Cet article a été initialement publié sur The Conversation.
Il y a maintenant plus d’un an et demi, l’entrée en fonction de l’administration Biden a soulevé l’espoir d’un rétablissement du Plan d’action global conjoint, aussi appelé accord de Vienne sur le nucléaire iranien (Joint Compréhensive Program of Action ou « JCPOA », conclu le 14 juillet 2015), dont Donald Trump avait unilatéralement fait sortir les États-Unis en 2018.
Cet accord avait pour objectif de contrôler le programme nucléaire iranien en échange de la levée progressive des sanctions économiques contre Téhéran.
Mais en dépit des discours répétés de bonne volonté de plusieurs membres de l’administration américaine favorables aux négociations et qui appelaient de leurs vœux une avancée sur ce dossier, la dynamique diplomatique a aujourd’hui du plomb dans l’aile. En effet, l’exacerbation du conflit en Ukraine est devenue le principal facteur de blocage à toute évolution vers un accord qui pourtant semblait urgent il y a encore quelques mois.
Dès l’ouverture des pourparlers sur la relance de l’accord de Vienne, en février 2021, les négociateurs américains avaient insisté pour incorporer dans les discussions le volet balistique, autrement dit la fin de la production par Téhéran de missiles balistiques de longue portée à haute précision, et la remise en cause du rôle régional « déstabilisateur » de l’Iran.
De son côté, l’Iran a fait montre de fermeté en rejetant toute négociation qui sortirait du strict cadre nucléaire et a toujours exigé, en contrepartie de son acceptation, la levée des sanctions dont il fait l’objet et l’obtention de garanties sur la pérennité de l’accord, afin de s’assurer que celui-ci survivrait aux aléas d’un changement d’administration aux États-Unis.
Les négociations conduites depuis maintenant un an et demi interviennent entre l’Iran d’un côté, et les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine et l’Allemagne de l’autre, et sont coordonnées par l’Union européenne.
Le refus de l’Iran de parler directement aux Américains conduit les Européens, participants de plein droit, à assumer également un rôle de médiateur. Dans le cadre de ces discussions, il est demandé à Téhéran de respecter les engagements de l’accord de Vienne, qui impose un régime de surveillance renforcé de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA) et des limitations qualitatives et quantitatives temporaires de certaines des activités nucléaires de l’Iran – à l’exemple de la limitation de l’enrichissement de l’uranium entre 3 et 5 % et à un usage strictement civil – en échange de la levée progressive des sanctions économiques.
Le facteur temps et la crainte que l’Iran ne devienne une « puissance du seuil » ont rendu urgente la conclusion d’un accord pour les puissances occidentales. En effet, avec le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne en 2018 et la mise en œuvre d’une politique de pression maximale à l’endroit de l’Iran, Téhéran a repris ses activités d’enrichissement dans des quantités très supérieures à celles agréées par l’accord sur le nucléaire de 2015.
Dans un rapport publié le 7 septembre dernier, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui accuse depuis plusieurs mois l’Iran d’entraver sa mission de vérification et de contrôle du respect des engagements en matière nucléaire, révèle que le stock iranien d’uranium enrichi est passé de 43 kg en mai à 55,6 kg le 21 août et qu’il est désormais proche du seuil nécessaire à la fabrication de l’arme atomique.
Face aux violations imputées à l’Iran par l’AIEA – qui a notamment adopté, en juin dernier, une résolution blâmant Téhéran -, l’Iran a réaffirmé, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amirabollahian, dans une interview accordée à Al-Monitor le 25 septembre dernier, que les allégations de l’Agence sont « sans fondement » et que cette dernière « doit se comporter et agir techniquement » et non politiquement. Mais les Américains et les Européens, dans une parfaite unité, accusent l’Iran d’être le principal responsable de l’impasse dans laquelle se trouvent aujourd’hui les négociations et n’espèrent plus un dénouement positif imminent.
Après le rejet par l’Iran de la mouture finale du projet d’accord présenté en août 2022 par le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, au motif que ce texte ne contenait pas de garanties économiques suffisantes en cas de nouveau retrait unilatéral des États-Unis, plusieurs déclarations ont constaté une situation de blocage. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a ainsi affirmé le 12 septembre que compte tenu des exigences de l’Iran, un accord était « improbable » à court terme, pointant l’incapacité de Téhéran « à faire ce qui est nécessaire pour parvenir à un accord ».
De leur côté, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont amplement repris les critiques émises par les Américains et conclu dans une déclaration commune publiée le 10 septembre que l’Iran a décidé « de ne pas saisir cette opportunité diplomatique décisive » et « poursuit l’escalade de son programme nucléaire ».
Ainsi, si formellement les négociations continuent d’achopper sur des questions techniques, force est de constater que la perception occidentale de l’urgence de parvenir à un accord avec l’Iran se trouve sensiblement modifiée. Les nouveaux calculs stratégiques dictés par une analyse du caractère inéluctable de la défaite russe en Ukraine confortent désormais une approche de fermeté vis-à-vis de l’Iran.
Il apparaît clairement que l’inquiétude décliniste – actant la fin de l’hégémonie américaine sur le monde qui irriguait la majorité des analyses – s’est dissipée.
La guerre en Ukraine est désormais perçue comme une opportunité historique et stratégique de rétablir l’unité du camp occidental et de préserver sa position hégémonique. Dans ce nouveau contexte géopolitique, les États-Unis et leurs alliés européens ont engagé un nouveau pari consistant à penser que la confrontation est entrée dans une phase décisive. Comme le rappelle un article récent de The National News :
Les puissances occidentales misent sur une défaite russe sur le terrain ukrainien qui aurait des conséquences géostratégiques majeures à l’échelle globale. Au cours d’un entretien avec le journaliste Jeffrey Goldberg, Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, affirme que la guerre en Ukraine est aussi une démonstration de « notre force, notre résilience, notre endurance », et « aura un impact certain sur notre capacité à dissuader efficacement les autres ailleurs ».
L’objectif serait à la fois de limiter les ambitions de puissance de la Chine et d’affaiblir la position négociatrice de l’Iran, resté allié à la Russie depuis le début de la guerre. Ce calcul qui pousse à une inflexibilité des positions sur le dossier du nucléaire se nourrit également de la représentation occidentale que le régime iranien, en proie à une importante contestation interne, serait de plus en plus fragilisé et idéologiquement isolé. En réaction à la répression en Iran, l’UE a d’ores et déjà adopté des sanctions et envisage de renforcer ces mesures coercitives en pointant la responsabilité de Téhéran dans la vente de drones à la Russie pour appuyer la campagne militaire de celle-ci en Ukraine.
Toutefois, il serait opportun de s’interroger sur la pertinence de cette grille de lecture dominante. D’un côté, elle semble relever davantage du wishful thinking que d’une lecture réaliste de la situation. Comme le souligne avec pertinence un éditorial de The Guardian paru le 25 septembre dernier :
D’un autre côté, il est difficile de ne pas souscrire aux conclusions du politiste américain Robert Kaplan qui ont le mérite de la clarté. Dans un commentaire récent, il rappelle que si les régimes russe et iranien ne sont actuellement pas menacés, l’hypothèse de leur effondrement renferme un « danger géopolitique ». En effet,
La configuration actuelle augure mal de la possibilité d’un compromis sur le dossier nucléaire, mais si l’opportunité historique de conclure un deal est aujourd’hui manquée, l’Iran pourrait prochainement se hisser au rang des puissances nucléaires.