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Antony Beevor : "Je crains bien plus une guerre chimique que nucléaire de la part de Poutine" – L'Express

Vladimir Poutine, le 21 septembre 2022.
Gavriil GRIGOROV / SPUTNIK / AFP
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Il est le grand historien des guerres. Ancien officier du 11e régiment de hussards, chevalier de l’Empire britannique, Antony Beevor a signé les best-sellers Stalingrad ou La Chute de Berlin. Après avoir documenté les atrocités de l’Armée rouge commises durant la Deuxième Guerre mondiale, ce francophone s’attaque à la révolution russe dans le remarquable Russie. Révolution et guerre civile. 1917-1921 (Calmann-Lévy. Parution le 26 octobre). Un récit de bruit et de fureur sur un événement sanglant dont les implications seront majeures sur le XXe siècle, mais qui a aussi marqué le premier rendez-vous manqué de la Russie avec la démocratie. 
Dans un grand entretien accordé à L’Express, Antony Beevor analyse les névroses historiques de la Russie et s’inquiète de la montée de la terreur dans la stratégie de Vladimir Poutine. Selon lui, les Ukrainiens sont aujourd’hui sincèrement déterminés à reconquérir la Crimée, une option que commencent à accepter leurs alliés occidentaux. 
“Aucun pays n’est plus prisonnier de son passé que la Russie” expliquez-vous souvent. Pourquoi ?  
Antony Beevor : On peut trouver les racines de la guerre en Ukraine jusque dans l’invasion mongole du XIIIe siècle. L’idée que la Russie serait entourée par des ennemis, qu’il est nécessaire d’utiliser les destructions comme arme de guerre, tout vient de ces origines. Mais même pendant l’expansion de l’Empire russe au XIXe siècle, on a vu une partie des chefs militaires maltraiter leurs propres hommes. On l’a à nouveau observé pendant la Deuxième Guerre mondiale dans l’Armée rouge. Et aujourd’hui, suite à la mobilisation de 200 000 ou 300 000 hommes, on constate que les appelés doivent acheter leurs propres protections, et demander à leurs petites amies ou mères de leur fournir des tampons qui servent de pansements. L’utilisation de prisonniers, comme ceux de la prison de Rostov, avec la promesse d’être libéré après six mois de service avait aussi été expérimentée pendant la Deuxième Guerre mondiale. On constate donc à quel point la mentalité militaire russe est marquée par cette histoire. 
Vous revenez dans ce livre sur la révolution russe et la guerre civile de 1917 à 1921. Pourquoi cet épisode sanglant est-il important au regard de l’actuelle guerre en Ukraine ?  
Selon les historiens, la Première Guerre mondiale représente la catastrophe originelle du XXe siècle. Mais la guerre civile russe a eu une influence bien plus grande. Sa cruauté a terrifié la bourgeoisie partout en Europe, mais elle a aussi terrifié la classe ouvrière qui craignait une contre-attaque des “Blancs” monarchistes. Elle a lancé ce conflit entre “Rouges” et “Blancs”, communistes et fascistes. Cette opposition a dominé tout le XXe siècle. Aujourd’hui, il y a un changement d’axe, avec un conflit entre la démocratie et l’autoritarisme.  
J’ai voulu, dans ce livre, souligner à quel point cette guerre civile fut violente et cruelle. Pendant la guerre civile espagnole, on tuait des deux côtés, et les nationalistes fusillèrent beaucoup de personnes. Mais il n’y avait pas le même sadisme à l’oeuvre que pour la guerre civile russe. Je ne comprends toujours pas aujourd’hui pourquoi la cruauté y fut aussi intense. Etait-ce lié à l’idéologie de l’époque, ou faut-il y voir le produit de l’imaginaire russe ? Je crois qu’il y a un peu des deux. Aujourd’hui, en Ukraine, on peut à nouveau voir une grande cruauté à l’oeuvre. Au Royaume-Uni, il y a eu un débat sur les origines de cette cruauté militaire, pourquoi l’armée russe se bat d’une façon féroce, bien plus que dans d’autres armées.  
Il est en tout cas clair qu’on voit un changement de tactique chez les Russes. Depuis quelques jours, les attaques délibérées contre les infrastructures ukrainiennes se multiplient. Je ne crois pas à la menace nucléaire. Je crains bien plus à une guerre chimique, comme on l’a vue en Syrie. Il ne fait pas de doute, selon moi, que les Russes utiliseront des tactiques similaires à celles employées contre la population syrienne. Je ne sais pas si ce sera du gaz sarin ou autre chose. Mais la menace d’une guerre chimique est plus grande que celle d’un conflit nucléaire. 
