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Alice Diop et Louis Garrel : conversation sur les films qu'ils font et … – Les Inrockuptibles

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11 min
par Jean-Marc Lalanne et Bruno Deruisseau
Publié le 17 décembre 2022 à 19h00
Mis à jour le 28 novembre 2022 à 10h21
Louis Garrel et Alice Diop © Benjamin Schmuck pour Les Inrockuptibles
Alice Diop est dans la course aux Oscars avec “Saint Omer” et Louis Garrel nous offre une comédie galvanisante qui cartonne en salle avec “L’Innocent”. L’une et l’autre sont en train de franchir un cap important dans la reconnaissance de leur travail. Nous avons eu envie de les faire se rencontrer, chacun·e ayant beaucoup apprécié le film de l’autre. Ces deux-là avaient un tas de choses à se dire.
Pour Louis Garrel, la reconnaissance est venue très tôt comme acteur : César du meilleur espoir masculin dès 2006 avec Les Amants réguliers (Philippe Garrel), icône générationnelle des années 2000 chez Christophe Honoré (Dans Paris, Les Chansons d’amour), et enfin acteur prisé aux quatre coins géographiques et industriels du cinéma, de Bertrand Bonello à Maïwenn, de Woody Allen à Greta Gerwig, des Amandiers aux Trois Mousquetaires (blockbuster à venir). Cette œuvre d’acteur se double, depuis 2015, d’une œuvre de cinéaste ayant remporté un succès d’estime mais dont aucun des jalons (Les Deux Amis, L’Homme fidèle, La Croisade) n’avait rencontré jusque-là un large public. C’est chose faite avec L’Innocent, carton en cours et comédie sentimentalo-policière galvanisante.
De la même façon, l’œuvre d’Alice Diop, jusque-là exclusivement documentaire (La Mort de Danton, RER B, Nous…), bénéficiait depuis une dizaine d’années d’une vraie reconnaissance, également bornée d’un César (en 2017, pour son court métrage Vers la tendresse). Couronné d’un Lion d’argent à la Mostra de Venise en septembre dernier, sélectionné pour représenter la France dans la prochaine course aux Oscars, Saint Omer marque des débuts fracassants dans la fiction et lui vaut beaucoup d’éloges. Normal : ce récit à vif du procès d’une jeune mère infanticide est proprement sidérant. Le film éclabousse par sa fureur contenue, son absolue justesse, et ce sentiment troublant d’atteindre une vérité ineffable, indicible, par les seuls moyens du cinéma.
Comment vivez-vous ce moment d’intense exposition de votre travail ?
Louis Garrel — Je vais encore évoquer un cinéaste que je cite souvent, mais j’écoutais il y a quelques jours une interview de François Truffaut par Philippe Labro. Celui-ci lui donne le nombre d’entrées du Dernier Métro et lui demande de réagir à ce triomphe. Truffaut répond qu’un succès est souvent l’adéquation un peu fortuite entre un sujet et les envies du public à un moment. Puis il ajoute un truc très joli : il espère après ça avoir des échecs pour ne pas devenir prétentieux, puis d’autres succès pour ne pas devenir aigri. Pour ma part, c’est vrai que j’avais envie que L’Innocent soit un film séduisant. Mais il y a une part de hasard dans son succès. Le fait est qu’il est sorti à un moment de reprise générale de la fréquentation. En tout cas, c’est tout à fait agréable que le film plaise.

Alice Diop — Je le vis de façon très ambivalente. Ça fait plus de quinze ans que je fais des films, et j’ai l’impression d’apparaître seulement maintenant. Je suis une jeune cinéaste de 43 ans ! [rires] Avant, je filmais dans un endroit confiné à la marge, celle dans laquelle est cantonné le cinéma documentaire. Mais ça m’allait très bien d’être présente au festival Cinéma du Réel ou au FIDMarseille [Festival international de cinéma de Marseille]. Avec le prix à Venise, tout à coup, il s’est produit un grand saut. Cette reconnaissance permet à mes combats politiques d’avoir une audience plus grande. Et c’est très important. Mais cette exposition est inhabituelle pour moi et elle est arrivée si vite que je n’ai pas encore le recul pour l’analyser.
As-tu l’impression, Alice, que cette exposition nouvelle appelle davantage de compromis ?
