« Happy new year, le monde est en feu, j'aimerais l'éteindre mais il est plus grand que moi et j'étouffe / Le temps passe, le temps passe et tu fermes les yeux devant tout ça. » La chanson Groter Dan Ik de Froukje résonne souvent dans ma tête ces derniers temps. On vit une époque si incertaine. Si vous les suivez, vous voyez se succéder aux infos des images de villes inondées, asséchées, en feu ou subissant des tremblements de terre. L'Italie brûle et l'Australie connaît des inondations. L’été dernier, 659 000 hectares ont brûlé dans des incendies de forêt en Europe.
On le sait depuis des plombes : le climat va mal. On sait aussi à qui on le doit : à notre déni concernant l'impact de notre style de vie moderne et high-tech. Mais savons-nous comment y faire face ? Au-delà des régimes végétariens, des économiseurs d'eau, des transports publics et des Fairphones, on peut assez rapidement se sentir inutile face à la tempête qui s'annonce. Des études montrent qu’on peut aussi subir le stress dû au changement climatique. L'éco-anxiété, ça s'appelle. J'ai pris le temps de découvrir ce qu'il en est exactement et comment la lecture peut vous aider à ce niveau.
Éco-anxiété et stress pré-traumatique
Le changement climatique est une forme de violence lente. On sent la menace mais on ne sait pas vraiment comment la stopper et on ne voit pas de changements immédiats autour de nous. C'est ce qui rend la chose si difficile à saisir. L’éco-anxiété, c’est donc une sorte de sentiment qui peut être ressenti à des degrés divers. Pour certaines personnes, elle est paralysante, tandis que d'autres s’en servent comme un moteur pour renforcer leur activisme climatique.
Psychologue spécialiste du sujet, Christof Abspoel explique qu'il existe quatre types de ressentis : « Le premier est surtout axé sur des scénarios apocalyptiques et la certitude qu’ils vont se réaliser. On a l'impression qu'on est déjà dans cet avenir sombre. Ensuite, il y a l’aspect "humeur et chagrin", avec un risque de rester bloqué dans une ambiance de deuil. » Le troisième se réfère à l'individu, « ce qui relève davantage de l'image de soi : qui suis-je en tant que personne, impuissante, et est-ce que je contribue à tout ça ? » Une facette de l’éco-anxiété avec laquelle les gens peuvent aussi avoir des difficultés est celle du contact avec les autres, « le sentiment d'avoir fait quelque chose de mal de façon collective, la colère entre les différentes générations ou le sentiment que la génération précédente a abandonné la suivante. » Abspoel ajoute que « bien qu'il existe ces quatre catégories, la couverture médiatique se concentre généralement sur une seule chose : l'anxiété ou la dépression climatique de façon générale, comme si c'était le seul problème. Mais les gens peuvent rester bloqués sur de nombreux aspects du problème. »
Comme on parle ici de la peur de ce qui va arriver, de la fin du monde et d’autres choses de ce genre, les universitaires parlent de stress pré-traumatique.
La solastalgie est un autre terme utilisé pour décrire les sentiments liés au changement climatique. La solastalgie est un mal du pays ou une nostalgie d'un endroit que vous considérez comme votre foyer, mais qui a été – ou sera – détruit par les effets de la crise climatique. Ça entraîne des sentiments de colère et de tristesse à l'égard d'un lieu qui n'existe plus ou qui n'existera plus. C’est une sorte de nostalgie négative, en d'autres termes. Abspoel en donne un exemple tiré de sa pratique professionnelle : « Un couple de personnes âgées m'a récemment raconté avoir été faire du vélo près de l'endroit où la femme avait grandi. Elle m'a dit combien il était douloureux pour elle de voir le paysage de son enfance si dégradé. » Cette femme était en deuil d'un paysage perdu. C'est un peu comme perdre un être cher.
Un grand problème avec l'éco-anxiété, c’est qu'il est difficile d'en discuter. Avec les personnes qui partagent les mêmes idées que vous, vous pouvez certainement vous entendre, entre âmes inquiètes ; mais hors de ce cadre, ça paraît être un problème de riche. Et c'est peut-être le cas, en fait. Les personnes les plus touchées par les conséquences de la crise climatique risquent de lever les yeux au ciel quand elles découvrent que nous – assis·es dans nos fauteuils confortables -, on s’inquiète de la fin d’un monde tel qu’on le connaît. Car la vérité, c’est que de nombreux endroits ressentent déjà les lourds effets de cette crise et les gens sont trop occupés à reprendre leur vie en main et à déménager ou à reconstruire leurs maisons, comme à Verviers.
