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podcast Le podcast « Rebond » interroge des personnalités sur des épreuves qu’elles ont vécues et leur rapport au handicap. L’humoriste Elie Semoun se confie sur la maladie d’Alzheimer de son père et sur son rôle pour l’accompagner.
Temps de Lecture 9 min.
Humoriste, acteur, réalisateur, scénariste… Elie Semoun a de nombreuses cordes à son arc. Le public l’a découvert en tandem avec Dieudonné, puis en solo au fil de ses nombreux spectacles. Au cinéma, il a joué dans Les Trois Frères, Qu’est-ce-qu’on a fait au Bon Dieu ?, a incarné l’instituteur Gustave Latouche dans Ducobu et a prêté sa voix dans L’Age de glace et Astérix.
En 2020, dans un registre inédit et émouvant, Elie Semoun figure aux côtés de son père dans Mon vieux, un documentaire sur la maladie d’Alzheimer réalisé par Marjory Déjardin, diffusé par La Chaîne parlementaire. Dans le podcast du Monde « Rebond, vivre avec le handicap », réalisé en partenariat avec l’Agefiph, l’humoriste revient sur la façon dont il a accompagné son père, sa vision de la maladie et les conséquences de celle-ci sur sa vie privée, au micro de la journaliste Isabelle Hennebelle. Ce témoignage s’inscrit dans le cadre de la saison 2 de ce podcast, diffusée à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées.
Je n’aurais pas une définition scientifique, évidemment. Moi, je vais vous donner des idées, des ressentis, puisque je marche surtout à l’affectif et que je ne suis pas médecin. D’ailleurs au début, je ne croyais pas que mon père avait Alzheimer. Avec ma sœur, on s’est posé la question. On s’est dit : « Il y a un problème », mais on ne savait pas nommer ce problème. On a pensé à de la démence sénile, parce que papa a commencé à nous parler d’un type qui venait chez lui, qui lui piquait sa carte bleue et qui déplaçait des objets, qui déplaçait sa voiture le soir et la remettait au bon endroit le matin…
Face à ces propos, on a compris que quelque chose n’allait pas. Au début – je le dis sans vouloir choquer les gens qui côtoient cette maladie –, ça nous a fait rire. On pensait aussi que, comme il avait du diabète, on avait peut-être mal dosé les traitements. Puis on a été exaspérés parce qu’on était obligés de répéter quinze fois les mêmes choses. Quand on ne savait pas encore ce qu’il avait, on lui a fait faire des radios du cerveau. Il y avait des taches blanches. On nous a alors confirmé que c’était Alzheimer. Au début, c’était un gentil Alzheimer. Il oubliait juste des petites choses. Il s’en rendait même compte et nous disait : « Mais qu’est-ce que j’ai dans ma tête ? Ça ne va pas, je dis n’importe quoi. » Comme il était assez positif, il le prenait à la rigolade. Mais je pense que, à la fin, il a dû vivre un drame.
C’est comme une double mort. La reine d’Angleterre est morte, ça a choqué. Un pays entier était attristé de voir partir un pilier, un phare dans la nuit. Eh bien, quand vous perdez un père ou une mère, c’est pareil. C’est comme un phare dans la nuit qui s’éteint. Et il s’éteint avec vos souvenirs. Comment vous étiez quand vous étiez petit ? Quand vous étiez ado ? Est-ce que j’étais un enfant chiant ou gentil ? Est-ce que j’étais câlin ? Je ne pourrai plus jamais le savoir car il est parti avec. C’est ce qui est dur dans cette maladie. C’est la double peine.
Dans le cas de notre père, je crois qu’il s’est quand même souvenu de nous jusqu’à la fin, et même jusqu’à son dernier souffle. Ce n’était donc pas aussi violent que ça. Mais il y a quand même des instants qu’on a dû lui faire revivre parce qu’il ne s’en souvenait pas.