Lénine n’avait pas prévu la révolution de février 1917, mais il a su habilement gérer la situation. Sans lui, les bolcheviques se seraient-ils imposés ?  
En février 1917, Lénine est en Suisse, Trotski en Amérique, et Staline, qui n’était pas encore un grand chef, en Sibérie. C’était une révolution inattendue. Mais pour Lénine, ce fut un atout que les autres ne le prennent pas au sérieux, y compris au sein des bolcheviques qui étaient choqués par sa volonté de renverser toute la société. C’est seulement vers la fin de l’été que les trois grands mensonges de Lénine ont commencé à jouer un rôle important : la promesse faite à la paysannerie de leur donner des terres, la promesse aux travailleurs dans les usines qu’ils pourront prendre le pouvoir, et la promesse aux soldats d’en finir avec la guerre, alors que Lénine a l’intention de transformer la guerre impérialiste contre les Allemands et les Autrichiens en une guerre civile internationale. Il a été aidé par les fantaisies d’Alexandre Kerenski, à la tête du gouvernement provisoire, qui a totalement sous-estimé les bolcheviques. 
Mais c’est l’année suivante, à Brest-Litovsk, que Lénine a réellement fait la démonstration de son génie. Il a compris que la priorité n’était pas de mener une guerre de guérilla contre les Allemands, comme le voulaient Trotski et les autres membres du comité central bolchevique, tout comme les socialistes révolutionnaires. Lénine a bien vu qu’il fallait souffrir une humiliation complète, pour être ensuite capable de combattre les Russes blancs après la retraite des Allemands, vaincus sur le front de l’Ouest. Sans lui, les bolcheviques n’auraient à mon avis jamais gagné la guerre civile. 
“L’Europe n’avait pas connu une telle cruauté manifeste utilisée comme arme de terreur depuis les guerres de religion” écrivez-vous. Vraiment ?  
Si on regarde les chiffres, la guerre civile a fait entre 6 et 12 millions de morts. Une partie importante est morte de faim et de maladie, surtout le typhus. Mais il y avait aussi une grande cruauté à l’oeuvre, qu’on ne peut qu’expliquer par une dimension presque religieuse. La terreur rouge a vraiment débuté à la fin de l’été 1918, avec l’attentat de Fanny Kaplan contre Lénine. Celui-ci est transformé par le parti en saint séculaire. Même dans les petites maisons modestes, les photos découpées de Lénine remplacent les icônes. Un élément religieux est ainsi entré dans l’idéologie communiste. 
Vous avez largement documenté les atrocités commises par l’Armée rouge durant la Deuxième Guerre mondiale. Y a-t-il réellement une spécificité russe en la matière ?  
Il n’y a bien sûr pas d’ADN national. Cela n’existe pas. En revanche, les pays se construisent une image d’eux-mêmes. Dans le cas de la Russie, il y a un élément important : le fait de se sentir humilié justifie d’humilier les autres. Les soldats russes se sont par exemple vengés sur les femmes allemandes pendant la Deuxième Guerre mondiale. On le voit une nouvelle fois en Ukraine : leur propre sentiment d’humiliation est utilisé comme une arme contre leurs victimes. 
Un autre élément important, c’est le manque de sous-officiers dans l’armée russe. C’est la raison pour laquelle, pendant la Deuxième Guerre mondiale, les soldats avaient tant la possibilité de violer. Si quelqu’un démontrait un talent militaire, il était presque tout de suite promu lieutenant. Cela a pour conséquence un vrai manque de contrôle, qu’on ne retrouve pas dans d’autres armées. Chez les Britanniques, les sergents ou sergents-chefs étaient par exemple essentiels pour garantir la discipline des troupes.  
Enfin, sous le stalinisme, il y avait une culture antisexuelle. Comme l’ont expliqué plusieurs psychologues russes, cela a créé un érotisme de caserne néfaste et dangereux, qui a débouché sur les pires pratiques imaginables. Plusieurs facteurs ont ainsi contribué à ces crimes de guerre.  
Vous rappelez le mot du tsar Nicolas II en 1902, répondant à la femme du duc de Marlborough : “Nous sommes deux cents ans derrière l’Europe dans le développement de nos institutions politiques nationales.” Est-ce une justification à l’autoritarisme russe ?  
