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Le film, bouleversant et sensible, de Lukas Dhont sort en salle le 3 février
Un texte de Helen Faradji
On a essayé de partir de quelque chose de très personnel pour trouver ce qui peut nous toucher tous et toutes. Et je crois que tout le monde a eu le cœur brisé un jour par une relation qui a changé. Ce sentiment de perte est universel.
Il est entré dans le monde du cinéma de façon inoubliable avec Girl, plongée dans le corps et l’âme d’une jeune danseuse trans.
Avec son second film, Close, observation tout en délicatesse et en sensibilité de l’amitié tragique entre deux jeunes garçons de 13 ans, il inscrit pour de bon son nom au rang des cinéastes qui comptent.
Normal, car son film, sacré d’un Grand Prix du Festival de Cannes l’année dernière, est une pépite bouleversante qui se tient au plus près des émotions, des non-dits, de ce qu’on ne peut pas cacher et qui déborde. Nous avons rencontré le réalisateur belge Lukas Dhont.
Lukas Dhont : J’ai espéré que ça fonctionne avec un déclic. Mais j’ai réalisé que ça ne marchait pas comme ça, qu’il fallait travailler avec ces insécurités et que le processus d’écriture de ce deuxième film allait être très différent du premier. Par contre, à un moment, mon corps a senti un désir de retourner à mon village d’enfance, où ma grand-mère habite encore. Elle a été professeure dans mon école primaire, et j’avais aussi envie d’y retourner.
Là, au milieu d’une délégation d’anciens professeurs qui étaient tous très fiers – Girl avait très bien marché en Belgique –, une de mes anciennes professeures m’a pris dans ses bras et a commencé à pleurer. Je crois qu’elle pleurait de fierté, mais aussi parce qu’elle se souvenait de cet enfant qui était en conflit avec les codes et les normes, qui ne répondait pas aux attentes de cette société et pour qui c’était brutal.
Je ne savais pas au début pourquoi c’était si nécessaire pour moi de revenir dans cette école. Avec le recul, je comprends que j’avais besoin de revenir à cet état d’enfance. C’était aussi le moment où j’ai commencé à tout filmer. J’avais reçu une caméra en cadeau de ma maman, et elle a été ma première actrice. Je devais donc me reconnecter à l’enfant en conflit, mais aussi à l’enfant qui avait cette caméra.
L.D. : Comme la réalité était si conflictuelle, la créativité était une fuite. Ma maman était aussi professeure, mais peintre dans ses temps libres. Je restais souvent à la regarder peindre, et elle m’a montré que la créativité pouvait être un lieu où disparaître, où fuir. La caméra, les films que je faisais constamment en dirigeant mes cousins-cousines m’offraient la possibilité de ne pas être dans la réalité.
Le cinéma pour moi a toujours été lié à cette idée de spectacle, d’un autre monde. Plus tard, il est aussi devenu le lieu où je pouvais exprimer ce que je n’avais pas pu dire pendant si longtemps.
L.D. : Je pense que le cinéma ne l’a pas montré parce que la réalité ne l’acceptait pas. Les constructions sociales liées à la masculinité sont souvent évoquées par des mots comme indépendance, brutalité, distance. Une psychologue américaine a suivi 150 garçons entre 13 et 18 ans. À 13 ans, elle leur demandait de parler de leurs amitiés, et ils évoquaient des histoires d’amour, des fragilités, de la vulnérabilité avec un vocabulaire plein d’émotion. Mais à 17-18 ans, c’est comme si ce vocabulaire avait disparu, que ces garçons n’osaient plus exprimer ces émotions. Ils ont appris entre-temps que cette émotion est liée à la féminité.
Pour beaucoup, et pour moi aussi pendant longtemps, la fragilité est associée à la faiblesse. C’est ce que la société apprend aux jeunes hommes. Petit à petit, j’ai compris que ma fragilité était ma force, mais ça m’a pris du temps.
On vit dans un monde où tout ce qui est dur, fort, compétitif prend plus de place que ce qui est doux et tendre. Comme la réalité est comme ça, le cinéma suit. L’important pour moi, c’était de rendre visible ce que l’on ne voit pas dans la société.
L.D. :
C’est une question fondamentale dans ma vie : comment parler de la violence sans être violent?
Je ne sais pas si je réussis, car chaque spectateur va ressentir les choses différemment. Mais pour moi, c’est important d’en parler sans créer des images qui sont, selon ma sensibilité, violentes. Je savais dès le début que le film serait en deux parties, l’une de fragilité et l’autre de brutalité, et que cette dernière arriverait petit à petit pour corrompre la première. On sous-estime souvent la force de l’imagination chez les spectateurs et spectatrices. Or, dans un film qui parle de l’enfance où c’est si important, je voulais créer un espace actif qui fait appel à leur imagination. D’ailleurs, avec l’imagination, on crée souvent des images encore plus fortes que ce qui pourrait être montré.
L.D. : Je pense que oui. Ce danseur est toujours resté en moi, même si j’ai plutôt choisi le cinéma. Lors de mes études en cinéma, je regardais beaucoup de films où la chorégraphie est importante, comme Elephant, de Gus Van Sant, Jeanne Dielman, de Chantal Akerman, ou encore ceux des frères Dardenne, qui utilisent leur caméra comme des danseurs.
Je crois que quand j’écris, je le fais beaucoup plus comme un chorégraphe que comme un scénariste : j’écris des mouvements, des intentions corporelles, des regards, des musiques, des couleurs, des lumières.
Et je cherche comment faire ressentir et exprimer des non-dits à travers les corps, par le langage du cinéma.
Close, à voir en salle dès le 3 février.
La bande-annonce (source : YouTube)
Compléments:
https://seo-consult.fr/page/communiquer-en-exprimant-ses-besoins-et-en-controlant-ses-emotions