Cette solution offerte par la Cour de cassation n’est pas nouvelle.
Ce même principe a en effet déjà été rappelé par le passé, notamment dans deux décisions en date du 10 octobre 2018 (n°17-10066) et du 10 novembre 2009 (n°08-41214).
Cette nouvelle illustration jurisprudentielle montre que les parties au contrat de travail sont encore tentées de s’affranchir de ce principe, en particulier dans des hypothèses – qui peuvent se comprendre – où elles sont pressées d’en terminer.
Dans l’affaire tranchée le 12 février 2020, une salariée, engagée le 29 août 2005, a été licenciée par lettre du 30 avril 2014 remise en main propre contre décharge.
Cette salariée a ensuite conclu et signé une transaction avec son employeur le 14 mai 2014, puis a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes, considérant que la transaction était nulle.
La cour d’appel de Paris, saisie de ce litige a, aux termes d’un arrêt en date du 2 mai 2018, constaté la validité de la transaction et débouté la salariée de ses demandes tendant au paiement de diverses indemnités et de dommages-intérêts.
Elle a estimé en effet, pour déclarer valable la transaction et rejeté les demandes de la salariée, que la lettre de licenciement n’a certes pas été notifiée à la salariée par courrier avec accusé de réception, mais que pour autant :
Une telle position, frappée au coin du bon sens, est tout à fait compréhensible.
La salariée, insatisfaite de cette décision, a formé un pourvoi en cassation.
Elle soutenait à l’appui de son pourvoi :
La réponse de la Cour de cassation a été la suivante :
On peut s’étonner de l’extrême rigidité de la Cour de cassation en ce domaine.
En effet, l’article L.1232-6 du Code du travail prévoit certes, en son alinéa 1er, que « lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception ».
Mais l’essentiel n’est-il pas, au-delà du formalisme de la lettre de licenciement, que le salarié ait connaissance du contenu de cette lettre qui, aux termes de l’alinéa 2 de l’article L.1232-6 précité, « comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur ».
En d’autres termes, le fait que la lettre de licenciement soit remise en main propre contre décharge ou soit notifiée par courrier recommandé AR, adressée par mail ou même signifiée par voie d’huissier, devrait ne pas avoir d’importance particulière dès lors que le salarié a eu connaissance avec exactitude, avant de signer la transaction, des raisons pour lesquelles il a été licencié.
Ces différents modes de remise, d’envoi, de notification ou de signification permettent tous au demeurant de justifier d’une date certaine quant à la matérialisation du licenciement, sa prise d’effet, et le cas échéant le point de départ du préavis.
Outre qu’un mail avec accusé de réception, qui présente le mérite de la simplicité et de la rapidité, offre l’avantage d’évacuer les problèmes d’acheminement des courriers recommandés AR par les services postaux, qui ont été fréquemment observés au cours des derniers mois.
La période de confinement récente liée au Covid-19 est une bonne illustration de ce que les modes de communication, autres que le courrier recommandé AR, entre les employeurs et les salariés (notamment sur le plan disciplinaire), et en particulier par l’utilisation du mail, n’ont posé de difficulté à personne.
Ces modes de transmission de la lettre de licenciement autres que le recommandé AR devraient au demeurant d’autant moins poser de difficulté lorsqu’il s’est écoulé plusieurs semaines, voire plusieurs mois, entre le licenciement et la signature de la transaction.
Nonobstant ces arguments pourtant de bon sens, la Cour de cassation reste fermée au fait qu’une autre voie que celle du recommandé avec accusé de réception soit utilisée.
La Haute Cour aurait été inspirée d’aller jusqu’au bout de son analyse en précisant, en cas d’envoi de la lettre de licenciement sous la forme d’un courrier recommandé avec accusé de réception, la date à laquelle la transaction pouvait être signée entre les parties.
La position qu’elle affirme avec force et vigueur depuis plus de 10 ans peut en effet conduire à des situations ubuesques.
Il est acquis, selon la jurisprudence, que si la transaction a pour effet de régler les conditions et les conséquences de la rupture du contrat de travail, notamment en cas de licenciement, elle ne peut être signée avant la rupture du contrat de travail.
Par ailleurs, l’idée pour la Cour de cassation est que le salarié, avant de signer une transaction, doit être informé des raisons de son licenciement.
