La sobriété fait partie de notre horizon à court, moyen et long terme du fait de la nécessité vitale de réduire les impacts sur l’environnement et face aux pénuries de matières et d’énergies. Le dernier point, sur fond de gaz russe, justifie les récentes déclarations du gouvernement et les demandes faites aux entreprises. Les entreprises sont maintenant aguerries dans la façon de conduire des changements, mais la sobriété relève d’un changement très particulier. Comment peuvent-elles aborder celui-ci ?
Les entreprises ont donc été instamment invitées par la Première ministre lors de l’Université d’été du MEDEF le 29 août à faire preuve de sobriété, dans la perspective d’un accès limité aux ressources énergétiques lors du prochain hiver. Cet appel à la sobriété avait déjà été lancé dès le mois de mars par le président de la Commission Régulatrice de l’Energie[1], puis par les dirigeants de grands groupes énergétiques en juin[2], et suivi en juillet par 84 dirigeants de grandes entreprises[3].
Ces appels sont une conséquence directe de la guerre en Ukraine et de la baisse des approvisionnements de gaz russe. Mais la sobriété s’impose également comme une des meilleures réponses aux menaces climatiques, ainsi que le détaillait le dernier rapport du GIEC, en estimant que cette approche permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 70 % d’ici à 2050[4].
L’adoption de comportements de sobriété, de la part des entreprises notamment, ne va donc pas constituer une solution provisoire répondant à un moment de crise, mais un changement profond appelé à se pérenniser, quelle que soit l’issue de la question ukrainienne.
Pour aborder les questions de sobriété, les entreprises doivent traiter deux grandes problématiques : comment faire évoluer leurs activités et leurs offres pour les rendre plus sobres en énergie et en matière, et comment accompagner leur corps social dans l’adoption de comportements de sobriété ?
Au premier point, des réponses techniques peuvent être apportées à travers :
Le second point, concernant le comportement des collaborateurs, des managers et des dirigeants relève d’une approche de conduite du changement et pourrait à ce titre paraître moins compliqué à mettre en œuvre. Accompagner les changements fait en effet partie des compétences régulièrement mises en œuvre par les entreprises depuis ces 10 dernières années.
Mais la sobriété soulève des questions spécifiques, et appelle une conduite particulière de ce type de changement.
Telle qu’elle est généralement pratiquée, la conduite du changement est en effet fondée sur un principe de substitution. Elle aide à opérer le mouvement qui va de l’abandon d’une pratique ou d’un outil à l’adoption d’un autre pratique ou d’un autre outil, selon la logique qu’on n’abandonne que ce qu’on remplace.
On remplace donc un ancien applicatif par un nouveau logiciel ou on remplace des pratiques managériales datées par un nouveau corpus inspiré de l’agilité, ou des neurosciences, ou de la diversité, etc.
Adopter un comportement de sobriété ne se situe pas sous ce registre : il ne s’agit pas de faire autre chose, mais de faire moins.
L’enjeu porte sur une réduction volontaire et prolongée de l’usage des capacités disponibles.
Comment décider de réduire de son propre chef la consommation de biens ou de services, et comment s’y tenir alors qu’ils demeurent généralement accessibles ?
Le numérique constitue un exemple auquel les entreprises sont confrontées.
La sobriété doit s’y appliquer car l’empreinte écologique du numérique est très forte et croissante. Ce secteur consomme 10 % de l’électricité mondiale et est responsable de 4 % des émissions de gaz à effet de serre, avec une perspective dès 2025 de 8 % des émissions. De plus, le numérique provoque des dégâts environnementaux gigantesques sur les lieux d’extraction des métaux qui lui sont nécessaires – avec des « villages du cancer » en Chine et des conflits armés en République Démocratique du Congo – et dans les sols où s’entassent les décharges des déchets électroniques.
Or, le PC, les téléphones et les serveurs sont de plus en plus puissants, avec des réseaux capables de transporter toujours plus de données, et dont les régulières innovations sont autant de sirènes auxquelles il est difficile de ne pas répondre.
Comment dans un tel contexte décider de s’auto-limiter ?
Deux domaines mettent en œuvre des logiques d’auto-limitation qui peuvent nous inspirer : la conduite routière et la consommation de tabac ou d’alcool.
Quels facteurs d’auto-limitation sont à l’œuvre dans ces deux domaines et quels leviers du changement peuvent-ils inspirer ?
Cinq leviers paraissent particulièrement adaptés pour faire préférer la sobriété :
Conduite routière : Des campagnes régulières de la sécurité routière d’une part maintiennent la prise de conscience du risque et la perception de sa gravité, d’autre part promeuvent des comportements vertueux.
Consommation de tabac ou d’alcool :
Les communications sur le tabac ou l’alcool en rappellent régulièrement les risques, en particulier à destination des jeunes, en mettant en avant les avantages de la sobriété (le « Sam » des soirées arrosées).
Conduite routière : Pendant qu’on conduit les panneaux sur le bord de route nous rappellent régulièrement la vitesse autorisée, à l’entrée des agglomérations des panneaux affichent notre vitesse en vert ou en rouge selon le respect de la limitation, et si l’on utilise un GPS cette information est donnée en temps réel.
