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La cour d’assises spéciale a rendu, mardi, un jugement plus sévère que les réquisitions du parquet. Soren Seelow, qui a suivi les trois mois d’audience pour « Le Monde », a répondu à vos interrogations.
Merci à toutes et tous pour votre participation et vos questions, vous pouvez retrouver tous nos articles sur le procès de l’attentat de Nice sur cette page. A bientôt sur LeMonde.fr !
Merci pour vos questions, il y en avait fort peu, j’ai tenté de répondre à toutes (ou presque). Ce tchat est désormais terminé, bonne journée.
Bonjour jcc,
Dans un procès, on juge des individus et des actes. Chaque accusé peut avoir un profil différent, et surtout avoir commis des actes de nature différente. Il est donc impossible de condamner tous les accusés impliqués dans des « actes de barbarie » de la même façon, sans quoi le procès lui-même deviendrait inutile.
Pour vous donner un exemple, au procès des attentats du 13 novembre 2015 étaient jugés un membre du commando (Salah Abdeslam), considéré comme un « auteur » direct, ainsi que des « complices » des attentats, deux infractions passibles de la réclusion criminelle à perpétuité. Deux accusés de ce procès avaient d’ailleurs été condamnés à la perpétuité, d’autres à trente ans de prison pour « complicité ».
Mais, au procès de l’attentat de Nice, l’auteur était mort, et les deux principaux accusés n’étaient pas jugés pour « complicité », mais pour « association de malfaiteurs terroriste », une infraction passible à l’époque des faits de vingt ans de prison (trente ans aujourd’hui). Ces accusés, dont ni l’enquête ni les débats n’ont permis d’établir qu’ils avaient été « complices » de l’attentat, au sens où ils auraient eu une connaissance précise des projets du tueur, ne pouvaient donc pas être condamnés à une peine dépassant 20 ans de réclusion.
Bonjour L’Amiral,
Il est assez rare, et je n’ai pas d’exemple en tête mais il y en a sûrement, que le verdict soit plus sévère que les réquisitions en matière de terrorisme. Et c’est encore plus rare quand les avocats des accusés concernés ont plaidé l’acquittement. Le parquet antiterroriste porte en effet la voix de l’accusation, celle du ministère public, et il valide une politique pénale qui se veut de plus en plus répressive au fil des années en matière de terrorisme. Ses réquisitions sont donc généralement soit suivies soit plus sévères que la décision de la cour.
La sévérité des peines prononcées contre les deux principaux accusés (dix-huit ans) peut cependant s’expliquer ainsi : le parquet avait requis la même peine (quinze ans) pour ces deux accusés jugés pour terrorisme que pour un troisième, condamné pour de simples faits de droit commun. Il aurait pu sembler étrange qu’au procès d’un attentat aussi meurtrier, les mêmes peines soient prononcées pour une infraction délictuelle que pour des faits de terrorisme.
Par ailleurs, à partir du moment où la cour considère que ces deux accusés se sont rendus coupables de faits de terrorisme, il devenait difficile de les condamner à des peines intermédiaires, qui auraient probablement été considérées comme n’étant pas à la hauteur des faits.
Bonjour Chévency,
Le tueur de la promenade des Anglais a en effet laissé derrière lui une profusion d’indices incriminant ses proches. Les éléments retrouvés dans son téléphone portable avaient permis aux enquêteurs d’identifier la plupart des accusés quelques heures seulement après l’attaque. La question qui a traversé ce procès est : pourquoi ? Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Les débats n’ont pas permis de dépasser le stade des conjectures. Etait-il fou, comme l’ont avancé certains avocats de la défense ? A-t-il voulu piéger ses proches par perversité, comme le pensent d’autres ?
Fait rare à un procès terroriste : un enquêteur entendu comme témoin avait lui-même validé à la barre l’hypothèse selon laquelle le tueur avait cherché à « piéger » ses amis, devenant un allié inattendu de la défense. Ce moment d’audience illustre à lui seul la complexité de ce procès et la difficulté qu’il y a à interpréter les faits.
Une avocate de la défense avait qualifié les indices laissés par le terroriste de « jeu de piste sinistre » visant à incriminer les accusés. Mais la cour n’a pas été convaincue par cette lecture et a estimé que ces éléments, même s’ils comportaient des incohérences et des bizarreries, contenaient une part de vérité : « L’hypothèse selon laquelle il aurait par perversité cherché à impliquer les accusés n’a pas convaincu la cour », a ainsi déclaré le président au moment du verdict.
