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Santé et pouvoir (Université catholique de Louvain) – Fabula

Colloque international : « Pouvoir et santé » (4-6 mai 2023)

Appel à contributions
Les réflexions initiées par Ernst Kantorowicz sur la double corporalité du dirigeant, à la fois réalité biologique et construction anthropologique, ont fait du corps royal/princier un objet d’étude fructueux. Les efforts d’historiens à l’instar d’Agostino Paravicini Bagliani nous ont révélé à quel point l’enveloppe charnelle est le lieu d’une matérialisation des pratiques et discours du pouvoir entre Moyen Âge et Renaissance. Le XIIIe siècle donne lieu à l’émergence d’une « civilisation de l’anatomie » plaçant le corps au centre d’un « faisceau de significations riches et complexes », comme unité de mesure de l’ordre social en vigueur. La chair du dirigeant devient par métaphore le reflet de la viabilité de l’État : la santé du prince, tête et double du royaume, garantit en effet la stabilité de la communauté politique. Si le corps symbolique demeure intouchable et immortel par nature, son double biologique est quant à lui soumis à l’épreuve constante de la caducité. Les mutations du pouvoir royal au XIVe siècle font de la gouvernance étatique une tâche éreintante (car plus exigeante et cruciale) ayant l’effet d’exposer le souverain à de plus nombreux risques. Les usures découlant du pouvoir concernent de nombreux dirigeants (notamment dans les anciens Pays-Bas où Charles Quint et Marie de Hongrie abdiquent tous deux du pouvoir pour raisons de santé le 25 octobre 1555). Pourtant, d’origine naturelle ou accidentelle, la maladie n’augure pas forcément la déconvenue politique : l’histoire médiévale et moderne produit son lot de souverains diminués ayant défié les prescriptions philosophiques et morales traditionnelles (Jean de Bohême, Edouard III, Charles VI, Marie de Castille, Louis XI, Henri VIII, Marie Tudor, Catherine de Médicis, Louis XIV, etc.) Éprouvée ou instrumentalisée, l’indisposition amène en réalité de nombreuses possibilités pour celui qui gouverne. Quoique défectueux, le corps naturel reste avant tout la source du charisme et de l’ancrage affectif des Grands. Sa commémoration et sa préservation sont les vocations essentielles de la cour et de l’hôtel qui le soutiennent dans ses fonctions quotidiennes.
Depuis le XIIIe siècle, une véritable médecine curiale s’institutionnalise en Occident et occasionne l’apparition d’un nouvel acteur emblématique du paysage politique : le médecin de cour. Bien plus qu’un simple praticien, cet érudit, dans sa proximité unique avec le souverain, se voit confier une pluralité de missions (conseiller, espion, ambassadeur, organisateur de la vie culturelle). Plus rarement, le chirurgien s’affirme également dans cet environnement curial (Henri de Mondeville, Lanfranc de Milan, Guy de Chauliac, André Vésale, Ambroise Paré, etc.). Les duos complices de dirigeants et médecins célèbres sont communs (Michel de Nostredame et Catherine de Médicis, Abel Brunier et Gaston d’Orléans, Antoine Vallot et Louis XIV, etc.). La cour s’affirme en haut lieu de la production et de la diffusion des savoirs médicaux soutenus par un patronage éclairé (c’est le cas pour Frédéric II, Catherine Sforza, Philippe II d’Espagne ou encore Rodolphe II de Habsbourg). Elle devient un organe de régulation de la pratique médicale et de gestion de la santé publique (à cet égard, la cour des papes produit des modèles et références uniques). Loin d’être insignifiante, la santé du dirigeant apparaît pour l’historien comme un marqueur des mutations du pouvoir et de l’évolution des sociétés.
Ainsi, les relations entre pouvoir et santé sont d’ordres multiples et méritent d’être considérées sous le regard croisé de plusieurs champs disciplinaires. Cette rencontre propose d’étudier ces rapports complexes à partir d’un riche panel de sources (documents d’archives ou éditions) :  administration (correspondance) ; norme (ordonnances, missives, lettres patentes, testaments, etc.) ; comptabilité (comptes d’hôtel, états journaliers, inventaires de biens, etc.) ; littérature (romans de chevalerie, épopées, poèmes lyriques, biographies, sermons funèbres, éloges, etc.) ; pratique (traités médicaux, consilia, observationes, etc.), parmi tant d’autres. Les travaux couvriront une temporalité large allant du début du XIIIe siècle jusqu’au XVIIe siècle, en privilégiant les espaces nord-ouest européen et méditerranéen (toute suggestion est néanmoins la bienvenue). 
Plus spécifiquement, les propositions de communication pourront s’inscrire dans un ou plusieurs de ces axes thématiques :
Cet axe entend considérer les diverses facettes que peut recouvrir la fonction médicale à partir de la fin du Moyen Âge en milieu curial. Grâce à son éducation et son érudition, le médecin semble en effet pressenti pour exercer des missions variées distinctes de son rôle d’artisan de la santé (à caractère officiel ou officieux lorsque la situation le requiert) en tant que diplomate, conseiller, espion, négociant, précepteur ou encore astrologue lorsqu’il s’agit de déterminer le profil médical-astrologique du souverain. En outre, il s’agit aussi de considérer la législation relative à l’établissement du statut de médecin dans ses différents titres et responsabilités à la cour (médecin de cour), en ville (médecin municipal), auprès des armées lors des expéditions ou encore lors de campagnes militaires (médecin militaire). De cette façon, les modes de recrutement (profils et parcours des praticiens, transferts entre cours et milieux), les processus de rétribution ou encore les dynamiques de nominations/récompenses/congédiement pourront être envisagés, en somme tout ce qui concerne l’institutionnalisation de la médecine.
La santé est une affaire de discours intrinsèquement lié(s) à la direction étatique. Cet axe envisage d’une part, le recours du dirigeant aux arguments de santé dans une visée de légitimation ou de soutien à une pratique de gouvernement (ex : instrumentalisation de la maladie). En ce sens, il sera également question d’envisager le(s) profil(s) du dirigeant malade et les rapports ou tensions entre pouvoir et souffrance. Aussi, l’intégration de la maladie dans le récit selon des perspectives moralisantes, édifiantes ou encore symboliques destinées à définir et représenter l’attitude et/ou l’état du bon/mauvais souverain pourra être étudiée. La perte de santé et les soins nécessaires à apporter au corps pour la recouvrer peuvent également constituer des thèmes métaphoriques repris pour illustrer et expliquer la décadence ou le succès d’un système de gouvernance.
D’autre part, selon une autre visée, il s’agira d’examiner les politiques mise(s) en place par l’autorité souveraine à l’égard des questions de santé pour :
-Soutenir la professionnalisation de la médecine en répondant aux enjeux administratifs et légaux qui l’accompagnent (ex : création d’organes de régulation et de valorisation de la profession, réactions étatiques face aux pratiques curatives moins traditionnelles relevant de la magie des sciences occultes, etc.) ;
-Gérer les crises et situations d’urgences telles que les épidémies, communes au Moyen Âge et aux Temps modernes ;
-Etc.

