Après Lewis Milestone en 1930 et Delbert Mann en 1979, le réalisateur Edward Berger (Jack, Deutschland 83) s’empare à son tour du chef-d’oeuvre d’Erich Maria Remarque qui racontait la Première Guerre Mondiale à travers le regard d’un soldat allemand. Choisi pour représenter l’Allemagne aux Oscars 2023 après son passage dans les salles allemandes et américaines, À l’Ouest rien de nouveau offre une plongée éprouvante dans l’horreur des tranchées, qui ne sort malheureusement que sur Netflix en France.
Au début de son roman publié en 1929, Erich Maria Remarque écrivait : “Ce livre n’est ni une accusation ni une profession de foi, et encore moins une aventure, car la mort n’est pas une aventure pour ceux qui lui font face. Il s’agit seulement d’essayer de dire ce qu’a été une génération qui, même quand elle a échappé à ses obus, a été brisée par la guerre.“
Cette phrase, reprise en citation dans la bande-annonce (et sous la forme d’un texte d’introduction par Lewis Milestone et Delbert Mann à l’époque), résume parfaitement l’intention qui inspire À l’Ouest rien de nouveau et Edward Berger. La mort n’a rien d’héroïque, et la guerre n’est pas un spectacle, seulement un enfer dont le réalisateur montre toute la monstruosité à travers une mise en scène qui rappelle évidemment 1917 de Sam Mendes pour sa virtuosité technique, son aspect immersif et l’ampleur de ses scènes de bataille.
Chargez !
Le film s’ouvre sur des images malickiennes d’un paysage de campagne à l’aube : la brume qui glisse paisiblement entre les troncs d’arbres, des renardeaux qui tètent leur mère et des arbres qui s’élèvent vers un ciel nuageux.
Alors que la caméra traverse un nuage de fumée pour révéler un tableau cauchemardesque composé de boue, de morceaux de métal et de corps qui jonchent le sol gelé, une rafale de mitrailleuse brise le silence élégiaque des premières heures du jour et préfigure du carnage que le film dépeint avec un réalisme viscéral.
La mort est leur métier
Dès le prologue, Edward Berger fait preuve d’une précision méticuleuse et d’une maîtrise remarquable en se faufilant dans les tréfonds des tranchées pour suivre un jeune soldat allemand nommé Heinrich lors d’un énième assaut, filmé en plan-séquence.
L’instant d’après, le titre du film apparaît et le garçon gît à l’arrière d’un camion parmi une pile de cadavres dépouillés de leurs tenues et enterrés dans une fosse commune. La caméra de Berger, en suivant le parcours d’un uniforme passant de main en main pour être lavé, raccommodé et remis en service, illustre la machine de guerre implacable, nourrie par de nouvelles recrues moins précieuses que les vêtements dans lesquels elles vont mourir.
L’uniforme finit dans les bras de Paul Baümer (Felix Kammerer). Comme ses amis naïfs et idéalistes enhardis par des discours enflammés sur Dieu, le Kaiser et la patrie, le jeune homme s’est engagé en pensant qu’il n’y avait pas de plus grand honneur. Envoyé sur le front de l’Ouest, il découvre avec effroi ce qu’Erich Maria Remarque décrivait comme “l’empire de l’horreur“, où des hommes hurlent, s’entre-tuent et meurent pour garder des lignes qui bougent d’à peine quelques centaines de mètres.
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Outre la prouesse technique et la réalisation oppressante qui restitue avec une force impressionnante les atrocités de la Grande Guerre, À l’Ouest rien de nouveau se distingue aussi dans sa capacité à dessiner des individualités. En s’attardant sur Paul et son groupe d’amis du moment où ils s’engagent pleins d’espoirs jusqu’à la barbarie du champ de bataille, le film permet d’assister à la violente désillusion de ces jeunes soldats envoyés se faire massacrer sur la promesse d’une grandeur patriotique, d’un destin héroïque et d’une victoire qui ne devait pas prendre plus de six semaines.
Alors que Paul est envoyé récupérer les plaques des morts après un baptême du feu aussi terrifiant qu’étourdissant, la musique de Volker Bertelmann retentit avec le même motif incessant, comme une sirène à l’approche du combat : des rafales de caisses claires pour marquer la displine militaire, et trois notes électriques assourdissantes et inquiétantes, qui pourraient être interprétées comme le rugissement de la bestialité de l’être humain, ou un grondement venu des entrailles de la Terre.