J’ai eu la chance de jouer mon spectacle à Casablanca. Je me suis donc dit : « Je vais au Maroc, je ne peux pas y aller sans papa, c’est impossible. » On en a donc profité pour aller aussi à Taza. Il n’y avait pas mis les pieds depuis vingt ou trente ans. Je voulais lui faire plaisir. Et je voulais provoquer, peut-être, un électrochoc affectif, sentimental chez lui. Très naïvement, j’ai pensé qu’il pourrait avoir un flash, que des choses lui reviendraient. Vous savez, pour ce genre de maladie, on n’a pas d’explications, alors on pense que si on dit à son père malade qu’on l’aime, ou que si on l’entoure de nos bras, si on lui fait vivre des choses agréables, si on excite son intellect, ça va peut-être changer les choses. Le voyage était un peu décevant.
Oui, il y a eu des temps forts. Quand on a retrouvé sa maison, quand il a rencontré des gens qu’il n’avait pas revus depuis des années… C’était un beau moment, mais dans la réalité, il a été un peu déçu. C’est marrant, ça m’a fait penser à la chanson de Barbara qui dit que ça ne sert à rien d’aller chercher ses souvenirs d’enfance, que ça nous fait plus mal qu’autre chose. Sa ville avait changé. La communauté juive avait disparu, il y avait moins de Français, il y avait des Arabes pure souche, des vrais Marocains, beaucoup d’hommes. Dehors, dans les cafés, on ne voyait pas beaucoup de femmes…
Non, mais ç’aurait été un miracle. Je ne pense pas que ce soit comme ça qu’on guérit de cette maladie…
Déjà, on peut dire que c’est une maladie de merde tout court ! C’est ignoble, parce que ça touche à ce qu’on a de plus précieux. Nos souvenirs, notre cerveau, notre intelligence. Parce que, malheureusement, papa devenait bête. Je me vois encore en train d’essayer de réparer un vélo et lui demander : « Papa, est-ce que tu veux bien m’aider ? Est-ce que tu peux aller chercher un tournevis cruciforme ? » Sauf qu’il revenait avec un marteau. Il ne savait plus comment faire. Puis il s’énervait. Il me disait : « Mais toi, tu ne connais pas les outils ! » Donc oui, pour les malades, d’abord, Alzheimer est une maladie de merde, vraiment. Et pour les aidants aussi, parce qu’on ne sait plus quoi faire. J’ai un copain qui m’a appelé avant de mettre sa mère malade dans un établissement, il hésitait mais elle devenait agressive, elle n’assurait plus sa propre hygiène. Les aidants sont partagés entre la culpabilité et l’impuissance. Et c’est désespérant, psychologiquement épuisant.
En effet, je l’ai accueilli à la maison, mais j’appelais régulièrement ma sœur. Je lui disais : « Ecoute, je craque complètement, je peux tenir une semaine, pas plus, car j’ai envie de le tuer. Je te le ramène ! » Quand je le raccompagnais dans sa résidence à Lyon, c’était un déchirement aussi de le quitter. Je le revois encore, au bout du couloir, perdu. Après, il n’arrêtait pas d’emmerder sa voisine. Il frappait chez elle à 3 heures, à 4 heures du matin, pour savoir où il était. Elle le trouvait sympa mais forcément, elle l’engueulait, et lui ne comprenait pas pourquoi. C’était compliqué. Et puis à un moment, on s’est dit qu’on ne pouvait ni le garder ni le laisser tout seul. Il fallait donc le placer dans un établissement.
On a lâchement profité d’une petite opération chirurgicale pour le conduire directement à l’Ehpad ensuite, en lui expliquant qu’il serait mieux là. On le lui avait fait visiter auparavant, mais, évidemment, il ne s’en souvenait pas. Pour lui, il était hors de question qu’il rentre dans un Ehpad. Il ne voulait pas. Mais il a eu l’air de le comprendre. Là-bas, il faisait beaucoup de déambulation. Il marchait tout le temps, tout le temps, tout le temps… Il se baladait dans les couloirs à longueur de journée.