Pourtant, on ne peut nier le sentiment de malaise que suscite le changement climatique. Le sombre mélange de culpabilité, de colère et d'impuissance peut sembler familier à certain·es. Des recherches suggèrent que cette éco-anxiété n'est pas très éloignée du stress post-traumatique. Mais comme on parle ici de la peur de ce qui va arriver, de la fin du monde et d'autres choses de ce genre, les universitaires parlent plutôt de stress pré-traumatique. Ça renvoie à l'idée de sentir qu'on a vécu le traumatisme avant même qu'il ne se produise réellement.
OK, maintenant que vous pouvez qualifier d'éco-anxiété cette sensation désagréable qui vous prend à la gorge quand vous voyez que l'Australie est en feu ou sous l'eau – au choix – vous vous demandez peut-être ce que vous pouvez faire pour y remédier. Si s’engager dans l'activisme, adopter un mode de vie plus approprié et alerter vos proches sont des moyens légitimes d’atténuer votre sentiment de futilité, ce n'est pas si simple pour tout le monde. C'est là que la littérature – en plus de l'art ou du cinéma – entre en jeu.
La littérature climatique a un certain nombre d'objectifs qu'elle met en avant. Par exemple, il veut donner au public une image de ce qui s'est passé et de ce qui peut se passer à l'avenir, ainsi que les conséquences de ces événements. Ensuite, on parle souvent de fiction climatique post-apocalyptique ou dystopique. Ce genre dépeint la plupart du temps une image de dévastation et la façon dont les habitant·es restant·es font face aux conséquences des catastrophes écologiques. Christof Abspoel n'est pas tout à fait d'accord avec les hyperboles que dépeignent les littératures post-apocalyptiques : « Il ne faut peut-être pas vouloir tout magnifier, mais plutôt le réduire et le rendre si intime que les gens puissent s'y identifier, qu'ils puissent eux-mêmes s’identifier. Dès que le niveau d'abstraction est trop élevé, que le lieu est trop éloigné ou que l'histoire parle de personnes que vous n'avez jamais rencontrées, il est difficile de le saisir sur le plan émotionnel. Déjà que les gens ont du mal à être attentifs à leurs voisin·es. » Abspoel perçoit un manque de volonté dans ce type d'œuvres, bien que susciter l'empathie soit certainement une bonne façon de faire les choses, « il faut donner une perspective. Que peuvent faire les gens ? Comment les gens peuvent-ils aspirer à quelque chose s'ils ne savent pas comment faire ? Ils pourraient alors se sentir incompétents et mettre le problème sous le tapis. »
On vit à l'ère de l'anthropocène, une ère dans laquelle l'humanité a un impact sur le climat et les écosystèmes. En tant qu'êtres humains, on est très individualisés et c’est parfois difficile de comprendre qu’on a un impact à une si grande échelle. C'est pourquoi l'anthropocène et le changement d'échelle sont au cœur de la plupart des publications sur le climat. Les écrivain·es le font pour aider les lecteur·ices à penser en termes de vue d'ensemble plutôt qu'à l'échelle locale. Ce qu’on fait, comment on vit, a un impact sur tout et sur tout le monde. À l'inverse, on fait également partie d'un ensemble plus vaste, de sorte à ce que cette mise à l'échelle vise non seulement à exposer toutes les conséquences de nos actions, mais aussi à montrer qu’on est aussi un maillon de la chaîne. Il n'est donc pas surprenant de trouver dans la littérature climatique des œuvres qui se concentrent également sur la planète, la nature ou les animaux, plutôt que sur un personnage humain.