Consommation de tabac :
A chaque fois qu’on prend une cigarette, la jolie photo ornant le paquet rappelle les risques auxquels on est exposé.
Conduite routière : L’accès à une voiture n’est pas ouvert à tout le monde : il faut avoir un certain âge, suivre des cours, faire certifier ses connaissances théoriques et la maîtrise des gestes et des comportements adaptés, pour enfin se voir remis un permis de conduire. Et cet accès à la voiture sera encore contraint pendant la première année avec la limitation à 90 km/heure, publiquement affichée à l’arrière du véhicule.
Consommation de tabac ou d’alcool :
L’accès à l’achat de cigarettes ou d’alcool est également réglementé : il faut avoir au moins 18 ans.
Conduite routière : L’infrastructure routière oblige de fait à ralentir aux endroits critiques, à travers les feux-rouges, les stops, les ronds-points, les gendarmes couchés…
Consommation de tabac ou d’alcool :
On ne peut pas se fournir en tabac n’importe où, il faut se rendre dans des commerces dédiés. En Suède, l’accès à l’alcool obéit au même type de restrictions, avec des magasins spécialisés.
De plus, l’interdiction de fumer dans les lieux publics fermés restreint sa consommation. Il en va de même pour la consommation d’alcool sur le lieu de travail.
Conduite routière : Les excès de vitesse sont pénalisés par des amendes et par des pertes de points sur le permis. A contrario, la bonne conduite permet de récupérer ces points. De la même façon, l’historique des ses accidents va se traduire par un malus ou un bonus dans le contrat d’assurance.
Consommation de tabac :
Le principe du bonus / malus se retrouve également dans les contrats d’assurance associés à un emprunt immobilier par exemple, qu’on paiera plus cher si l’on est fumeur.
De même qu’on se verra interdit de louer un logement ou d’accéder à un hôtel, selon une discrimination socialement légitimée.
Conduite routière :
Les stages de récupération des points de permis ont une durée conséquente (2 jours) et sont animées en collectif par un psychologue qui s’efforce de créer un « espace de partage » permettant des échanges pour que chacun puisse reconsidérer ses opinions en matière de conduite.
Consommation d’alcool :
Le protocole des Alcooliques Anonymes donne une part déterminante au soutien du collectif dans le renforcement de la volonté d’abstinence.
Ce dernier point – le soutien du collectif – va s’exprimer différemment selon que la sobriété a une visée individuelle ou collective.
En matière de conduite routière ou d’addiction, l’effort à consentir vise un bénéfice individuel : on veut éviter un accident ou préserver sa santé. On ne peut pas être le passager clandestin de soi-même. L’instance collective sert donc à maintenir la détermination de l’individu.
Face à une baisse des approvisionnements énergétiques ou à un risque général sur le vivant, l’effort à consentir est une contribution pour un bénéfice collectif. Le risque du passager clandestin est donc toujours présent. L’instance collective sert donc à garantir que l’effort est effectivement partagé par tous et que chacun contribue à sa juste mesure.
Sur le plan climatique, on sait que l’impact carbone est directement corrélé au niveau de richesse : au niveau mondial les 10 % les plus riches sont responsables de 52 % des émissions de gaz à effet de serre, alors que les 50 % les plus pauvres n’en émettent que 12 %[5]. La question de la juste répartition des efforts est donc primordiale en la matière.
2 exemples d’application
Pour porter la sobriété en matière de numérique, ces leviers pourraient être activés de la manière suivante :
Pour la sobriété en matière de chauffage (le secteur du bâtiment représente 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France, le chauffage en est le principal vecteur, et les alertes gouvernementales anticipent précisément les besoins énergétiques pour se chauffer l’hiver prochain)…
Au-delà de la mise en place de ces leviers, on ne doit évidemment pas oublier que ce type d’opération de conduite du changement nécessite aussi des efforts d’explication pour partager la compréhension du problème, la communication d’une vision claire de la cible, une équipe de direction soudée et soutenue par des relais locaux, et un plan d’actions permettant de construire progressivement les nouveaux repères, de les éprouver, de les incrémenter et d’en assurer la robustesse…
Mais il demeure que des leviers spécifiques peuvent être activés au titre de la sobriété.
Les scientifiques du GIEC trouvent tous que la situation environnementale se dégrade plus rapidement que leurs modèles ne le laissaient penser[6].
Les urgences écologiques vont donc nous amener à devoir vite explorer ces leviers et les expérimenter.
[1] Energie : l’heure de la mobilisation générale pour éviter le black-out | Les Echos
[2] TotalEnergies, EDF et Engie lancent un cri d’alarme: économisez l’énergie pour éviter les pénuries cet hiver! (latribune.fr)
[3] « Faire de la sobriété un choix collectif » : l’appel de 84 dirigeants d’entreprises français (lejdd.fr)
[4] Rapport du Giec : la sobriété est « incontournable » pour limiter le réchauffement climatique (nouvelobs.com)
[5] Les 10 % les plus riches sont responsables de 52 % des émissions de dioxyde de carbone (courrierinternational.com)
[6] Le premier volet du 6ème rapport du GIEC (août 2021) concluait que le changement climatique était plus rapide que prévu.
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