Il est mort et ce n’est la faute de personne. Il était vieux, il avait des problèmes de santé, la prostate, etc. Mais je ne comprends toujours pas cette décision du gouvernement de séparer les vieux de leur famille par peur qu’ils contractent le virus. Ils ont contracté un autre virus, celui de la solitude. Cet isolement, total, en a tué beaucoup. Je me souviens de la réflexion d’un monsieur des pompes funèbres. Il relevait qu’il voyait de nombreuses personnes âgées qui mouraient, mais pas à cause du Covid. Papa, c’est à partir de ce moment-là qu’il a cessé de se nourrir. Et le voir à travers une barrière en plastique, c’était n’importe quoi ! Il voulait s’approcher, l’infirmière le retenait, c’était déchirant.
Avec du recul, je me sens un peu coupable de ne pas être allé le voir plus souvent à Lyon. Je travaillais souvent en Belgique à ce moment-là, j’allais le voir une fois par semaine. Ma sœur me dit qu’on a fait tout ce qu’il fallait. Mais j’aurais dû le prendre davantage chez moi. Un médecin spécialiste d’Alzheimer m’avait conseillé de profiter de l’instant présent avec lui.
D’abord, je ferais le ménage dans les Ehpad. C’est scandaleux de profiter de la faiblesse des familles, de la faiblesse de ces personnes âgées. Et puis je m’arrangerais pour rendre les Ehpad un peu plus humains. Quand j’allais voir mon père, je discutais avec la directrice de son Ehpad, à Lyon – qui est partie d’ailleurs, parce qu’elle a été dégoûtée par cette période-là. Il manquait cruellement d’argent. Mon père tombait souvent, et visiblement, il n’y avait pas assez d’infirmières puisqu’il restait parfois assez longtemps par terre.
Entourez-le, ou entourez-la d’amour. Dites-lui que vous l’aimez. Faites-lui des bisous, même si vous n’avez pas l’habitude de vous embrasser. Dites-lui tout ce que vous pourriez regretter de ne pas lui avoir dit. Réglez vos comptes, d’une manière douce, évidemment, mais profitez-en parce que sinon, vous allez le regretter à vie. Dans la vie en général, je conseillerais d’exprimer ses sentiments, de ne pas être en contrôle. C’est le moment pour se lâcher, pour lâcher prise et pour donner de l’amour à ces gens-là, qui en ont besoin. Et de l’attention aussi, parce qu’ils sont comme des petits agneaux, comme des petits enfants. Voilà, mon père était redevenu un enfant. Il avait besoin de nous.
On en a tous, des choses à reprocher à nos parents. Ma mère est morte quand j’avais 11 ans, d’une hépatite B. En deux ou trois semaines. Mon père n’a rien compris, le pauvre, il l’a enterrée, on n’a pas assisté à l’enterrement. C’était en 1974, vous imaginez ? C’est la préhistoire. Il n’y avait pas de psychologues pour enfants, ou si peu. Dolto n’avait pas fait des petits à cette époque. On n’a pas fait le deuil et je lui en ai voulu de ça. Mais, le pauvre, il a fait ce qu’il a pu. J’ai réglé ce problème-là. J’en ai discuté avec lui et après, il m’a dit une chose qui est dans le documentaire : « Laisse-nous entre vivants. » Il avait coutume de dire aussi, en arabe, « le passé, c’est le passé ». C’est simple.
Oui, je suis sensible aux mots et je n’ai rien à reprocher à la langue française à ce niveau-là. Un handicapé, c’est un handicapé. Il faut l’appeler comme tel. Il ne faut pas avoir peur des mots. Je trouve le mot « aidant » très beau. On pourrait aussi employer le mot « aimant ».
« Rebond, vivre avec le handicap » met en avant des témoignages de personnalités touchées de près ou de loin par le handicap (physique, psychique, lié à une maladie, un accident, touchant un proche ou soi-même) et ayant des conséquences sur la vie de tous les jours. Après une saison 1 riche d’une douzaine de témoignages, retrouvez la saison 2 à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (du 14 au 20 novembre 2022).
« Rebond, vivre avec le handicap », un podcast réalisé par Le Monde, en partenariat avec l’Agefiph. Un épisode écrit et animé par Isabelle Hennebelle. Production : Joséfa Lopez pour Le Monde. Réalisation : Eyeshot. Transcript : Caroline Andrieu. Identité graphique : Kenza Mezouar, Mélina Zerbib. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine.
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