Alice Diop — Pas du tout. C’est la même personne qui a fait Nous, La Permanence, La Mort de Danton… et qui a fait Saint Omer, exactement pour les mêmes raisons. Le film plonge dans les mêmes obsessions que je travaille et questionne depuis vingt ans. Mon prochain film, je le ferai exactement de la même manière.
Saint Omer est vraiment très impressionnant sur la direction d’acteurs et d’actrices. C’est la première fois que tu t’es trouvée en situation de diriger des comédien·nes, et pourtant le film donne le sentiment d’une grande maturité sur ce point.
Alice Diop — C’est en tout cas très intuitif. J’ai essayé de diriger un peu comme je travaille avec les gens que je filme pour mes documentaires. Les acteurs et les actrices de Saint Omer sont des gens que j’ai choisis pour ce que leur intensité, leur corps, leur présence me racontaient. Valérie Dréville, par exemple [qui incarne la juge], je pensais qu’il n’y avait qu’elle – qui avait joué au théâtre Médée-Matériau [de Heiner Müller] et qui pouvait être face à cette jeune Médée.

Quel est ton rapport, Louis, à la direction d’acteur·trices ?
Louis Garrel — L’ambition de L’Innocent, c’était d’avoir des comédiens les plus déguisés, transformés possible. J’ai une lassitude au cinéma quand je vois des acteurs qui viennent seulement avec leur propre personne. J’avais envie qu’ils viennent avec une autre entité, qui est le personnage, et que le contact entre les deux crée quelque chose d’attirant. Mais en voyant ton film, Alice, où c’est un peu le contraire, j’ai été très impressionné. Ce qui est beau, c’est que les acteurs viennent tels qu’en eux-mêmes, sauf qu’ils sont pris dans une représentation, celle du tribunal qui est une sorte de théâtre. Et dans le temps du film, tous les masques tombent. Ce ne sont pas des masques d’acteurs, mais des masques sociaux. Quand la juge pleure… Enfin, elle ne pleure pas tout à fait et j’étais content, parce que j’ai souvent peur des larmes au cinéma…
Alice Diop — En fait, ses larmes coulent, mais on les a coupées au montage. Mais celle qui pleure, c’est autant la juge que Valérie Dréville qui l’interprète, que la mère qu’elle est…
Louis Garrel — Oui, c’est vraiment très beau, les personnes qu’ils ou elles sont apparaissent en premier plan. Il n’y a plus d’acteurs ou d’actrices. Je pensais que j’étais revenu de cette recherche d’une fausse présence au cinéma, mais tout à coup, dans ton film, ça devient le sujet et c’est magnifique.
Alice Diop — C’est aussi parce que le texte qu’ils et elles jouent est totalement documentaire, et sachant cela, ça les mettait dans un état de fébrilité par rapport à leur vie qui mettait en péril leurs défenses d’acteurs et d’actrices. Le film tient à cette frontière entre le documentaire et la fiction, des émotions réelles et des émotions jouées… Si j’ai choisi Guslagie Malanda [la mère infanticide dans Saint Omer], c’est qu’intuitivement je reconnais quel endroit intime elle va convoquer pour jouer cette femme. Je dis que je n’ai pas de méthode, mais quand j’ai fait Saint Omer, j’avais quand même dans la poche Notes sur le cinématographe de Robert Bresson. Je l’avais lu il y a vingt ans, en fac de cinéma documentaire.
Très étrangement, c’est le premier texte théorique sur le cinéma qu’on nous a mis entre les mains. J’en ai relu des passages sur le plateau et je disais à Claire Mathon [la cheffe opératrice] : “En fait, c’est l’Évangile !” Je n’ai pas du tout appliqué à la lettre les préceptes de Bresson, mais ce qu’il dit sur la nécessité de chercher, dans l’acteur, la personne – et pas l’acteur – m’a aidée à me formuler les choses. Mais évidemment, je n’ai pas du tout cherché à imiter Bresson. Ce qui m’a le plus aidée dans Saint Omer, c’est ma pratique de documentariste.
On pense néanmoins à Bresson en le voyant. On pense aussi à Duras. Ses films comptent pour toi ?
Alice Diop — Oui, énormément. Détruire dit-elle, India Song, Le Camion me bouleversent absolument. Depardieu dans Le Camion, la question de l’acteur et de la personne, l’entrelacs du film qu’on fait et du film qu’on rêve, le hors-champ plus fécond que le champ, la façon qu’elle a de filmer des non-lieux dans ce film, tout cela me nourrit énormément. Je ne me rends pas compte à quel point ça opère dans Saint Omer, mais c’est très fort pour moi.
