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« Après Elizabeth II, une monarchie modeste et rétrécie », selon Simon Kuper – MSN

Le journaliste et écrivain britannique, chroniqueur au « Financial Times » et auteur cet été d’une série d’articles très remarquée dans « Le Monde », revient dans un texte très personnel sur le profil de la reine et les risques de désunion qui menacent désormais son pays, le Royaume-Uni.
Dans ce film amateur fou qui date probablement de 1933, Elizabeth a environ 7 ans. Elle joue dans le jardin avec sa sœur cadette Margaret, sa mère et son oncle, le prince Edouard. Tous font un salut nazi devant la caméra. C’est un tableau de l’époque : en 1933, bon nombre de Britanniques de la haute société admiraient le nouveau « Führer » anticommuniste.
Edouard devint roi en 1936, mais il abdiqua au bout de trois cent vingt-six jours pour épouser une Américaine divorcée, Wallis Simpson – un mariage considéré comme incompatible avec son rôle de chef de l’Eglise anglicane. Le père d’Elizabeth le remplaça alors sur le trône. En 1937, Edouard rendit une visite amicale à Hitler pour discuter d’un projet : devenir la figure de proue d’un mouvement international « pour la paix » dirigé par les nazis. Après la guerre, en disgrâce au Royaume-Uni, il passa le reste de sa vie en compagnie de son épouse à Neuilly-sur-Seine, près de Paris.
La jeune Elizabeth voyait deux voies possibles : Edouard représentait celle du choix personnel, en amour et en politique. George, celle du devoir : ce bègue timide, qui s’est forcé à devenir un personnage public, s’est toujours comporté en fonctionnaire d’Etat soucieux d’éviter de faire de la politique. Elizabeth lui a emboîté le pas. C’est ainsi que celle qui fut reine pendant soixante-dix ans – à peine deux de moins que Louis XIV – a contribué à unifier un royaume de plus en plus éclaté. Mais que deviendra cette union à présent ?
Le sens du service public s’impose comme une évidence à la génération de la guerre. Aussi, en février 1945, Elizabeth rejoignit la branche féminine de l’armée britannique, l’Auxiliary Territorial Service, sous le matricule 230873. Après avoir suivi un cours de conduite et de mécanique, on l’affubla même du surnom de « Princesse mécanicienne ». En 1947, en tournée en Afrique du Sud, elle dévoila un peu d’elle-même dans un discours : « Toute ma vie, promit-elle, qu’elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service et au service de notre grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous. Mais je n’aurai pas la force de tenir cette résolution seule, si vous ne vous joignez à moi, comme je vous invite à présent à le faire. »
Toujours, le devoir l’emporte sur l’émotion. En 1951, de retour d’un voyage de plusieurs mois à l’étranger, accueillie dans une gare londonienne par un prince Charles aux anges, âgé de 2 ans, elle lui serre la main. Elle était plus à l’aise pour témoigner de l’amour à ses chiens, des corgis, et la seule image d’elle, ou presque, en train de pousser des acclamations en public fut enregistrée lors de la victoire d’un de ses chevaux de course. Les Windsor sont restés une famille d’aristocrates cavaliers et chasseurs vieille école, éloignés de la vie culturelle et intellectuelle moderne.
Les Britanniques « ordinaires » adoraient leur reine, mais ils ne se sont jamais vraiment entendus. La question classique qu’elle posait à ses sujets lors des réceptions : « Venez-vous de loin ? » Ce à quoi ils pouvaient par exemple répondre : « Birmingham, Votre Majesté », avant d’être écartés par un valet de pied.
Son impassibilité, vestige de l’histoire britannique, l’a desservie lors de tragédies nationales où il fallait montrer ses émotions. En 1966, après l’effondrement d’un terril dans le village gallois d’Aberfan, lequel ensevelit une école et tua 144 personnes, elle mit plusieurs jours avant de venir témoigner son soutien aux habitants. De même, en 1997, après la mort de la princesse Diana dans un accident de voiture à Paris, Elizabeth a gardé le silence jusqu’à ce que la colère du public l’oblige à s’essayer à l’exercice, ô combien inhabituel pour elle, d’exprimer ses émotions.