Au moment du tsarisme, sous l’ère soviétique comme aujourd’hui, il y a toujours cette idée que la Russie serait tellement grande que seul un homme fort pourrait contrôler tout son territoire. Un grand homme serait nécessaire pour éviter l’éclatement du pays. On peut faire remonter cela à Pierre le Grand ou même à Ivan le Terrible. 
Comment expliquer les occasions ratées de la Russie avec la démocratie ? Vous citez l’écrivain Konstantin Paustovsky, qui déplorant l’échec du changement démocratique en 1917, écrivait : “La plus grande partie de l’intelligentsia a perdu ses esprits, cette grande intelligentsia humaniste russe qui avait été l’enfant de Pouchkine et Herzen, de Tolstoï et Tchekhov. Elle avait su créer des valeurs hautement spirituelles, mais, à de rares exceptions près, elle était impuissante pour créer une organisation de l’Etat”… 
C’est une tragédie pour la Russie. Je cite aussi la prophétie d’Alexandre Herzen, le plus grand philosophe politique russe : “La mort des formes actuelles de la vie sociale doit réjouir plutôt qu’affliger. Ce qui est terrible, c’est que le monde mourant – au lieu de laisser un successeur – laisse une veuve enceinte. Entre la mort de l’un et la naissance de l’autre, il se passera une longue nuit de chaos et de vide.” En 1917, le gouvernement provisoire avait dix ministres, mais ne contrôlait rien. Il a été incapable de créer rapidement un système démocratique pour répondre aux attentes des paysans et ouvriers. Ceux-ci étaient impatients, alors qu’on leur expliquait qu’il fallait que les décisions soient votées par l’assemblée constituante. C’est la tragédie de la démocratie. 
Dans les années 1990, la démocratie a eu une nouvelle chance en Russie sous Boris Eltsine. Mais encore une fois, la période a été trop courte, avec un manque de contrôle du gouvernement, la corruption et la mafia. Cela a éliminé la possibilité d’un développement économique démocratique. On peut aujourd’hui se demander ce qui pourrait se passer en cas de faillite de Poutine. Il y a toujours la possibilité, comme dans le système soviétique, que si le chef a des problèmes, il soit envoyé au sanatorium, pendant que les autres décident de son remplacement… Mais le successeur de Poutine pourrait être tout aussi désastreux. C’est très difficile de prédire ce qui va arriver. 
Si on assiste à une désintégration complète de l’armée russe, il est possible que la Fédération de Russie se désagrège. Ce serait un désastre humanitaire. Si la Russie est aujourd’hui détruite de l’intérieur, ce serait un scénario épouvantable, difficile à imaginer. 
Voyez-vous Poutine plus en héritier de la période soviétique ou du tsarisme ?  
Poutine est bien plus marqué par l’idéologie blanche que rouge. Au Kremlin, il est entouré de statues de tsars, pas de monuments soviétiques. Dans son palais sur la mer Noire, il y a des aigles à deux têtes partout. Poutine est influencé par Alexandre Douguine, même si c’est moins qu’on ne le prétend. Or l’idéologie de Douguine vient des Blancs en exil, et non pas du côté soviétique. C’est l’opposition entre la sainte Russie orthodoxe et un Occident corrompu et libéral. Poutine ne va pas aussi loin que Douguine, qui rêve d’un nouvel empire slave et orthodoxe de Vladivostok jusqu’à Dublin. Mais il y a chez lui cette idée que les Russes doivent imposer leur vision idéologique et politique sur les autres pays.  
Poutine ambitionnait de rassembler les pièces du puzzle éparpillées après la chute de l’Union soviétique : Ukraine, Biélorussie, les pays d’Asie centrale… Mais les résultats sont à l’opposé de ce qu’il voulait achever. Les Kazakhs sont vraiment mal à l’aise avec cette guerre en Ukraine. Les menaces nucléaires de Poutine commencent même à effrayer les Chinois ou les Indiens.  
Le tsar Nicolas II avait pris le commandant suprême de l’armée après les retraites de 1915. Poutine a aussi voulu dicter la conduite des troupes russes, parfois contre la réalité du terrain… 
On peut surtout faire une comparaison avec Staline, qui au début de la Deuxième Guerre mondiale voulait contrôler l’Armée rouge. Mais il a tiré des leçons de ses échecs vers la fin de 1942. Après ça, il est devenu un chef de guerre efficace, en laissant les généraux faire leur travail. Hitler, lui, c’était l’opposé. Il est devenu de plus en plus maniaque, “control freak”, et a même essayé de changer les positions de régiments.  
