venu telle une intuition pour explorer un territoire. Là où se jouent la vie, les questions de liberté, la nature humaine, du déterminisme.
“Au tribunal on croise ces questions incarnées et non théoriques. La rencontre des grandes questions et des petites histoires des gens. Des petits et grands drames”, glisse le romancier nantais.
Chroniqueur judiciaire au Télégramme et auteur reconnu depuis la parution de Le démon de la colline aux loups (1), Dimitri Rouchon-Borie a développé une écriture pour raconter une partie du métier qui, habituellement, n’est pas dévoilée. Il transpose dans une langue vive la justice qui peut se trouver dans n’importe quel tribunal judiciaire.
Il dédicacera son premier ouvrage et les deux suivants, Ritournelle et Fariboles, parus aux éditions Tripodes, mercredi à 19 heures, à la librairie Papiers collés. Trois ouvrages qui forment une trilogie dédiée au monde judiciaire.
Après Ritournelle, une affaire d’assises, vous vous penchez sur la correctionnelle et le tribunal de police dans Fariboles. La France profonde avec des situations surréalistes parfois. Quelle est celle qui vous a le plus marqué?
L’une d’elles m’a paru très singulière. Une petite dame octogénaire qui n’a même pas osé se présenter au tribunal. Elle montre comment, parfois, de tout petits gestes peuvent conduire les gens devant les juges. Un coup de clé sur une voiture et une vie peut être bouleversée. C’est fascinant. Le tribunal est une petite fenêtre ouverte sur la vie des autres.
Les cas évoqués relèvent parfois de la bêtise ordinaire. Tout peut basculer rapidement…
Le roman judiciaire n’existe pas, mais s’il existait, on pourrait vraiment l’opposer au roman policier. Dans l’imaginaire littéraire, il y a des méchants très rationnels, très calculateurs, mais dans la réalité, c’est terrible lorsqu’on découvre le vrai monde du crime. À 99% il s’agit de gens dépossédés d’eux-mêmes. Ils tombent dans des trucs qui les dépassent. Ils n’arrivent pas à se gérer. Un instant de bêtise: un individu qui tire au paintball sur la police, puis rentre chez lui se changer pour sortir en boîte de nuit. Lui-même ne sait pas pourquoi il a fait cela. Le côté difficile de la justice a généré l’écriture. Sans réponse, il me semblait important d’explorer cette question. C’est difficile de rester dans l’irrationnel. Parfois, il peut y avoir des conséquences dramatiques.
Avez-vous observé une évolution des affaires ces dernières années?
Elle concerne les alternatives aux poursuites, notamment avec les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité. Beaucoup d’affaires échappent aux audiences publiques. Des faits un peu savoureux ou hors normes sont jugés ailleurs. Les audiences sont parfois moins hautes en couleur. En revanche, ce qui est marquant ces derniers temps, c’est l’augmentation des audiences pour des violences intrafamiliales et conjugales.
Dans Fariboles, une partie relève de l’imaginaire. Pourquoi inventer quand la réalité est si éloquente?
Parfois il y a des affaires où l’on se dit “si je raconte cela, les gens ne vont pas me croire.” C’est étonnant d’affronter cela au tribunal. Si j’inventais ces histoires-là, ce ne serait pas crédible, les lecteurs diraient que j’en fais trop. Souvent, au tribunal, la réalité dépasse la fiction. Cela m’a amusé de jouer avec ces codes. De partir avec des histoires vraies pour en inventer d’autres. C’est un travail d’apprentissage de la fiction, voir jusqu’où on peut inventer des audiences crédibles. À la fin, les deux sont indiscernables. Impossible de dire lesquelles sont vraies ou fausses.
L’apparence des prévenus est décrite en profondeur. Est-ce une manière de les rendre plus humains?
J’ai besoin d’incarner ces personnes. Au tribunal, ils sont réduits à une sorte de fonction: le prévenu, la victime. L’examen de la personnalité est une sorte de CV un peu froid. Les individus sont mal à l’aise. Ils jouent leur vie dans un moment où, en plus, ils ne sont pas accueillis comme des personnes à part entière. Cela crée des petites frictions. J’ai besoin de ramener cela dans l’humain au sens strict. Raconter une main qui tient un pantalon de stress, quelqu’un qui sautille. En incarnant les personnes, je trouve qu’on montre mieux ce qui se joue dans ces moments.
Pourquoi avoir choisi de ne pas donner les jugements?
Souvent, journalistiquement, nous avons une façon de réduire l’intérêt de la justice à la peine donnée à la fin. J’ai vu un type avec un tel casier et du sursis qui a pris cinq ans alors qu’il avait volé des serviettes de toilette. La justice est d’abord considérée sous son angle répressif. Mais quand on n’évoque pas la sanction, on est obligé de s’intéresser à autre chose. C’est peut-être même le cœur du procès. Un moment de bascule. C’est ce petit moment que je capte. Il faut accueillir les histoires et ne pas évaluer la justice. Ne pas juger une nouvelle fois.
Comment ressort-on indemne de ces audiences?
On ne l’est pas. J’y repensais encore hier, après une audience. Il y a une forme de tristesse d’être toujours le spectateur d’échecs, de vies d’échecs. Il n’est pas possible de se blinder, de se protéger, sinon on ne peut plus raconter. On y met une froideur, une distance, une technicité. En même temps, le fait de ne pas se protéger, on prend des “coups”. Les chroniqueurs judiciaires sont des observateurs de choses fortes. La vie des gens… Presque un champ de bataille de la vie de tous les jours. Et nous sommes au milieu.
Peut-on exercer le métier de chroniqueur judiciaire longtemps?
Je pensais, après avoir écrit Le démon de la colline aux loups, que j’allais m’arrêter. J’avais l’impression d’avoir tout dit. Mais c’est un métier. Je ne m’imagine pas basculer dans un autre registre du journalisme. Je n’y trouverais pas autant de satisfaction et d’intensité. Il faudra, à un moment, que j’arrête (silence). En même temps, le tribunal est un lieu où l’on rencontre une communauté très enrichissante, cela crée quelque chose de fort. Un ancrage puissant, marquant.
1. Lauréat du Prix des librairies Payot, du Prix [du métro] Goncourt (un prix littéraire décalé, Ndlr), du Prix du premier roman des Inrockuptibles 2021, etc.
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