En privé, semble-t-il, elle pouvait être drôle. Une des rares anecdotes connues à son sujet concerne une des rencontres décontractées qu’elle a faites. Elle et son garde du corps Richard Griffin, surnommé « Dickie », se promenaient un jour près de son château écossais de Balmoral lorsqu’ils tombèrent sur deux touristes américains qui ne l’ont pas reconnue. La conversation qui s’ensuivit, rapportée par Griffin, se poursuivit plus ou moins ainsi :
Les touristes : « Où vivez-vous ? »
La reine : « Eh bien, je vis à Londres, mais j’ai une résidence de vacances juste de l’autre côté des collines. »
Les touristes : « Depuis combien de temps venez-vous ici ? »
La reine : « Depuis que je suis toute petite – plus de quatre-vingts ans.
Les touristes : « Si vous venez ici depuis quatre-vingts ans, vous avez dû rencontrer la reine ?
La reine : « Eh bien, non, mais Dickie, lui, la rencontre régulièrement. »
Les touristes : « Comment est-elle ? »
Griffin : « Elle peut être parfois très acariâtre, mais elle a un merveilleux sens de l’humour. »
Les touristes, impressionnés, voulurent faire une photo d’eux avec Griffin. La reine la prit. Puis ils posèrent pour en faire une avec elle aussi. Griffin, plus tard, songea : « J’aimerais être une petite souris pour assister au moment où ils montreront ces photos à leurs amis en Amérique ! »
Les étrangers se demandent souvent quelle est l’influence de la reine sur la politique britannique. Réponse : aucune. Une fois par semaine, son premier ministre se réunissait avec elle au palais de Buckingham pour lui faire un compte rendu rituel des affaires du gouvernement, pendant qu’elle tentait de prendre un air intéressé. Si elle est parfois intervenue, c’était à propos de questions internationales en rapport avec les pays du Commonwealth.
Lors de son discours télévisé de Noël 1983, elle s’inquiéta des inégalités entre pays développés et pays en voie de développement. A cette époque, elle semble avoir soutenu les sanctions contre l’apartheid en Afrique du Sud, alors que la première ministre Margaret Thatcher s’y opposait. Plus tard, la reine et Nelson Mandela sont devenus véritablement amis ; un jour, elle lui téléphona pour lui reprocher de s’être rendu au Royaume-Uni sans avoir logé chez elle.
Mais en politique intérieure, elle savait qu’elle ne pouvait être la reine de tous les Britanniques qu’en ne prenant jamais parti. Les affirmations publiées trois mois avant le référendum en « une » du tabloïd The Sun, selon lesquelles elle approuvait le Brexit, étaient entièrement infondées. Ce qu’elle représentait pour les Britanniques était une continuité dépourvue de toute idéologie, à travers tous les bouleversements sociaux et politiques. Vendredi 9 septembre, à la Chambre des communes, le chef du Parti travailliste, Keir Starmer, a cité le poète Philip Larkin :
« Quand rien ne tenait
Quand tout devenait étrange ou empirait
Il restait une bonne chose immuable
Elle ne changeait pas »
Pendant les quarante-quatre années qui nous séparent de l’écriture de ces lignes, Elizabeth, sa garde-robe et son accent (« thank » dans sa bouche sonnait invariablement comme « thenk ») ont continué de nous renvoyer à une haute société britannique aujourd’hui disparue.
Presque tout l’échiquier politique la soutenait. Même Michelle O’Neill, la cheffe du parti Sinn Fein en Irlande du Nord, qui demande le retrait du Royaume-Uni pour former une Irlande unie, a exprimé ses « profonds regrets » en apprenant la mort de la reine. Quant à Keir Starmer, il perpétue la tradition monarchiste du Labour. « Je n’ai jamais été républicain », écrivit le premier ministre du Labour de l’après-guerre Clement Attlee, artisan du système de santé publique britannique, le National Health Service. Il ne voyait « aucun intérêt à remplacer un roi bourgeois par un président bourgeois ».
Bien sûr, le statut d’Elizabeth avait des implications sociales : un monarque de naissance était assis au sommet de l’échelle des castes britanniques. Mais l’échelle aurait survécu si on l’y avait retirée – ce que très peu de Britanniques voulaient du reste.
Sa présence a bel et bien modéré la polarisation du pays. En France ou aux Etats-Unis, une bonne partie de la population méprise le chef de l’Etat, quel qu’il soit, mais au Royaume-Uni, la colère politique est dirigée contre le premier ministre, qui n’est qu’un simple fonctionnaire. L’incarnation du pays, elle, est toujours restée intouchable. Cela a probablement contribué à apaiser les divisions après le Brexit. La plupart des Britanniques se sont en effet lentement défaits de leurs étiquettes pro-Brexit ou pro-Europe.