Aujourd’hui, on observe que la volonté de tout contrôler de Poutine a aussi eu des conséquences désastreuses sur le terrain. Mais je crois que Sergueï Sourovikine, nouveau commandant des forces russes en Ukraine, est assez fort pour dire à Poutine : “Monsieur le président, c’est moi qui commande.” La stratégie russe est de détruire les infrastructures ukrainiennes, de cibler y compris les centres médicaux, et même peut-être d’utiliser les centrales comme potentielles bombes nucléaires. Tout ça est terrifiant. Mais si les Russes continuent à détruire les villes ukrainiennes, cela prouve aussi qu’ils ne peuvent pas gagner cette guerre. C’est une stratégie de vengeance. Si on passe à une guerre chimique, ce qui me semble fort probable, ce serait à mon avis un crime de guerre aussi épouvantable que l’usage d’une arme nucléaire. 
Selon vous, l’Ukraine ne sera pas en sécurité tant qu’elle n’aura pas rejoint l’Otan. Pourquoi ?  
Même s’il essaie d’obtenir un cessez-le-feu, Poutine ne fera que gagner du temps pour renouveler l’armée russe et entraîner de nouveaux appelés. Ce ne serait qu’un recul stratégique.  
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère géopolitique. Même pendant la première guerre froide, l’Ouest pouvait, en général, accepter et croire les accords ou les promesses des dirigeants communistes, aussi bien russes que chinois. Ce n’est plus le cas aujourd’hui avec la Russie. C’est un problème pour l’avenir de la diplomatie conventionnelle. Si on ne peut plus faire confiance dans les accords que l’on signe, quel est l’intérêt même de négocier ces accords ? C’est pourquoi, s’il y a réellement une possibilité de mettre fin à cette guerre, il faudra avoir des garanties fortes pour l’Ukraine. Sinon personne ne voudra investir dans ce pays. Il est essentiel que Zelensky ait au moins une garantie similaire à l’article 5 de l’Otan, qui stipule qu’une attaque contre un pays membre soit considérée comme une attaque contre l’ensemble des membres. Que les Russes l’acceptent ou pas, c’est une autre question.  
On assiste cependant à un changement important ces derniers jours. La question de la Crimée est devenue centrale. Il y a encore trois semaines, je pensais que Zelensky, de manière intelligente, voulait utiliser ce territoire comme élément de négociation. Mais l’ambassadeur britannique en Ukraine m’a fait savoir que je me trompais. Zelensky est tellement furieux qu’il est déterminé à chasser tous les soldats russes de Crimée comme de l’est de l’Ukraine. Au début, les Américains et les Britanniques étaient contre l’idée d’une reconquête de la Crimée. Mais ils commencent à l’accepter. Je crois qu’ils vont laisser Zelensky attaquer la Crimée. Or, aux yeux des Russes, bien sûr, il s’agit d’un territoire russe. La Crimée, c’est Catherine II, Pouchkine et surtout la ville de Sébastopol. Il s’agit d’une question existentielle. La Crimée sera donc un élément clef, si on arrive un jour à la fin de cette guerre… 
La traduction en russe de votre livre Stalingrad avait été interdite en Ukraine en 2018… 
Mes éditeurs russes avaient publié une édition spéciale pour les Russes en Ukraine. Mais dans la traduction, ils avaient modifié ce que j’écrivais sur les Ukrainiens ayant collaboré avec les nazis. Je les qualifiais de “milices ukrainiennes”. Le traducteur l’a changé en “nationalistes ukrainiens”. C’est pour ce seul mot dans la traduction que les Ukrainiens ont été furieux.  
Mais les Russes ont fait preuve d’une hypocrisie incroyable. L’ambassadeur russe à Londres a qualifié cette interdiction “d’acte honteux de censure”. Alors que mon livre sur les violences de masse commises à Berlin en 1945 (La Chute de Berlin), qui provenait pourtant des archives russes, m’a valu des condamnations là-bas. Sergueï Choïgou a fait interdire par la loi n’importe quelle critique sur les actions de l’Armée rouge durant la Deuxième Guerre mondiale. En théorie, si je retourne sur le territoire russe, je suis passible de cinq ans de prison.  
Russie. Révolution et guerre civile. 1917-1921, par Antony Beevor. Calmann-Lévy, 568 pages, 25,90 €. Parution le 26 octobre. 
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