Le numérique prétend rendre ce rêve réalisable grâce à des avatars numériques animés en 3D à l’effigie du défunt, éventuellement placé dans une réalité virtuelle immersive pour en rendre la perception plus forte. Des « agents conversationnels » ne se contentent pas d’imiter la voix de la personne défunte mais sont désormais capables, grâce à des systèmes d’intelligence artificielle analysant les données laissées par le défunt, de « créer » des discussions, des attitudes, des apparences d’émotions et de comportements « nouveaux ».
**Fanny Georges *”***Aujourd’hui, la plupart des personnes ont des comptes sur les réseaux sociaux numériques qui capitalisent un grand nombre d’informations depuis des années. Ce dont nous nous sommes aperçus, c’est que, après le décès des usagers, ces formes de représentations de la personne, continuent de représenter les personnes après leur décès, et les usagers vont produire des commentaires, annoncer la mort et exprimer des souvenirs sur ses pages.”
De telles innovations nous conduisent au cœur des promesses du numérique, à savoir à sa faculté de création d’une part, et, de l’autre, à sa prétention à vaincre la mort. Mais en s’attaquant à de tels sujets, le numérique se confronte également à ses limites : le corps parlant et la vie. Sa promesse prométhéenne pourrait avoir l’effet contraire en dévoilant la part d’illusion sur laquelle repose le projet numérique tout entier.
Judith Rochfeld “On a effectivement ces univers immersifs ou ces avatars de personnes mortes qui peuvent être créés, recréés, parce que ça ne prétend pas être une imitation, ça prétend être une continuation avec de nouvelles discussions et avec des interprétations de ce que pourrait faire la personne.”
Comment le droit appréhende-t-il la survie virtuelle de personnes décédées ? Doit-il accorder une protection à des bribes de personnalité voire reconnaître, comme le recommandent certains, une « personnalité résiduelle compassionnelle » ?
Esprit de justice va tenter de construire ce débat en compagnie de Fanny Georges, sémiologue, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Sorbonne Nouvelle, spécialisée dans les identités numériques, les avatars et la représentation de soi, auteure de nombreux articles qui portent notamment sur l’identité numérique post-mortem, et Judith Rochfeld, professeure de droit à l’Ecole de droit de la Sorbonne, université Paris-1, Institut de recherche juridique de la Sorbonne, auteure de nombreux ouvrages et notamment d’un article intitulé : « Les avatars d’éternité. Vers de nouvelles personnes résiduelles compassionnelles ? » paru dans un ouvrage de mélanges en l’honneur de la professeure Catherine Labrusse.
Fanny Georges “Le principe de ces avatars numériques est qu’à partir des données saisies pendant la vie des utilisateurs, l’algorithme va interpréter ces données et simuler un comportement correspondant à celui du vivant supposé.”
Judith Rochfeld “Il faut vraiment que les juristes s’emparent de ce sujet parce qu’en fait, pour l’instant, on est en face non pas complètement d’un vide, mais d’un manque de réponses. Il faut les bâtir parce que le RGPD, le fameux règlement général de protection des données, comme on parle quand même d’une construction qui se fonde sur les données à caractère personnel des vivants pour après leur mort, est lacunaire sur ce point. Ce n’était pas sa vocation de régime, de règles juridiques, les données des personnes mortes.”
Fanny Georges “Du point de vue de la sémiologie, on va considérer qu’un espace en 3D, dès lors qu’il permet une expérience spatiale, va provoquer dans l’esprit, dans l’interprétation du sujet, une expérience tout à fait similaire au réel. […] Et ces projets d’immortalité numérique, puisqu’il s’agit bien d’immortalité numérique, proposent des dispositifs qui présentent ces formes d’immortalité numérique comme une réalité concrète.”
Judith Rochfeld “La loi française a une particularité tout à fait intéressante, en Europe, puisqu’elle a organisé une forme de “succession numérique”. En l’occurrence, on parle d’une prolongation de la personnalité ou de velléités de prolongation de la personnalité. Et la loi française est une des rares lois à avoir tenté de le faire.”
Fanny Georges “On a pu observer, sur les réseaux sociaux numériques, que les personnes découvraient souvent des informations sur le proche, ne serait-ce que par les commentaires publics qui sont laissés sur les réseaux sociaux numériques, et, donc découvraient une facette souvent insoupçonnée de la personne de son vivant, ne serait-ce que par la découverte qu’elle fréquentait certains milieux sociaux ou certains sites…”
Judith Rochfeld “Au-delà de la personne humaine qui a évidemment sa spécificité, on a une fonction de la personne juridique qui dépasse la personne humaine. Donc le droit sait faire ca ! Le veut-il pour des personnes qui n’ont pas de corps ? Pour l’heure, le réflexe que j’entrevois ou que j’anticipe, c’est effectivement d’aller vers des bribes de personnalité par respect des personnes vivantes.”
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