Ce dernier axe pose la question de l’intérêt de la cour pour les matières médicales : la médecine fait-elle l’objet de préoccupations majeures chez les dirigeants médiévaux et modernes ? Un éclairage pourrait être trouvé dans le choix des livres qui composent les bibliothèques royales, princières et nobiliaires illustrant ainsi peut-être l’intérêt du souverain pour l’un ou l’autre sujet médical. A cet égard, les mécanismes d’acquisition et de gestion des collections livresques pourront aussi enrichir notre compréhension de la culture de cour (dons, achats du souverain, échanges entre cour, etc.) Dans la même perspective, est-il possible de discerner les témoignages d’activités tournées vers la médecine ou les loisirs médicaux à la cour ? (matérialité des soins, d’expériences scientifiques telles que la distillation, etc.) Existe-t-il des soins spécifiques au milieu curial qui auraient suscité davantage de commentaires ? Songeons notamment aux craintes d’empoisonnement ou aux préoccupations liées à la fertilité du dirigeant nécessitant un appui médical. Le souverain encourage-t-il le développement et l’épanouissement de la médecine en général ? (financement d’œuvres scientifiques, soutien à la mobilité étudiante, etc.)
Toutes ces questions pourront être étudiées tant dans leur dimension historique que sous l’angle des représentations littéraires qui y sont associées.

Les propositions de communication, accompagnées d’un résumé d’une vingtaine de lignes, sont à envoyer pour le 30 septembre au plus tard aux adresses suivantes : timothee.sebert@uclouvain.be et lison.vercammen@uni.lu

Comité organisateur :
Gilles Lecuppre (Professeur, Université catholique de Louvain), Grégory Clesse (Chargé de recherche FNRS, Université catholique de Louvain), Florence Ninitte (Chercheuse postdoctorale, Université de Nantes), Timothée Sébert (Assistant, Université catholique de Louvain) et Lison Vercammen (Doctorante, Université catholique de Louvain / Université du Luxembourg).
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