Jusqu’à
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papier
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numérique
Jusqu’à
et de nombreux cadeaux
au choix
Les personnages qu’elle invente sur Instagram, à coups de filtres et de voix déformées, forment une petite société désopilante : il y a Isabelle la grande bourge à la langue cash et surannée, Mélanie la cagole agressive, Franck le caviste jargonnant… Des “caractères”, comme elle a baptisé son compte en référence à l’ouvrage de La Bruyère, dont elle rassemble aujourd’hui les scripts millimétrés dans un livre : sans l’image ni le son, l’écriture de Lison Daniel s’y révèle d’autant plus ciselée.
Aujourd’hui chroniqueuse sur France Inter, scénariste en vue – aux côtés de Fanny Herrero, elle travaille sur la version long-métrage de Dix pour cent – et bientôt actrice de théâtre en février 2023 dans l’adaptation d’Un président ne devrait pas dire ça, elle revient pour nous sur l’engouement phénoménal que ses sketches ont suscité.
Marie Claire : Qu’est-ce que cela vous fait de voir vos personnages, qui jusqu’ici n’avaient qu’une existence numérique, dans un livre ?
Lison Daniel : Je suis très fière. À l’origine, ils n’avaient pas du tout cette vocation. J’écrivais les textes sur une application de notes de mon téléphone et les effaçais au fur et à mesure.
Que ces personnages qui n’existaient que sur Instagram, un réseau social pas toujours intéressant et où il se passe des trucs discutables, se retrouvent, noir sur blanc, dans un livre, je trouve ça formidable.
Dans le livre, plus encore que sur Instagram, on se rend compte de la grande précision d’écriture de vos personnages, comme si vous étiez aussi familière des usages et champs lexicaux de la très haute bourgeoisie, de la psychanalyse, des cagoles marseillaises, des cavistes ou des esthéticiennes. Est-ce que ça veut dire que votre entourage est aussi sociologiquement varié que ça ?
Pas forcément. Par exemple, pour le personnage du psychanalyste, moi qui n’en ai jamais consulté, j’ai juste fait appel à mon imaginaire. Pour le caviste, moi qui n’y connais pas grand-chose en vins, j’ai fait beaucoup de recherches.
Pour Mélanie la cagole, c’est différent : je suis moi-même Marseillaise, alors ce parler-là, c’est comme une deuxième langue pour moi – même si je n’ai jamais eu l’accent !
Y a-t-il un personnage dont vous vous sentez particulièrement proche ?
Pas vraiment, et tant mieux, car ils sont tous un peu dingues. Et comme je n’aime pas trop parler de moi, plus je me sens éloignée d’eux, mieux c’est.
C’est le personnage d’Isabelle, grande bourgeoise parisienne, qui vous a fait connaître début 2020 et à cette époque-là, vous étiez presque déçue que ce soit elle que les gens retiennent. Pourquoi ça ?
Même si j’ai toujours eu beaucoup de tendresse pour elle, je trouvais juste qu’elle n’était pas le plus original de mes personnages. L’archétype de la bourgeoise, on l’a beaucoup vu dans La vie est un long fleuve tranquille ou avec Valérie Lemercier qui le faisait merveilleusement bien.
À l’inverse, le psychanalyste ou le prof de théâtre, je les trouvais plus singuliers. Mais aujourd’hui, j’aurais du mal à me détacher d’Isabelle : elle est vraiment chouette à écrire et à faire parler. J’étais d’ailleurs, tout à l’heure, à côté d’une dame, au Café des Editeurs, à l’Odéon (un endroit un peu horrible mais où je me suis régalée à observer la faune) et c’était hallucinant : elle parlait comme elle. Du genre : “Mais tu connais Venise, c’est Fantasia chez les ploucs. Et puis je suis encore allée à la Biennale, qu’est-ce que je me suis fait chiiiiier !”.
Comment expliquez-vous le succès d’Isabelle ?
Elle a émergé dans le contexte du premier confinement : les gens n’avaient pas grand chose à faire, étaient sur leurs téléphones 24/24h et comme, avec les cinés et théâtres fermés, il y avait zéro actualité culturelle, les journalistes n’avaient rien à se mettre sous la dent, alors j’ai bénéficié de ce désert-là.
Et puis, Isabelle, c’est celle qui distribue, pour que les uns et les autres passent des confinements agréables, les maisons secondaires de la famille : “toi t’iras à Megève, toi tu prends le mas et moi je me sacrifie, je vais à Saint-Lunaire”. C’était le moment où l’on commençait à parler d’une France à deux vitesses, avec d’un côté ceux qui se confinaient au vert – il y avait ce scandale autour du journal de confinement de Leïla Slimani qui racontait la vie qu’elle menait dans sa propriété à la campagne – et de l’autre ceux qui vivaient l’enfer – infirmiers et infirmières, caissières, notamment. Isabelle était une bonne illustration de cela.
Il y a d’ailleurs souvent un sous-texte politique dans ce que disent vos personnages…
Plutôt que politique, c’est un regard amusé et caustique que je pose, sans me départir d’une certaine tendresse à l’endroit de tous les personnages. Sauf pour Rebecca [la jeune marketeuse insupportable, ndlr], peut-être, que je ne sauve jamais : elle est pour moi le genre de personne qui rend le monde moins bon. Par sa suffisance, son égocentrisme, son hyper-consommation, à fond dans Deliveroo-Amazon-Netflix. Donc oui, quand même, mes personnages racontent la façon dont je vois le monde.
On sent, en vous lisant, une culture littéraire assez forte. Quel.le.s sont les auteurs et autrices qui vous ont nourrie ?
J’ai passé ma jeunesse à beaucoup lire : je piochais dans la bibliothèque familiale, au hasard, sans que mes parents ne me recommandent quoique ce soit, si bien qu’un jour, à 24 ans, j’ai dit à ma mère : “Ah j’ai découvert quelqu’un qui écrit des trucs vachement touchants, elle s’appelle Annie Ernaux, tu connais ?” “oui, oui…”.
Dans la foulée, j’ai lu tout Albert Cohen, Gide et Beauvoir aussi. Et puis j’ai un côté grand-mère qui aime Tolstoï et sa grande aridité. On est surtout sur des gens morts, donc. Je m’en suis fait la réflexion, c’est vrai, et me suis mise du coup à lire des contemporains. Maylis de Kérangal, Delphine de Vigan, Philip Roth – mince, il est mort, non ? Bon, pas depuis longtemps. Attendez, je me rapproche de mon lit pour voir ce qu’il y a autour. Raymond Radiguet… non, il est mort. Tenez voilà, Raphaëlle Bacqué et Patrick Modiano, bien vivants, eux.
Ces derniers temps, vos postez beaucoup moins de sketches sur Instagram, non ?
J’ai même complètement lâché la rampe. Je privilégie le travail où l’on m’attend au tournant et pour lequel je suis payée. Pour écrire des sketches, il me faut du temps d’oisiveté et j’en ai de moins en moins.
Combien de temps vous faut-il pour écrire ces pastilles ?
Si j’ai une bonne idée, ça peut être hyper rapide : j’arrive chez moi, je me dis “ça va être Julien le Marseillais qui se dit quelque chose comme ‘ vivement septembre que les Parisiens se cassent'”, j’écris le sketch en trois quarts d’heure, puis je le tourne et le monte sur mon téléphone et je le poste direct.
En une heure et demi tout compris, c’est fait – faut pas trop le dire sinon les gens vont penser que c’est de l’arnaque ! Bon, en revanche, si je n’ai pas d’idée évidente, il me faut convoquer longtemps l’inspiration devant l’ordinateur…
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