La littérature climatique a également pour effet de nous sensibiliser. Il met les lecteur·ices à la place de quelqu'un d'autre. Vous êtes donc confronté·e à tous les aspects de la crise climatique. Vous n'y avez peut-être pas encore pensé, mais la crise climatique est raciste, par exemple. Les zones déjà touchées sont souvent des endroits considérés comme des « pays en développement ». Avec des récits concernant, entre autres, des peuples autochtones aux prises avec les conséquences de la société de consommation, la littérature climatique vise à démontrer l'urgence face à une violence lente. Et surtout que la violence n'est pas lente partout.
« Dans les années 1960, on voit déjà apparaître des fictions sur le changement climatique », explique Stef Craps, professeur de littérature anglaise à l'UGent, où il donne un cours sur la littérature climatique. « C'est ce qu'on appelle la “fiction proto-climatique”. Le terme “Proto” fait référence au fait qu'il existait déjà une fiction dans laquelle le changement climatique jouait un rôle important, mais où le caractère anthropique était encore absent. Le fait que les humains soient spécifiquement responsables n'était pas encore explicitement nommé. » Un bon exemple est le roman Le Monde englouti de l'auteur britannique de science-fiction J.G. Ballard, qui a servi de base à ce que l'on appellera plus tard la cli-fi ou la fiction climatique. « À partir des années 1970, vous avez des fictions de genre dans lesquelles le changement climatique était non seulement thématisé mais attribué sans équivoque aux activités humaines sur la base des connaissances scientifiques. »
« Cette nouvelle normalité menace d’éroder le sentiment d’urgence à s’attaquer au changement climatique »
« L'Autre Côté du rêve d'Ursula Le Guin est souvent considéré comme le premier véritable roman de cli-fi. Il y avait aussi The Sea and Summer de George Turner, Heat d'Arthur Herzog et Parabole du semeur d'Octavia Butler », poursuit Craps, pour qui ces titres représentent autant d’œuvres climatiques connues entre les années 1970 et 1990. « Ils sont restés limités en nombre et en résonance, explique-t-il. Ce n'est qu'au cours des 10 à 15 dernières années que la fiction climatique a connu un véritable essor. C’est dû à toutes sortes de facteurs. Le plus évident, bien sûr, ce sont les effets de plus en plus visibles du changement climatique. Elle n'est plus purement abstraite, théorique ou vague. Comme l'impact est devenu plus concret et tangible, on lui a également donné plus d'attention dans la littérature. »
Le fait que les préoccupations relatives au climat soient devenues plus courantes au cours de la première décennie de ce siècle, grâce à des films à succès comme Le jour d'après et Une vérité qui dérange avec Al Gore, peut aussi avoir eu un impact. « Ceux-ci ont fait du réchauffement climatique un sujet légitime, remet Craps. En plus, on pourrait dire que le climat a donné à la littérature une nouvelle mission, la sauvant de l'insignifiance à laquelle elle était de plus en plus condamnée dans notre culture très visuelle. C'est une autre explication possible de l'enthousiasme avec lequel beaucoup auteur·ices ont récemment adopté le thème du climat. » Maintenant que des auteur·ices littéraires connu·es s'y intéressent aussi, le genre est pris au sérieux.
La littérature climatique traite essentiellement d'une forme de traumatisme. Les mondes post-apocalyptiques et dystopiques le montrent bien. Le monde subit un changement massif à la suite d'un événement marquant et l'ordre mondial bascule dans le chaos. Dans certains romans, comme Le jour des triffides de John Wyndham et La route de Cormac McCarthy, on peut voir comment les humains se mettent en mode survie après un événement apocalyptique. Les émotions que les personnages manifestent dans ces romans découlent d'une expérience collective, d'un traumatisme collectif qu'ils doivent surmonter pour pouvoir avancer dans la vie. Ça se manifeste par des sentiments de peur, d'incertitude et de solitude. Ce type de littérature n'était pas du tout nouveau dans le monde littéraire. Il est proche de la littérature sur les traumatismes. Et dans l'histoire de l'humanité, on s’est déjà donné beaucoup d'occasions de créer des traumatismes. Il suffit de penser au colonialisme, aux génocides comme l'Holocauste et la Piste des larmes. Toutes ces formes de violence avaient déjà trouvé leur place dans la littérature, ce n'était donc qu'une question de temps avant que la crise climatique ne commence elle aussi à laisser son empreinte dans le monde littéraire.