Est-ce que les influences sont plus conscientes pour toi, Louis ?
Louis Garrel — Pour L’Innocent, j’étais surtout influencé par des films de série B, des films de genre…
Alice Diop — Ce qui est vraiment très réussi dans L’Innocent, c’est la façon dont tu entremêles tous les genres. Le film passe avec beaucoup de virtuosité de la comédie romantique au film policier, au film de braquage…
Louis Garrel — Oui, c’est ce dont j’avais envie. Pour ça, je me suis appuyé sur des films comme L’Arme fatale 3. Comment raconter la tristesse d’un homme endeuillé ? Plutôt que de parler, il regarde sa femme jouer du saxophone. J’ai pensé au plan où Mel Gibson regarde la photo de sa femme en mariée et où il y a une musique de saxophone. Mes sources d’inspiration étaient assez triviales. Je ne pensais pas à Bresson ! [rires]
Pourquoi as-tu eu envie avec ce film d’aborder un sujet plus autobiographique, lié au travail de ta mère, Brigitte Sy, qui a monté des ateliers dramatiques en prison ?
Louis Garrel — Si je ne l’ai pas fait avant, c’est probablement que ça me paraissait interdit de raconter mon rapport à ma mère. Parce que trop précieux. Ou trop impudique. Je ne sais pas pourquoi c’est arrivé maintenant. Pendant que j’écrivais le film, j’ai rencontré Pedro Almodóvar. Il m’a demandé ce que je faisais en ce moment et je lui ai répondu : “Un film sur ma mère.” Il m’a dit : “C’est très bien de faire un film sur sa mère.” [rires]
“Face à des films de récits autobiographiques, j’ai le sentiment que le cinéaste peine à trouver la bonne distance” Louis Garrel
Alice Diop — Pourquoi tu n’as pas envisagé de faire tourner ta mère, qui est une actrice et une femme que j’adore, dans ce film ?
Louis Garrel — Précisément pour cette raison-là. Je pense que si le personnage de la mère était interprété par la mienne, je n’aurais pas pu m’évader ensuite de l’autobiographie pour entrer dans la pure fiction. Le marche-pied dans le film est autobiographique, mais ensuite, le film s’en évade. J’adore certains grands cinéastes de l’autobiographie comme Maurice Pialat, parce qu’il fait basculer le genre dans un super-réalisme, quelque chose de spectaculaire et de grand. Mais souvent, face à des films de récits autobiographiques, j’ai le sentiment que le cinéaste peine à trouver la bonne distance, qu’on reste dans la chronique un peu anodine.
Alice, pour l’instant, la question de l’autobiographie est absente de ton travail. Tu penses que ça pourrait évoluer ?
Alice Diop — Je pense que mon intime est politique. Parce que je suis une femme noire, parce que les vies intimes que j’ai côtoyées n’ont pas été suffisamment racontées et parce que c’est un manque à l’expérience collective de dire ce que c’est qu’être français au XXIe siècle. L’endroit de l’intime chez moi enrichit le récit commun.
Ton intime ne s’exprime que s’il se tourne vers le récit des autres…
Alice Diop — Mon intime ne s’exprime que s’il a une portée politique. Mon film de fin d’études est sur mon père, montré dans son salon en train de regarder obsessionnellement Thalassa et des documentaires sur les lieux de son enfance où il ne pouvait pas retourner. C’est un des films les plus politiques que j’aie tournés, parce qu’en filmant mon père, je parle de l’exil, de l’immigration, de la mélancolie qu’elle crée et ce que cela façonne dans la vie de nombreux Français comme moi, comment nous avons été élevés…
“Je fais partie des gens qui ont grandi avec l’idée que leur histoire n’était pas digne d’accéder au récit” Alice Diop
Dans Cher Connard de Virginie Despentes, on peut lire :“Le cinéma est la grosse voix autoritaire de l’homme blanc convaincu que son arrogance peut tenir lieu d’évidence.” As-tu le sentiment que le cinéma, plus qu’un autre art, est celui de l’homme blanc ?
Alice Diop — Je connais ces lignes, j’ai même pris cette page en photo ! [rires] J’ai appris dans un autre livre lu récemment, Le Cinéma à l’épreuve du divers de Jean-Michel Frodon, que les colonisés n’avaient pas le droit de posséder de caméra par un décret qui s’appelle le décret Laval…
Louis Garrel — Pierre Laval ?