Bonjour Jacote,
Vous avez tout à fait raison, c’est bien sûr le raisonnement qui a motivé la décision de la cour. Ce verdict est fondé sur les éléments produits aux débats et l’intime conviction des magistrats professionnels qui composent la cour d’assises spécialement composée, spécialisée en matière de terrorisme.
Ce qui a troublé lors des débats, et conduit les avocats de la défense à dénoncer le verdict (deux accusés vont faire appel), c’est que l’engagement idéologique islamiste de l’auteur de l’attentat comme celui des accusés a posé question. Le terroriste de la promenade des Anglais n’était ni croyant ni pratiquant, et il n’avait commencé à s’intéresser à l’islam que dans les semaines précédent l’attentat. Lui-même, qui mangeait du porc et buvait de l’alcool, disait souvent qu’il « détestait les Arabes ». Un des deux accusés condamnés à dix-huit ans de prison semblait pour sa part hostile à l’Etat islamique, comme il l’a écrit dans des conversations avec le terroriste.
Ce procès était donc atypique pour ces raisons : le profil et l’engagement idéologique de ses acteurs posaient question. L’accusation avait, pour construire ses réquisitions, clairement nommé le paradigme sur lequel elle s’appuyait : le « djihad d’atmosphère ». Ce concept, forgé par l’universitaire Gilles Kepel, vise à expliquer comment le contexte religieux et géopolitique peut inciter, par un effet de contagion, des individus n’étant pas eux-mêmes engagés dans un processus d’endoctrinement très marqué à passer à l’acte. Il permet de faire condamner des individus pour des faits de terrorisme sans que leur imprégnation idéologique ait été très marquée.
C’est là une des grandes différences entre ce procès et celui des attentats du 13 novembre 2015. La plupart des principaux accusés de ce dernier assumaient leur engagement djihadiste. Ce n’était pas le cas au procès de Nice, et l’auteur de l’attentat n’a lui-même laissé aucune revendication ou message permettant de donner un sens politique à son acte. La cour a cependant estimé que cet attentat procédait d’une « inspiration djihadiste évidente », même si l’attrait du tueur pour la religion, tardif et « peu ancré », semblait avant tout lui avoir servi à donner une « légitimité » à son geste.
Bonjour Pierre,
Concernant six des huit accusés, les infractions pour lesquelles ils étaient jugés étaient matérialisées, et reconnues. Ils ont tous été impliqués, à différents titres, dans la fourniture d’un pistolet au terroriste. Mais la cour a estimé qu’aucun n’avait eu connaissance de son projet terroriste, ils ont donc été condamnés pour de simples infractions de droit commun.
Là où votre question est pertinente, c’est au sujet des deux principaux accusés, condamnés à dix-huit ans de prison pour une infraction terroriste. La réponse est simple : non, ils n’auraient probablement pas été condamnés dans un procès de droit commun, puisque aucun n’avait commis d’infraction délictuelle (une vente d’arme par exemple). Ils étaient jugés pour « association de malfaiteurs terroriste », un délit qui doit être constitué d’éléments intentionnels (avoir conscience que l’individu qu’ils aidaient était radicalisé et susceptible de commettre un attentat), et d’éléments matériels (l’avoir aidé sur le plan logistique, par exemple en l’aidant à louer un camion).
Le fait d’aider un individu à louer un camion n’est pas en soi une infraction délictuelle, ils n’auraient donc pas été condamnés s’il n’y avait pas eu d’attentat. Mais cette action peut fonder une condamnation pour terrorisme dès lors que ce camion a servi à commettre un attentat, sous réserve que cette aide matérielle ait été faite en pleine connaissance des intentions de l’auteur des faits. la cour a estimé que ces deux accusés avaient non seulement été « associés » à la location du camion mais qu’ils étaient conscients des intentions terroristes de Mohamed Lahouaiej Bouhlel.
Bonjour Polcozi,
Il est toujours délicat de commenter une décision de justice. D’autant plus que la cour n’a pas encore communiqué les motivations de son verdict, qui permettront de l’analyser au regard du droit et de comprendre quels éléments ont emporté son intime conviction. Ce que vous soulignez, justement, c’est que ce procès très atypique a été traversé par nombre d’interrogations, qui n’ont pas toutes trouvé de réponse.