« L'éco-anxiété et le deuil écologique sont des sujets brûlants de nos jours, mais en même temps difficiles à aborder, remet Craps. Ces sentiments sont encore un peu tabous. Quand les gens parlent de leur chagrin et de leur peur pour le climat, ils sont souvent considérés comme des personnes qui disent ça pour faire les malins ou qui sont hypersensibles ; ils ne sont pas vraiment pris au sérieux. La littérature, comme l'art en général, est un espace où il est possible de parler de ces émotions. » C’est un genre de safe space, en gros. Le professeur Craps considère la littérature et l'art comme un laboratoire culturel dans lequel on peut expérimenter des façons d'articuler et de traiter le chagrin et l'anxiété liés au climat : « On le voit dans de nombreux romans et films qui mettent en scène des protagonistes aux prises avec de tels sentiments. En fait, on le voit aussi dans des groupes d'activistes comme Extinction Rebellion, qui entretiennent une relation très ouverte avec les émotions écologiques. Par exemple, le groupe organise des cercles de deuil où ses membres sont invité·es à exprimer leurs sentiments climatiques en privé, en partant de l'idée qu'en faisant face à leurs propres émotions, les gens peuvent devenir de meilleur·es militant·es. » La littérature et l'art peuvent contribuer à donner un sens à ces émotions dûes à la crise climatique – souvent considérées comme négatives – ce qui peut faciliter leur traitement. « C'est finalement la fonction des histoires dans toute culture », ajoute Abspoel.
Personne n'est à l'abri des problèmes. Honnêtement, j'essaie de ne pas trop y penser pour ne pas marcher tout le temps la tête baissée. Le professeur Craps a aussi du mal : « Ma façon d'y faire face est de faire des recherches et d'enseigner sur le sujet. Personnellement, je ressens aussi beaucoup de colère et d'incompréhension. Surtout quand on sait ce qui se passe et qu'on voit comment le monde politique réagit. Mais ça ne sert pas à grand-chose de crier sur sa télé. En tant qu'enseignant et chercheur, vous touchez les gens que vous réveillez ou du moins à qui vous enseignez d'une manière ou d'une autre, et vous avez donc toujours un certain impact. Mes élèves éprouvent les mêmes sentiments, et discuter de cette littérature leur donne la permission d'exprimer leurs expériences et leurs émotions, pour ainsi dire. »
Pour Christof Abspoel aussi, canaliser ses sentiments climatiques l'a aidé. Il le fait par le biais de sa pratique : « Pendant la crise du Covid, je voulais être plus actif sur la crise climatique, alors j'ai commencé à faire du bénévolat pour la Milieudefensie (une organisation environnementale néerlandaise, NDLR). Mais je me suis demandé comment, en tant que psychologue, je pouvais tirer le meilleur parti de cette situation. Pour moi, c'est très agréable et porteur d'espoir car ça donne plus de sens à vos actions et vous faites soudainement partie d'un collectif de personnes confrontées à la même chose. » Abspoel traite les personnes présentant des symptômes psychologiques liés à la crise climatique et les aide à « répondre à la crise climatique dans la société d'une manière flexible, résiliente et efficace ».
La littérature climatique peut être considérée comme une niche – peut-être même un truc élitiste – d’un domaine d’étude déjà avant-gardiste, mais elle présente certainement une valeur ajoutée. Par exemple, bon nombre de climatologues trouvent que les canaux de communication habituels présentent des lacunes. J’ai l’impression que les médias de masse n'ont ni le temps ni l'envie de communiquer au grand public l'essentiel de la crise climatique. Et quand ils le font, ç’a peu d'impact. « Bien que les fake news soient souvent démenties dans les journaux, ça n’a qu'un rôle très limité sur nos émotions », déclare Abspoel. Le professeur Craps perçoit la fiction climatique comme une alternative peut-être plus efficace niveau communication : « La littérature permet aux gens d'éprouver de l'empathie pour les expériences de personnes d'autres époques, cultures, pays et situations. Il les confronte également aux conséquences du changement climatique sur le monde non-humain. Elle les rend vivantes, concrètes et tangibles. » Les deux experts du climat, favorables à la littérature climatique, espèrent qu'elle pourra toucher les gens d'une manière que la science elle-même ne peut pas, en les incitant à agir.