Alice Diop — Oui. Toute l’histoire du cinéma est l’histoire de gens qui se sont arrogé le droit au récit, à côté de ceux qui ne l’avaient pas et qui l’ont pris très tardivement. Je fais des films pour réparer un manque. Parce que je fais partie des gens qui ont grandi avec l’idée que leur histoire n’était pas digne d’accéder au récit. J’ai fait de l’histoire coloniale à la fac et j’ai décidé de devenir cinéaste parce que j’avais l’impression que cette histoire-là continuait à hanter mon présent. J’aurais pu faire un doctorat en histoire, mais, à 24 ans, je me suis dit qu’il fallait utiliser des outils pour démocratiser ce savoir qui est fondamental.
As-tu le sentiment qu’on vit un moment où l’inclusivité gagne du terrain ?
Alice Diop — La une du Film français titrant “Objectif : Reconquête !” montre quand même qu’il y a des résistances très, très fortes. C’est un choix probablement inconscient, mais c’est encore plus signifiant. Que ce soit possible de ne pas entendre que le mot “reconquête” soit le nom d’un parti xénophobe, que l’image ne comporte que des hommes blancs, c’est dingue. Et le fait que deux semaines après, c’est moi qui suis en une, sans que ce journal n’ait eu l’élégance de me prévenir, me paraît tout aussi violent et problématique.
On me met en avant, mais pour instrumentaliser mon corps, mon histoire et mon parcours, pour faire du washing. Si on en est à utiliser ces combats comme un argument marketing, c’est presque pire. Je pense que tout est loin d’être acquis. J’aspire à ce qu’on soit plus nombreux et que, lorsqu’on sera plus nombreux, on nous parle de questions de cinéma, de la production de formes singulières, et pas seulement de questions de représentations des minorités.
“Ce que je trouve très beau dans Saint Omer, c’est que le regard n’est pas du tout compassionnel…” Louis Garrel
Louis Garrel — Ma fille, qui est noire, est revenue d’un stage de danse aux États-Unis et elle m’a dit : “C’était vraiment bien !” Je lui ai demandé pourquoi, et elle m’a répondu : “Parce que je n’ai pas pensé que j’étais noire pendant trois semaines.” C’est un enjeu politique auquel les gens ne pensent plus. Dans L’Innocent, j’ai volontairement choisi que le personnage interprété par Roschdy Zem s’appelle Michel. J’étais vraiment content que dans tous les débats publics que j’ai faits à l’issue du film, pas un spectateur ne m’ait posé la question. Ce que je trouve très beau dans Saint Omer, c’est que le regard n’est pas du tout compassionnel…
Alice Diop — En effet, très souvent, quand je vois des acteurs noirs en France, j’ai le sentiment que le regard posé sur eux est au mieux compassionnel, au pire paternaliste. Dans la compassion comme dans le paternalisme, on sait toujours qui a le pouvoir. Je pense que quand ta fille te dit ça, Louis, c’est parce qu’en France, dans tous les films qu’elle voit, elle n’oublie jamais qu’elle est noire et qu’elle ne fait pas partie du récit. Ce qui me touche le plus avec Saint Omer, c’est lorsque des hommes ou des femmes, blancs ou non blancs, me disent : “C’est ma mère, c’est mon histoire…”
Louis Garrel — C’est la vraie inclusivité. C’est une histoire incarnée par des acteurs et actrices noir·es mais qui concernent tout le monde.
Alice Diop — C’est ça. Quand je regarde Le Procès de Jeanne d’Arc de Bresson, ça me touche alors que je suis une femme noire. Mais j’avais l’impression que l’inverse n’était pas possible.
Louis Garrel — C’est ça que j’ai adoré dans La Graine et le Mulet [d’Abdellatif Kechiche], par exemple. C’est une histoire qui pourrait être celle d’un film de Doillon : un mec, son ex-femme, la nouvelle, la belle-fille, mais à Marseille avec des personnages d’origine algérienne. Le film provoque une expérience sensuelle totalement universelle. Comme dans ton film…
Alice Diop — Toute la mise en scène de Saint Omer est pensée dans le but que ces histoires soient des histoires universelles. Parce qu’on a aussi le droit de porter la question de l’universel.
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