Dans Le Devoir du 22 août dernier, le sociologue et historien Gérard Bouchard réitérait de belle façon ses convictions souverainistes. Ça aurait dû être une bonne nouvelle pour les partisans de cette option. Bouchard est une grande figure intellectuelle du Québec contemporain. Il a souvent plaidé, depuis 25 ans, pour la souveraineté, mais ses critiques envers un certain courant nationaliste identitaire pouvaient, dans les années récentes, faire douter de sa ferveur indépendantiste.
Or voilà que, dans ce texte senti, il redit que « la souveraineté [est] plus nécessaire que jamais ». L’actuelle pandémie, explique-t-il, a révélé « la fragilité des réseaux supranationaux » et l’importance de l’État-nation « comme rempart dans un contexte de crise ».
Cette raison de faire l’indépendance, ajoute-t-il, vient s’ajouter à celles qui fondaient déjà le mouvement, c’est-à-dire « le combat pour le français, l’émancipation économique, sociale et culturelle de notre société, le renforcement d’une francophonie nord-américaine et, plus généralement, une plus grande liberté collective pour traiter à notre façon, suivant nos traditions et nos choix, les grands problèmes de l’heure ».
Tous les souverainistes auraient dû, il me semble, applaudir à cette défense sans équivoque de leur projet. Pourtant, ça n’a pas été le cas. Certains souverainistes, de toute évidence, ne peuvent blairer Bouchard, qu’ils accusent de mollesse identitaire. Dans son texte, pourtant, le sociologue brille par son sens de la nuance.
Il va de soi, écrit-il, « qu’une nation a besoin d’une identité comme expression d’une appartenance et source de solidarité ». Toutefois, dans une société diversifiée comme le Québec, il convient aussi d’éviter un rétrécissement du « nous » de la nation si on souhaite réunir cette dernière « autour d’idéaux et de projets communs ». Affirmer cela, précise Bouchard, ce n’est pas « succomber au multiculturalisme ».
Défenseur de l’interculturalisme, Bouchard reconnaît sans ambages l’existence d’une majorité au Québec et redit la nécessité d’intégrer les minorités dans le projet national, mais il insiste aussi sur l’obligation éthique de « respecter la diversité plutôt que de la broyer ». Pour éviter la polémique, Bouchard ne formule pas directement, cette fois, son opposition à la Loi sur la laïcité de l’État, mais l’allusion ne fait aucun doute.
Ce point de vue critique sur la laïcité et l’appui du sociologue, en fin de texte, au candidat Sylvain Gaudreault dans la course à la chefferie du Parti québécois ont suffi à certains pour condamner Bouchard. C’est désolant et ça illustre une des raisons de la déroute souverainiste : chacune des tendances qui composent le mouvement se croit détentrice de la vérité absolue et traite les tendances divergentes en ennemies. Pendant ce temps, les fédéralistes de tout acabit se divisent sur des détails, mais s’entendent sur l’essentiel.
La même remarque vient à l’esprit en lisant Un peuple libre (Écosociété, 2020, 200 pages), un essai de Benoit Renaud, membre du comité de coordination national de Québec solidaire (QS), sur ces questions. Issu d’une frange du mouvement trotskyste, Renaud argumente avec aplomb dans un style clair et maîtrisé. Son plaidoyer pour « un Québec indépendant, postcolonial et pluraliste » commence bien parce qu’il s’en tient d’abord à l’essentiel.
L’idéologie nationale canadienne, note-t-il, repose sur trois principes : le bilinguisme, le multiculturalisme et l’égalité des provinces. « L’idée d’un Québec ayant le français comme langue commune, qui rassemble des gens d’origines diverses dans une convergence interculturelle et qui s’affirme comme une nation est en opposition avec ces trois grands principes canadiens », écrit-il. Pour sauvegarder cette idée du Québec, par conséquent, l’indépendance s’impose. Voilà un raisonnement qui devrait rallier tous les souverainistes.
En tant que militant de QS, toutefois, Renaud ne saurait s’en contenter. Il ajoute donc « que la souveraineté en elle-même ne suffit pas » et « que seul un projet avec un contenu démocratique, social et environnemental significatif permettrait de rallier une majorité de la population ». Le problème, c’est que si la définition de ce projet va au-delà des fondamentaux — langue française, type de régime, type de laïcité, démocratie, respect des droits —, elle devient inévitablement une source de division puisque les souverainistes n’ont pas tous la même idéologie.
Renaud défend intelligemment le projet de gauche de QS. Toutefois, en en faisant une condition de son appui à la souveraineté et en rejetant toute alliance avec le PQ, il divise au lieu de rallier. « Si tu mets des conditions à l’indépendance, c’est pas de gauche, disait Pierre Falardeau. La liberté, c’est une valeur en soi » et c’est la condition du reste.
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