Le terme « nature » est lui-même devenu une abstraction. Il y a presque une dichotomie entre deux environnements – la ville et la nature. « L’autrice Eva Meijer souligne souvent que la "nature" est un concept insidieux et diffus, ajoute Abspoel. Les gens considèrent la nature comme un passe-temps, quelque chose d'optionnel ou d'extérieur. Alors que dans de nombreux cas, quand on parle de "nature", on veut simplement parler de la réalité ou du monde existant. » Le terme est tellement abstrait que les gens ne considèrent plus la nature comme faisant partie du monde vivant, mais comme un endroit où l'on se rend et où l'on s'évade. Mais nous, les humains, on fait aussi partie de la nature : « Certain·es psychologues disent qu’on doit être plus conscient·es du fait que la nature c'est aussi notre corps », remet Abspoel.
L’idée de faire exploser de grandes entreprises dont l’empreinte carbone est plus importante me séduit.
On doit redéfinir la nature. Dans beaucoup de livres, on lui attribue donc différents rôles : le destructeur, le refuge, quelque chose qui peut être détruit par l'humain. Il est intéressant de noter qu'elle se retrouve souvent dans un rôle de soumise. Ça s'inscrit dans le paradigme dominant selon lequel l'humain est le seigneur et le maître de la nature, et ça découle en partie de l'idée qu’on a apprivoisé la nature et qu’on est en train de la détruire. Selon Abspoel, il devrait y avoir plus de place « pour une littérature où l'on ne voit pas la nature comme un ennemi ». On ne voit pas suffisamment la nature comme quelque chose avec laquelle on peut coopérer et vivre. Dans une certaine mesure, c'est le reflet de notre société actuelle. « Je pense que quelque chose de la valeur intrinsèque, de la résilience de la nature, disparaît du tableau, poursuit-il. Dans les réunions d'envergure (comme la COP, mais aussi au sein des gouvernements, NDLR), on ne parle pas de cette manière ; on ne considère que la valeur économique et éventuellement récréative. » C'est là qu'intervient la littérature, qui permet aux gens de parler de la nature et de notre vision de celle-ci d'une manière différente, et d'influencer notre relation avec elle.
Une symbiose entre les humains et la nature pourrait être la voie ultime de notre salut. Vous pouvez lire un scénario possible de cette symbiose dans Annihilation de Jeff VanderMeer – hautement recommandé d'ailleurs, mon dieu cet homme m'a insufflé un nouvel amour pour la littérature.
J'ai déjà capté que l'avenir ne se gagnera pas sans lutter. Parfois, je préfère même me résigner à l'idée qu'il est déjà trop tard. Je me plais donc à imaginer que le monde s'arrangera tout seul après notre disparition. Un peu comme dans Annihilation, où la nature se venge de l'homme. Pourtant, tout le monde n'est pas aussi pessimiste que moi, heureusement. Kim Stanley Robinson, par exemple, écrit un scénario optimiste dans The Ministry for the Future.
« Ce roman climatique est plein d'espoir, me confie le professeur Craps. Avec ce livre, Robinson tente d'écrire un scénario optimal pour l'évolution du climat au cours des trente prochaines années, auquel même une personne sceptique peut encore croire. Il ne s'agit donc pas d'une simple déclaration d'intention, mais d'une image plausible de l'avenir. C'est plutôt punitif, en fait. Il parvient à brosser le tableau d'un monde dans lequel le climat s'améliorera d'ici le milieu du XXIe siècle, mais pas du jour au lendemain. Il y a encore toutes sortes de catastrophes à venir. » Par exemple, le livre commence par décrire une terrible vague de chaleur qui frappera l'Inde en 2025, tuant 20 millions de personnes en seulement deux semaines. Cette catastrophe agit comme une sorte de catalyseur qui permet de prendre enfin au sérieux les questions climatiques : toutes sortes de mesures ambitieuses sont mises en place, et l'ordre financier et économique tout entier est réinventé, faisant évoluer le monde vers un système post-capitaliste. « Il existe également des innovations technologiques telles que la géo-ingénierie, poursuit Craps. Et l'écoterrorisme a un rôle à jouer. Il suffit de penser aux attaques contre les PDG des compagnies pétrolières et autres criminel·les climatiques, ou à une série coordonnée d'attaques contre des avions et qui mettront fin à l'aviation civile. »