Ce qui est inquiétant, aujourd’hui, c’est que les liens unissant le royaume viennent en grande partie de la personne d’Elizabeth. L’idée d’une monarchie est que l’institution transcende la personne du monarque. Dans le Royaume-Uni moderne, la situation s’est inversée. Elizabeth est restée aimée alors même que la monarchie apparaît comme une absurdité, en ces temps où les élites privilégiées suscitent la colère.
Elle laisse derrière elle un pays dans une crise encore plus grave que, par exemple, la France. Les revenus britanniques sont inférieurs à ceux de 2007, l’inflation s’envole à 10 %, la Banque d’Angleterre prévoit une récession de plus d’un an, le plan d’aide énergétique dévoilé jeudi 7 septembre fera exploser la dette publique et le système de santé s’effondre après l’épidémie de Covid-19. Un Britannique sur dix est sur liste d’attente pour recevoir des soins hospitaliers. « L’hiver le plus difficile » pour notre système de santé nous attend, avertit un haut responsable de la santé, Matthew Taylor. Et, alors qu’Elizabeth est morte entourée de médecins, tous les autres malades de 96 ans n’ont pas la chance d’en avoir un auprès d’eux.
D’une manière plus générale, elle vécu au plus près, tout au long de son règne, la diminution du pouvoir de son pays. Si Mikhaïl Gorbatchev, mort quelques jours avant elle, le 30 août, incarnait la disparition de l’empire soviétique, Elizabeth a symbolisé celle, plus lente, de l’Empire britannique.
Winston Churchill fut son premier ministre. Dans un de ses derniers actes officiels, elle a nommé sa quinzième première ministre : l’automate de droite Liz Truss, cette pro-Europe reconvertie en pro-Brexit. Cela ne ressemble guère à un progrès. Le décès d’Elizabeth est un symbole presque trop flagrant du déclin du Royaume-Uni.
Comme le note l’historien Anthony Seldon : « La semaine a commencé avec Boris Johnson à la tête du gouvernement de Sa Majesté la reine Elizabeth II. Elle se termine avec Liz Truss à la tête du gouvernement de Sa Majesté le roi Charles III. » Le fauteuil d’Elizabeth revient à présent à son fils, bien moins populaire. La tendance qu’a Charles d’exprimer son point de vue – contre l’architecture moderne ; contre l’expulsion, prévue par le gouvernement, de demandeurs d’asile au Rwanda – va inévitablement polariser.
C’est le risque pour une monarchie moderne, qui, paradoxalement, nécessite le consentement populaire. Souvenez-vous de ce dialogue du film Monty Python : Sacré Graal ! [1975].
Le roi Arthur : « Je suis votre roi. »
Une femme : « Eh bien, moi, je n’ai pas voté pour vous. »
La monarchie britannique survivra à Charles III, mais elle pourrait cesser de rassembler et elle sera sans doute réduite. Charles prévoit en effet de diminuer la taille de la famille royale officielle. Son frère, Andrew, entaché par ses liens avec le prédateur sexuel Jeffrey Epstein, a déjà été écarté.
La taille du royaume aussi risque de se trouver réduite. Au cours de la prochaine décennie, l’Ecosse et l’Irlande du Nord pourraient bien quitter le Royaume-Uni (même si, dans ce cas de figure, ils resteraient tout de même probablement sous la Couronne). Il se peut également que la disparition de la reine pousse les républicains d’Australie et même du Canada, pays traditionnellement plus royaliste, à demander des référendums sur une sortie de la monarchie. Les sondages indiquent qu’ils les remporteraient.
Cet été, lors d’un festival littéraire dans la campagne anglaise, un nom a été ajouté à la dernière minute à la liste des intervenants : celui de l’épouse de Charles, Camilla, aujourd’hui reine. Elle était venue parler des femmes dans l’histoire. Un groupe de dignitaires l’a accueillie, puis conduite à des toilettes et enfin à une scène ou quelques centaines de curieux s’étaient rassemblées. Certains d’entre nous ont préféré rester sous une tente du festival à s’enfiler du sponge cake. Voilà à quoi ressemble la monarchie modeste, rétrécie, d’après Elizabeth.
Traduit de l’anglais par Valentine Morizot
Retrouvez ici tous les épisodes de la série de Simon Kuper, « Le Royaume-Uni, la France et moi », publiés du 25 au 30 juillet 2022.

source

https://seo-consult.fr/page/communiquer-en-exprimant-ses-besoins-et-en-controlant-ses-emotions

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