Pièces complète 2 euro commémorative et accessoires protection pièces

Lauren Groff : “Ne pas être féministe, c'est être misogyne” – Les Inrockuptibles

Les radios Combat
Les magazines
Combat
Rechercher
Accédez à l’intégralité des Inrockuptibles
Vous êtes déjà abonné ?
6 min
par Nelly Kaprièlian
Publié le 17 janvier 2023 à 13h45
Mis à jour le 17 janvier 2023 à 13h45
Lauren Groff © Patrice Normand/Éditions de l’Olivier
Le pari littéraire le plus fou de cette rentrée nous plonge dans une abbaye du XIIe siècle pour un huis clos entre nonnes. Avec pour personnage central la poétesse Marie de France, farouche féministe avant l’heure. Un tour de force signé Lauren Groff, qui a répondu à nos questions sur ce livre hors normes.
Plus de cinq ans après le succès des Furies, l’Américaine Lauren Groff, signe le roman le plus original, le plus impressionnant, de cette rentrée d’hiver : Matrix. Le livre met en scène un univers romanesque exclusivement féminin, autour d’une héroïne historique, Marie de France, dont on sait peu de choses sinon qu’elle écrivit de la poésie – les Lais de Marie de France – au XIIe siècle. Des textes qui furent sans doute lus à la cour du roi Henri II d’Angleterre. Ses Lais étaient consacrés, chose hautement moderne et féministe avant l’heure, à l’amour adultère, donc à la façon dont une femme pouvait s’échapper d’un mariage obligé, sans amour, et reprendre possession de son corps, de ses émotions – au risque de l’emprisonnement pour celles qui avaient osé.
Née en 1978, Lauren Groff, que l’on avait découverte dès 2008 avec Les Monstres de Templeton (suivi d’Arcadia et de Les Furies) fait le pari d’une réécriture du mythe de Marie de France en remplaçant les hommes par des femmes. Issue d’une lignée de femmes qui montent à cheval, se baignent nues dans les rivières, se battent, et refusent les canons féminins extrêmement contraignants de l’époque, Marie tombe amoureuse non pas du roi ni de son fils, comme il a été dit, mais de la reine elle-même, Aliénor d’Aquitaine. Elle sera envoyée – enfermée – dans un couvent de nonnes au bord de la misère. C’est ce gynécée en forme de huis clos, cruel, émouvant, galvanisant, où chaque femme a son histoire, que raconte Matrix. Une vie mystique aussi, engendrant même chez Marie des hallucinations, elles aussi strictement féminines – et la menant vers l’écriture, la poésie, la liberté. En puisant dans ce passé si lointain, Lauren Groff a réussi un roman furieusement contemporain, qui répond aux questions de notre temps.

Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire, début 2020, un roman autour de Marie de France (1160-1215) qui fut poétesse au XIIe siècle ?
Lauren Groff — J’ai lu les Lais de Marie de France (sa poésie) pour la première fois à l’université, il y a plus de vingt ans, et elle ne m’a pas quittée – son énergie animale, sa profonde intelligence, sa façon tordue de regarder le monde. Je me suis lancée dans de multiples projets pour tenter de me rapprocher d’elle, dont une traduction des Lais, qui ne fut pas un succès, et même le premier jet d’un roman, mais qui ne prenait pas vraiment. Enfin, c’est quand j’ai entendu mon amie le Dr. Katie Bugyis donner une conférence sur les nonnes du XIIe siècle, que Marie m’est revenue à l’esprit avec une vengeance ; j’ai eu la vision de Matrix, vu le livre comme une façon sournoise, biaisée, de me mouvoir d’avant en arrière dans le temps, le monde médiéval faisant écho dans notre époque, et inversement.

On ne sait presque rien sur Marie de France. Vous avez donc du tout inventé ?
Pas tout, non. J’ai tout fait pour rester au plus près des sources que j’ai pu trouver sur cette époque. Même si ces histoires étaient apocryphes. Par exemple, il n’existe pas de labyrinthe en terrassements à grande ampleur à ce moment-là, comme il y en a dans le livre, mais il y avait un mythe – faux bien sûr – selon lequel Henri II, le second mari d’Aliénor d’Aquitaine, avait tellement peur qu’Aliénor assassine sa maîtresse, Rosemonde Clifford, qu’il avait mis celle-ci au centre d’un jardin-labyrinthe pour la protéger de sa femme. J’ai emprunté cette idée. Bien sûr, nous ne savons rien des circonstances de vie de la vraie Marie de France – il n’existe que des hypothèses à son sujet –, mais nous pouvons glaner beaucoup d’informations à propos de ce temps et de son contexte à travers ses propres mots. Ma Marie est inventée, mais j’ai vraiment essayé de représenter le plus fidèlement possible la vie d’une abbaye de cette époque, et je me suis beaucoup appuyée sur mes amis historiens pour savoir quand je faisais fausse route.