Des fantômes qui hantent les soldats et le champ de bataille
La guerre, issue des errements de l’Homme et de sa pensée destructrice, s’oppose intrinsèquement à la nature et à la vie. Pourtant, il y a quelque chose de sublime dans la façon dont Edward Berger parvient à conjuguer la beauté à l’horreur à l’écran. Tout au long du film, le cinéaste et son directeur de la photographie James Friend (avec qui il a déjà travaillé sur Patrick Melrose et Your Honor) suspendent régulièrement la tension nerveuse des tranchées et des combats par des visions naturalistes et des moments de répit, où l’ombre de la mort plane toujours au-dessus d’eux.
Par de petits détails et quelques nuances, le récit réussit à caractériser chacun des personnages et à susciter de l’empathie envers ce groupe de soldats qui s’est habitué malgré lui au chaos. L’attente, au bout d’un moment, devient insupportable, mais l’amitié et la camaraderie qui lient Paul et ses compagnons d’armes sont poignantes. La faim est omniprésente, comme les autres besoins, que chacun tente de combler à sa façon : une oie volée à un fermier français, le mouchoir d’une fermière rencontrée pour une nuit ou l’affiche d’une femme de rêve qu’ils ne connaîtront jamais.
Un instant de calme précieux avant le retour de la tempête
Dans le rôle de Paul, qui est le coeur du récit, Felix Kammerer est aussi bouleversant qu’épatant. Avec une émotion à fleur de peau et une tension parfois proche de la crise de nerfs, l’acteur démontre déjà un grand talent pour sa première prestation à l’écran et retranscrit parfaitement le désarroi du héros, son désespoir, sa mélancolie et, finalement, son indifférence de la guerre. À l’image du personnage d’Alekseï Kravtchenko dans Requiem pour un massacre, l’évolution de Paul s’imprime physiquement sur lui et son visage se décompose au fil de son épopée pour ne laisser qu’un masque figé de sang et de boue où ne passe plus que son regard azur perçant.
En proposant la première adaptation en langue allemande à l’écran, Edward Berger ajoute de l’authenticité au film, mais accomplit aussi une certaine réappropriation culturelle d’une guerre et d’une oeuvre profondément inscrites dans la psyché nationale et la mémoire collective allemande. Par conséquent, ce nouveau long-métrage donne encore plus de force au propos du roman en représentant cette génération brisée dont Erich Maria Remarque voulait raconter l’histoire dans son livre.
Regarder la mort en face
Globalement, À l’Ouest rien de nouveau conserve l’essence du texte d’Erich Maria Remarque et sait lui donner une puissance visuelle, émotionnelle et symbolique, mais le film est moins fidèle que les précédentes adaptations.
Afin de s’approprier pleinement le récit, Edward Berger (qui a co-écrit le scénario avec Lesley Paterson et Ian Stokell) a décidé de faire abstraction de plusieurs scènes du roman : l’entraînement de Paul à la caserne sous les ordres du vicieux caporal Himmelstoss ; sa permission de quelques jours dans les lignes arrières ; son retour déchirant à la maison avec sa mère malade et sa soeur ou encore son séjour à l’hôpital avant de retourner sur le front.
Kat, fidèle allié aussi simplet que débrouillard
À la place, le réalisateur effectue une ellipse entre le moment où Paul découvre le front en 1917 et les derniers jours de la guerre en novembre 1918 et s’intéresse à deux figures qui ne sont pas dans l’oeuvre originale : le général Friedrich (Devid Striesow), un militaire fanatique qui veut se battre jusqu’au bout, et Matthias Erzberger (Daniel Brühl), diplomate allemand présidant la délégation chargée de négocier l’armistice face au maréchal Foch (Thibault De Montalembert) dans la forêt de Compiègne.