L'idée de faire exploser de grandes entreprises dont l'empreinte carbone est plus importante me séduit. Selon le professeur Craps, « Robinson était convaincu qu'il ne pouvait pas écrire un scénario optimiste dans lequel des choses terribles comme celle-là ne se produisent pas. Le spécialiste de la littérature marxiste Fredric Jameson a dit un jour qu'il semble plus difficile d'imaginer la fin du capitalisme que la fin du monde. Robinson voulait quand même essayer la première piste et il a réussi, mais non sans mal. »
Mais en réalité, on vit déjà dans le futur, sans que nous – du moins la jeune génération – n'en soyons vraiment conscient·es. Le professeur Craps m'a parlé du syndrome de changement de base et de l'amnésie environnementale générationnelle : « La génération actuelle a un cadre de référence différent de la précédente en matière de biodiversité, par exemple. Si vous conduisiez une voiture dans les années 1970 ou 1980, en un rien de temps, votre pare-brise serait rempli d'insectes morts qui l’auraient frappé. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, car cette richesse en insectes a été fortement réduite. Il existe même un nom pour ce phénomène : "l’effet pare-brise". Mais les millennials ne sont généralement pas conscient·es qu'il n'est pas "normal" qu'il y ait si peu d'insectes aujourd'hui, parce qu’ils ne se souviennent pas à quel point la nature était riche et diversifiée au cours des générations qui les ont précédés. Le cadre de référence s'est déplacé. » Abspoel parle d’un côté « vous ne savez pas ce que vous ratez ». Et ça peut avoir des conséquences. Ce qui est fou, c'est que vous n'en souffrez pas en tant qu'individu, mais que c'est la société qui en souffre.
On ne se rend donc pas compte que la réalité est déjà différente. Un enfant d'aujourd'hui ne sait pas à quel point il neigeait quand j'avais le même âge. Ça semble presque absurde. Mais les vagues de chaleur et les mois d'automne beaucoup plus chauds sont aussi devenus la norme pour les jeunes enfants, alors qu’on sait qu'ils ne le sont pas. « Cette nouvelle normalité menace d'éroder le sentiment d'urgence à s'attaquer au changement climatique », conclut Craps.
J'ai beaucoup appris pendant les heures passées aux cours du professeur Craps. J'ai pu reconnaître mes sentiments dans les personnages des livres et j'ai été confrontée à l'urgence des questions climatiques. Je voulais vivre mieux et pouvoir prendre mieux soin de notre précieuse planète. Mais ça m'a aussi rendu plus cynique à l'égard des stratégies de marketing comme le greenwashing et les paroles vides des politiques. Cela dit, je vous assure que la littérature sur le climat peut aider, pour tous les gens qui veulent lui donner une chance ; tous les gens incrédules, angoissés ou simplement intéressés. J’ai donc demandé à Craps quels livres il recommanderait aux personnes novices en la matière.
Atmosphère de Jenny Offill est un livre féroce mais en même temps très drôle. Située dans le présent, l'histoire est celle d'une femme ordinaire rongée par l'angoisse de la crise climatique. L'autrice parvient à traiter un sujet lourd de façon légère.
Dans la lumière de Barbara Kingsolver est un roman à la lecture fluide qui décrit différents types de comportements de fuite : celui d'une colonie de papillons Monarques égarés et celui de la protagoniste qui se sent prisonnière de sa vie conjugale monotone, mais aussi celui de sa communauté conservatrice de la région des Appalaches aux États-Unis devant la réalité de la crise climatique.
Les Mots Perdus de Robert Macfarlane et Jackie Morris a été créé pour protester contre la suppression de certains termes liés à la nature dans un dictionnaire pour enfants faisant autorité, au profit de termes issus de la vie quotidienne de la génération Internet. C'est un merveilleux livre de poésie et d'images pour les enfants, mais aussi pour adultes, sur ces mots qu’on a supprimé. Il contient 20 poèmes sur des plantes et des animaux qui risquent de tomber dans l'oubli ou qui ont déjà été touchés par l’extinction. Le livre s'oppose subtilement à la perte de la nature et à la dégradation de l'environnement.
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