À travers la vie de Marie dans cette abbaye de nonnes, Matrix nous plonge dans un huis clos entre femmes. Que vouliez-vous exprimer en choisissant de représenter une société, et une existence, exclusivement féminines ?
D’une certaine manière, c’était une réaction contre la façon dont les femmes ont été représentées à travers l’histoire, telles des ombres à vague forme féminine toujours en périphérie de l’intrigue, pas nécessaires à l’histoire principale. Je voulais rendre les femmes absolument centrales, je voulais écrire ce livre dans un vrai female gaze. Dans le texte en anglais, il n’y a pas de noms d’hommes (même Dieu n’a pas de genre, et les animaux sont tous femelles). Ce n’était pas une réaction contre les vagues terribles de patriarcat qui reviennent toujours à travers l’histoire. C’était plutôt un exercice d’exclusion – je pensais à Georges Perec avec La Disparition, et à l’Oulipo, pour la façon dont des contraintes formelles strictes font apparaître dans un texte des choses étranges, fascinantes. D’un autre, je réagissais contre ma propre idée romantique de ce à quoi une utopie féminine ressemblerait, parce que les femmes sont aussi des êtres humains, donc sujettes à des faiblesses, des échecs, des appétits et des ambitions très humaines. Si aucune utopie ne peut exister, c’est parce que les personnes qui les font sont des êtres humains.

Voyez-vous Matrix comme votre hommage à la sororité ?
Oui, ce livre est dédié à toutes mes sœurs. Pas de façon bêtement ravie de la crèche, mais d’une manière qui reconnaît et se focalise sur l’espace petit, serré, dont disposent les femmes pour se protéger contre des institutions plus importantes.

Est-ce qu’être féministe (comme tout autre mot en “isme”) a à voir avec la littérature au moment où on écrit un roman ?
Je suis féministe, oui, parce que ne pas l’être, c’est être misogyne. Le féminisme est la reconnaissance du fait que les femmes sont des êtres humains et doivent être traitées avec un respect, et avoir des droits, humains. Mais le féminisme a à voir avec le fait d’écrire de la littérature, de la même manière le soi politique ne peut être séparé du soi écrivant.

Dans Matrix, il est aussi question de mysticisme qui provoque même des hallucinations chez Marie. Est-ce que la spiritualité vous intéresse ?
J’étais profondément spirituelle quand j’étais enfant parce que j’étais une petite personne très peureuse, anxieuse, qui n’avait aucun pouvoir sur le monde, et j’adorais l’idée d’un récit qui donnerait du sens à ma confusion. J’ai lentement perdu ma religiosité, et trouvé la littérature, qui d’une certaine façon sert le même but. Ce qui m’a intéressée ces dernières années, c’est le récit de la façon dont l’humanité nous a amené à en être là où nous en sommes – sur le point de sombrer dans une apocalypse climatique –, et comment la religion occidentale a intensifié notre abus choquant du monde naturel : nous avons mal interprété “the dominion” dans la Genèse en “domination”.

Comment écrivez-vous en général, et comment avez-vous écrit Matrix en particulier ?
Il me faut généralement beaucoup de temps pour trouver le fil de ce que je veux écrire. J’écris à la main dans de grands cahiers, des brouillons, sans les regarder plus tard, en développant les fondations du livre mentalement. Enfin, quand j’ai un premier jet qui me semble juste, quand j’ai trouvé la musique de la prose, j’essaie de le transposer à l’ordinateur, ce qui me donne l’impression de couler le texte dans du plâtre : après, c’est plus difficile de changer des choses une fois que c’est sur ordinateur, bien que je fasse des douzaines de versions de cette façon aussi. Pour Matrix, c’était un peu différent, car j’ai eu l’intégralité du roman en tête en écoutant mon amie faire sa conférence sur les nonnes médiévales : j’avais la forme, j’avais le personnage central, il ne me restait plus qu’à trouver la musique et la prose.

Quels sont vos projets ?
Mon nouveau roman va paraître aux USA et en Grande-Bretagne à l’automne : The Vaster Wilds est radicalement différent de Matrix. Il se situe en 1609, en Virginie, et porte sur une Robinson Crusoé au féminin. J’ai été inspirée par des récits de captivité des débuts de l’Amérique, et j’ai écrit tout ce livre en langue élisabéthaine (j’ai dû me replonger dans mon Shakespeare adoré !). Il fait parti d’un triptyque plus large, commencé avec Matrix, qui interroge la religion, le changement climatique, et le rôle des femmes. Actuellement, je me bats avec l’écriture du dernier volet, dont j’espère qu’un jour il m’apprenne comment l’écrire.

Lauren Groff : Matrix (L’Olivier). Traduction de l’anglais (États-Unis) par Carine Chichereau. 304 p., 23,50 €. En librairie.

Par
Recevoir l’agenda de la semaine
d’écoute et de lecture
Je veux enregistrer ce contenu pour le lire plus tard
Je n’ai pas encore de compte pour alimenter ma bibliothèque
À la une
Populaires
À propos

Normale
Supérieure
Bibliothèque

source

https://seo-consult.fr/page/communiquer-en-exprimant-ses-besoins-et-en-controlant-ses-emotions

A propos de l'auteur

Avatar de Backlink pro
Backlink pro

Ajouter un commentaire

Backlink pro

Avatar de Backlink pro

Prenez contact avec nous

Les backlinks sont des liens d'autres sites web vers votre site web. Ils aident les internautes à trouver votre site et leur permettent de trouver plus facilement les informations qu'ils recherchent. Plus votre site Web possède de liens retour, plus les internautes sont susceptibles de le visiter.

Contact

Map for 12 rue lakanal 75015 PARIS FRANCE