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Les câbles sous-marins de télécommunication peuvent être exploités comme des interféromètres pour détecter le chant des baleines. Au-delà de la surveillance des populations de cétacés, cette nouvelle technique pourrait aider à sonder le monde sous-marin.
Baleine au large de l’archipel du Savalbard.
L’été dernier, la canicule a rappelé, une fois de plus, l’urgence de la lutte climatique. Et l’Arctique est un enjeu central, car le réchauffement y est quatre fois plus rapide que partout ailleurs. Conséquence indirecte : la fonte des glaces ouvre de nouvelles voies navigables et le commerce maritime ne cesse d’augmenter. Mais l’Arctique est aussi la destination estivale des baleines boréales qui viennent se nourrir dans ces eaux poissonneuses avant la saison des amours. Comment maintenir une cohabitation sereine ? Les méthodes de suivi des populations de cétacés à large échelle sont souvent onéreuses et donc peu répandues. Léa Bouffaut, de l’université Cornell, aux États-Unis, et ses collègues de l’université norvégienne de sciences et technologies, à Trondheim, proposent d’utiliser une technologie déjà bien implantée dans le fond des océans : la fibre optique, pour écouter le chant des baleines.
Près de 1,2 million de kilomètres de câbles de télécommunication reposent sur le fond des océans. Ces derniers présentent souvent des fibres optiques de rechange, non utilisées pour le transfert de données, et donc possiblement utiles pour d’autres usages. C’est le cas du système DAS (Distributed acoustic sensing, soit « détection d’ondes acoustiques distribuées ») qui les exploite pour détecter des ondes sonores, notamment pour surveiller l’intégrité des pipelines des industries pétrolifères.
Le principe repose sur le comportement des photons, c’est-à-dire de la lumière qui parcourt la fibre optique depuis un émetteur jusqu’à une station de mesure. Une fibre possède toujours de petites irrégularités qui réfléchissent, comme des miroirs, une partie du flux lumineux. Or l’arrivée d’une onde sonore comprime la fibre et déplace de quelques nanomètres ces surfaces réfléchissantes. Les photons réfléchis parcourent donc une distance qui varie, ce qui influe sur le temps d’arrivée à la station de mesure. Les variations dans les temps d’arrivée permettent de reconstituer l’onde sonore à l’origine de la perturbation. La fibre est transformée en interféromètre !
C’est ce système DAS que Léa Bouffaut et ses collègues ont utilisé pendant 42 jours à Isfjorden, un des principaux fjords de l’archipel du Svalbard, à l’est du Groenland. Grâce à ce système, les chercheurs ont identifié 832 signatures acoustiques, typiques en fréquence et en intensité des baleines chanteuses comme la baleine bleue, le plus grand animal de la planète.
Au-delà de confirmer la présence des cétacés, ces mesures ont aidé à mieux comprendre ses activités au sein du fjord, une information précieuse pour envisager des mesures de protection. En effet, 38 % des chants détectés étaient émis par des mâles à plus de 70 kilomètres de la côte, à l’entrée de la pleine mer. Les autres sons perçus correspondraient à des interactions sociales, comme la recherche de nourriture, émis par des mâles, des femelles et des baleineaux dans le fjord, à moins de 70 kilomètres de la côte.
Mais les baleines ne sont pas les seules à émettre des sons dans l’océan. Les chercheurs ont également détecté dans le fjord la présence de bateaux. Ils ont aussi enregistré plusieurs tempêtes dont une survenue dans l’océan Atlantique, à plus de 13 000 kilomètres de la station d’enregistrement ! En effet, n’importe quelle onde acoustique peut être perçue par le système DAS, permettant d’envisager une multitude d’applications. Par exemple, les chercheurs notent que le chant des baleines a des caractéristiques très proches des ondes émises par les canons à air utilisés par les géologues pour sonder le plancher océanique. Il serait donc possible d’utiliser les sons émis par les cétacés pour cartographier avec une résolution inégalée et sur une large échelle ces territoires très mal connus, et sans perturber la biodiversité marine.
Cependant, le système DAS s’expose à un problème majeur : la gestion des données. Chaque jour, ce sont sept téraoctets d’informations que Léa Bouffaut et ses collègues ont dû analyser. Une telle technologie ne sera donc généralisable qu’avec la mise au point d’algorithmes de tri de données. Mais elle ouvre le champ des possibles, laissant entrevoir un moyen de sonder sans perturber et à moindre coût le monde sous-marin.
Article paru dans
Pour la Science n°541 – Novembre 2022
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Coraline Madec est enseignante en biologie et journaliste indépendante.
L. Bouffaut et al., Eavesdropping at the speed of light : Distributed acoustic sensing of baleen whales in the Arctic, Frontiers in Marine Science, 2022.
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