Le président l’a d’ailleurs reconnu en annonçant le verdict : « Ni l’information judiciaire ni l’audience n’ont permis d’éclairer toutes les zones d’ombre du dossier, beaucoup d’éléments essentiels pouvant être interprétés dans un sens ou dans l’autre, voire s’opposer les uns aux autres. Pour autant, a-t-il poursuivi, la cour a l’intime conviction que Mohamed Ghraieb et Chokri Chafroud [les deux principaux accusés] ont été associés à Mohamed Lahouaiej Bouhlel dans la réalisation de son projet, en l’inspirant, en le soutenant moralement et matériellement. »
Durant ce procès, nombre d’observateurs et d’acteurs étaient, y compris dans les rangs des avocats de parties civiles, partagés sur l’analyse qu’ils faisaient des débats et de la culpabilité des accusés. La défense a bien évidemment, et c’est son rôle, souligné que les « doutes » qui ont hanté cette audience ont finalement profité à l’accusation, et non à la défense. Certains ont également dénoncé un verdict « politique », visant à apaiser les parties civiles et à répondre au « traumatisme national » qu’a été l’attentat de la promenade des Anglais. Mais le contenu des débats et la lecture des faits portée par l’accusation a finalement emporté l’intime conviction de la cour, qui a même été plus sévère que les réquisitions du ministère public.
Bonjour M,
Vous avez évidemment raison de le souligner, aucun verdict, si sévère soit-il, ne sera jamais à la hauteur de la souffrance insondable des victimes d’un attentat aussi meurtrier. Mais il faut comprendre que l’auteur de ce massacre ayant été tué par la police le soir de l’attaque, ce n’est pas lui qui a été jugé. Et que l’enquête n’a permis d’identifier aucun « complice ».
En droit, pour qu’un individu soit jugé pour des faits de « complicité d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste », il faut établir que cette personne avait eu une connaissance précise du projet d’attentat. Dans le cas de l’attentat de Nice, l’instruction n’a pas permis de le faire. Les deux accusés condamnés pour les peines les plus lourdes (dix-huit ans de réclusion) l’ont été pour « association de malfaiteurs terroriste », une infraction qui suppose qu’ils avaient conscience que l’auteur des faits était susceptible de commettre un attentat, sans nécessairement avoir eu une connaissance précise de son projet.
Un procès est toujours celui des accusés : ce sont leurs actes qui sont jugés. La cour d’assises spécialement composée de Paris a eu, à l’issue de trois mois de débat, l’intime conviction que ces deux accusés étaient coupables d’« association de malfaiteurs terroriste », une infraction passible de vingt ans de prison maximum à l’époque des faits (c’est aujourd’hui trente ans). Quand bien même ces deux accusés auraient été condamnés à la peine maximale prévue par le code pénal, cette peine aurait toujours paru dérisoire à l’aune de la souffrance des victimes. La question à laquelle la cour devait répondre est : les éléments produits à l’audience suffisent-ils à emporter l’intime conviction qu’ils ont joué un rôle dans cet attentat ? La réponse a été oui.
Le massacre de Nice était-il un attentat ou l’acte d’un déséquilibré ? Mohamed Lahouaiej Bouhlel, qui a tué quatre-vingt-six personnes sur la promenade des Anglais avant d’être abattu, n’a pas été jugé au procès. Mais la personnalité de cet homme très perturbé psychologiquement a hanté les débats.
En l’absence du terroriste, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, abattu au volant de son camion après avoir tué quatre-vingt-six personnes sur la promenade des Anglais, huit accusés étaient jugés, dont trois pour « association de malfaiteurs terroriste ». Au terme de trois mois d’audience, la cour d’assises spécialement composée de Paris a rendu un verdict sévère, au-delà des réquisitions du ministère public, ce qui a surpris nombre d’observateurs.
Le récit de la journée :
Au lendemain du verdict du procès de l’attentat de Nice, vous pouvez d’ores et déjà poser vos questions à Soren Seelow, journaliste au Monde, qui a suivi les trois mois d’audience. Il y répondra à partir de 11 h 30.
Le verdict : Au procès de l’attentat de Nice, un verdict à la mesure du « traumatisme national » malgré des « zones d’ombre »
Récit : « Le risque d’une erreur judiciaire » : au procès de l’attentat de Nice, la défense fustige un « dossier vide »
Factuel : Au procès de l’attentat de Nice, deux à quinze ans de prison requis contre les huit accusés
Récit : Au procès de l’attentat de Nice, entre droit commun et terrorisme, la logique complexe des réquisitions
Portrait : Thierry Vimal, victime « indocile » du procès de l’attentat de Nice
Décryptage : L’attentat de Nice, première revendication opportuniste d’une tuerie de masse par l’Etat islamique
Factuel : Attentat du 14-Juillet à Nice : itinéraire d’un psychopathe devenu terroriste
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