La nourriture abondante, les décors luxueux et le mépris des dignitaires français et allemands crée un contraste encore plus fort avec les conditions de vie des soldats dans les tranchées. Avec cette nouvelle intrigue, le film apporte un contrechamp historique, politique et souligne la futilité de la guerre, les dangers du nationalisme, mais aussi le sentiment de honte qui naît à ce moment-là. Cette rancoeur née de la “légende du coup de poignard dans le dos” (Dolchstoßlegende en allemand) qui conduira à la montée du nazisme et à la Seconde Guerre Mondiale.
Le coût de la paix
Cependant, même si elle permet d’offrir une représentation plus complète de la guerre, cet ajout rallonge encore un plus le récit et brise l’immersion auprès de Paul et de ses camarades. Un des rares défauts de cette nouvelle adaptation d’À l’Ouest rien de nouveau, qui restitue parfaitement le témoignage d’Erich Maria Remarque et de ces jeunes soldats jettés en enfer.
À l’Ouest rien de nouveau est disponible depuis le 28 octobre sur Netflix.
À l’Ouest rien de nouveau restitue avec une force impressionnante la monstruosité, l’horreur et l’absurdité de la guerre. En voulant trop en faire, Edward Berger finit par surcharger son récit, mais cette nouvelle adaptation en allemand du roman d’Erich Maria Remarque est aussi aboutie techniquement qu’elle est puissante.
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Lecteurs
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@NelsonMundele Les tanks sont mentionnés dans les dernières pages du livre, au chapitre 10 : "Les tanks, qui étaient autrefois un objet de raillerie, sont devenus une arme terrible. Ils se déroulent en longues lignes blindées et incarnent pour nous, plus qu'autre chose, l'horreur de la guerre."
@Bob Merci de l'avoir signalé, erreur corrigée !
Beau film mais il m'a moins marqué que le livre dont certaines scènes n'ont malheureusement pas été adaptées, celles que vous avez cités mais aussi celle du bombardement dans le cimetière ou l'anecdore des bottes de Kemmerich. Je ne me souviens pas des tanks dans le livre… Mais bon, il est normal de prendre certaines libertés surtout que les tanks ont été un tournant de la guerre, l'Allemagne, manquant de fer, ne pouvait en fabriquer en masse et n'avait pas joué cette carte à la base.
Après, histoire terrible, étant issue d'une famille alsacienne par mon père et française par ma mère, j'ai deux arrières-grands-pères qui ont vécu cette saloperie (pas d'autre mot), mon arrière-grand-père d'origine alsacienne, dont la famille venait d'immigrer sur Paris, a passé la guerre à se demander s'il ne tirait pas sur ses propres cousins restés au pays… il en est d'ailleurs ressorti antinationaliste dont le mot d'ordre était "guerre à la guerre ! Plus jamais ça !"
Manque de pot, cette guerre ne faisait que préparer celle qui a suivi, beaucoup plus dure pour les civils que pour les soldats, cependant car la première guerre s'était bien lâchée question armement inhumain, entre les lance-flammes, les gaz moutardes et tout le tralala…
Je vous jure que j'ai été une fois dans une simulation de tranchée, j'en suis ressorti tremblant et en larmes, les nerfs avaient lâchés, autant la seconde guerre ne me fait pas grand chose question peur mais la première guerre me traumatise littéralement comme si mes aïeux m'avaient retransmis leurs frayeurs dans mon patrimoine génétique, ce qui est probablement le cas.
Guerre à la guerre, plus jamais ça !
Critique très intéressante. Juste une chose : le nom du personnage principal Paul Baümer*, et non pas Paul Bohmer, comme c'est écrit ici.
LE plus grand film de guerre de tous les temps. Tout y est. Épique, grandiose. Effectivement toute l’absurdité de la guerre. Exceptionnel et tourmentant à la fois…
Une daube j'ai pas d'autres mots c'est long mais long … D'un ennui abyssal c'est du vu et revu dans tous les films de la 1 ère guerre ça n'apporte rien vraiment passez votre chemin
Une merveille très beau film avec des scènes de combat reflaitant la peur et l atrocité de cette guerre avec un réalisme incroyable.superbe hommage à cette génération sacrifiée.paix à leurs âmes.
EL de plus en plus décalé.
Ce film est d’un voyeurisme esthétisant immonde.
A éviter
La bande annonce m’avait donné envie de voir ce film, cette critique vient de confirmer mon ressenti.