Mais qu’en est-il si le salarié n’est pas à son domicile au moment de la présentation de sa lettre (recommandée AR) de licenciement par les services postaux, et pire encore s’il ne se déplace pas à la Poste pour récupérer son courrier dans les 15 jours qui suivent sa présentation à son domicile ?
Dans ce cas, qui conduira au retour du courrier non réclamé à l’employeur :
Que dire également du salarié qui, sciemment ou non, n’a pas avisé son employeur de son changement d’adresse personnelle, ce qui conduirait là encore au retour de la lettre de licenciement à l’employeur, cette fois avec la mention « NPAI » (n’habite plus à l’adresse indiquée).
Alors que, plus simplement, la remise de la lettre de licenciement en main propre contre décharge, dès lors qu’elle est intervenue à une date certaine (à ce titre la mention « reçu ce jour, le ………. » pourrait offrir une certaine solennité à cette date) conduit le salarié à connaître immédiatement les raisons de son licenciement, et à transiger plus vite s’il y a intérêt.
Il est louable que la Cour de cassation ait le souci de protéger le salarié qui, en signant la transaction, va s’engager à se désister des instances et actions qu’il a engagées à l’encontre de son employeur, et va s’interdire d’introduire une quelconque instance et action à l’encontre de ce dernier.
On peut comprendre également que la Cour de cassation ait le souci, en privilégiant le recommandé avec accusé de réception, de veiller à ce que des tiers tels que l’URSSAF, l’administration fiscale ou Pôle Emploi ne soient pas lésés du fait de la mise en œuvre d’une procédure de licenciement dont il pourrait être démontré qu’elle a été montée de toute pièce, pour ne pas dire antidatée.
Il demeure néanmoins contestable que la Haute Cour s’immisce dans le « montage juridique » qui a été retenu, et parfois choisi entre les parties, alors qu’on peut considérer qu’à un moment tout du moins, du fait de la signature sans réserve de la transaction par les deux parties, celles-ci se sont mises entièrement et définitivement d’accord sur ce qui les opposait.
En réalité, quel que soit le formalisme retenu pour la notification du licenciement, le risque d’annulation de la transaction intervenue consécutivement à un courrier ne portant pas l’estampille du recommandé avec accusé de réception ne donnera guère lieu à contentieux, et donc à d’autres décisions du même acabit que celles précitées de la Cour de cassation, si les concessions sont véritablement réciproques et équilibrées.
On voit mal en effet un salarié, satisfait de la réparation de ses différents préjudices en lien avec son licenciement via le bénéfice d’une indemnité transactionnelle conséquente visée dans l’accord transactionnel, venir saisir un Conseil de Prud’hommes aux fins de solliciter l’annulation de sa transaction au motif que son licenciement n’aurait pas été notifié par courrier recommandé avec accusé de réception. Ce d’autant que l’annulation de la transaction emporterait pour lui l’obligation de restituer l’indemnité transactionnelle qui lui a été réglée, et qu’il n’aurait aucune assurance de percevoir judiciairement une indemnisation aussi conséquente, et a fortiori plus importante. Il en irait différemment, évidemment, en cas de fraude ou de vice du consentement.
En revanche, la tentation pourra être forte pour un salarié de saisir le Conseil de Prud’hommes pour tenter de faire annuler la transaction qu’il a signée si l’indemnisation qui lui a été allouée par son employeur dans la transaction est sans commune mesure avec la réalité et l’importance de son préjudice.
Une bonne négociation est celle qui satisfait le salarié et l’employeur. Une transaction équilibrée constitue un gage de sécurisation des parties, au premier rang desquelles l’employeur, et annihilera autant que possible tout risque de remise en cause de l’accord transactionnel devant le juge prud’homal.
Il faut donc se méfier des situations où l’employeur, en transigeant à moindre coût sans avoir « bordé » la procédure de licenciement, a le sentiment d’avoir « floué » le salarié et de s’en être tiré à très bon compte.
Indépendamment de ce qui vient d’être dit, la transaction ayant pour objet de mettre un terme à un ou des litiges né(s) ou à naître, elle doit offrir toute la sécurité attendue par les parties.
La prudence commandera donc, en cas de licenciement, pour éviter tout risque de remise en cause de ladite transaction :
Il serait cocasse, pour l’employeur, de devoir transiger à nouveau aux fins de régler les conséquences d’une première transaction mal « ficelée » et susceptible d’être annulée par un juge prud’homal. Ce d’autant que la première transaction l’a certainement conduit à retirer la provision qu’il a été amené à passer !
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