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Déboires financiers, CV surgonflé, complotisme… Idriss Aberkane, itinéraire d'un mystificateur – L'Express

S'il prétend être un grand scientifique, Idriss Aberkane n'a publié aucune étude significative, ni en neurosciences, ni en mathématiques.
Anne-Gaëlle Amiot/Illustrissimo
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Il se présente comme un “hyperdoctor” détenteur de trois titres de doctorat, se ­proclame spécialiste en neurosciences, en ­biologie, en géopolitique, en informatique, en philosophie ou encore en développement personnel et s’essaie même au rap. Il assure sortir des plus grandes univer­sités et jure avoir résolu l’une des plus ­épineuses conjectures mathématiques (celle de Syracuse). Il s’est aussi rêvé en Elon Musk français en lançant ses sociétés disruptives, et a, enfin, tutoyé les sommets des hit-parades littéraires avec l’ouvrage Libérez votre cerveau (Robert Laffont, 265 000 exemplaires vendus). Idriss Aberkane est une étoile montante repérée dans le firmament médiatique en 2016 : à peine âgé de 30 ans, le “jeune homme pressé” fait l’objet d’un portrait dithyrambique dans un quotidien du soir et la Une d’un grand hebdomadaire. 
Depuis, il a chuté de son piédestal. Son CV a été mis en cause, l’un de ses doctorats est suspecté de plagiat et la justice enquête sur ses sociétés suisses. Et plus les critiques s’abattent sur lui, plus l’ancienne star se radicalise. Aujourd’hui, il n’est plus invité sur les plateaux télévisés et se trouve discrédité dans le monde de la recherche. Oscillant entre victimisation et invectives de plus en plus violentes à l’égard de ces deux mondes qu’il tentait de séduire, il a redirigé ses forces vers un nouvel auditoire : les sphères antivax et complotistes, qu’il abreuve de théories dissidentes sur sa chaîne YouTube (654 000 abonnés, 42 millions de vues cumulées), ses comptes Facebook (269 000 abonnés) et Twitter (243 000). Mais Idriss Aberkane n’a plus besoin de la presse, il est devenu son propre média. C’est ce cheminement que nous avons tenté de retracer à travers cette enquête qui nous a amenés à interroger une trentaine de personnes, de ses années d’études jusqu’à ses théories conspirationnistes, en passant par ses déboires dans le monde des affaires et ses travaux scientifiques. Si Idriss Aberkane réussit à impressionner grâce à son éloquence, ses ambitions se sont souvent heurtées à la réalité et à ceux qui ont révélé ses supercheries. Itinéraire d’un enfant gâté qui s’est gâché. 
Sollicité par L’Express, Idriss Aberkane n’a pas souhaité nous répondre. 
Idriss Aberkane a beau se présenter comme hyperdoctor, dans le monde scientifique, l’assertion fait sourire. “Une thèse demande de cinquante à soixante heures de travail par semaine pendant trois à quatre ans. Il s’agit d’un emploi à plein temps pour quiconque le fait sérieusement, aussi brillant soit-il. Et après l’avoir validée, il faut encore faire des stages de postdoc (de deux à six ans), avec le même dévouement. Ensuite on peut piloter entièrement un projet scientifique, explique Mariano Casado, maître de conférences spécialisé en neurosciences, directeur des études au département de biologie de l’Ecole normale supérieure (ENS), et ancien professeur d’Idriss Aberkane. Et de poursuivre : “Il est rarissime – sans doute 1 cas sur 1 000 – de faire une deuxième thèse, et cela indique plutôt une erreur d’aiguillage qu’une excellence scientifique. Alors faire trois thèses, revenir trois fois au point de départ, c’est presque comique. Et c’est surtout un critère d’exclusion dans le monde de la recherche : personne ne peut prendre ça au sérieux.” 
Mais sur un CV, ça impressionne. Et tant pis si le doctorat en diplomatie et “noopolitique” [NDLR : un terme qu’Aberkane a inventé, censé signifier ­l’interaction du pouvoir, du savoir et de la sagesse], délivré par le Centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris en 2013, n’est pas reconnu par l’Etat français. Sa thèse en littérature comparée, réalisée à l’université de Strasbourg en 2014, et celle en science de gestion, obtenue à l’université Paris-Saclay et préparée à la prestigieuse Ecole ­polytechnique en 2016, restent, elles, valides. Du moins jusqu’à maintenant. Car depuis plusieurs mois, un épineux dossier encombre les bureaux de l’école Polytechnique et de l’université Paris-Saclay : des dizaines de pages de la thèse d’Idriss Aberkane semblent être le fruit de copiés-collés. Les deux établissements ont reçu, début 2021, des signalements détaillés que L’Express a pu consulter. Ils ont conduit à une rarissime procédure disciplinaire pour un potentiel plagiat qui pourrait aboutir à l’annulation du doctorat de leur ancien élève. 
En 2016, Idriss Aberkane avait demandé qu’un embargo de cinq ans soit appliqué sur sa thèse pour des raisons de protection intellectuelle. “Il y avait des lignes de code et des designs d’UX qui ne pouvaient pas être diffusés à l’époque”, justifiait-il sur Twitter en 2021, lorsque le document a été rendu public. Dès sa mise en ligne, quelques curieux recherchent les fameuses “lignes de codes et les designs UX” protégés. Ils les trouvent dans le chapitre 13, long de 47 pages, et découvrent qu’elles consistent en un copié-collé quasi intégral d’une documentation d’un logiciel appelé Chromium Embedded Framework (CEF) 15, diffusée gratuitement sur Internet en 2015 par son auteur, Marshall Greenblatt. Interrogé par L’Express, ce dernier assure ne pas connaître Idriss Aberkane ni être au courant d’une quelconque participation à son travail. 
Contenu du mail de signalement reçu par l’université Paris-Saclay et l’Ecole polytechnique. En haut, le chapitre 13 de la thèse d’Idriss Aberkane. En bas, la documentation CEF 15. Les parties bleues sont identiques. Les parties en vert sont originales. La partie en rouge correspond à un autre copié-collé issu de la documentation du logiciel Shiva 3D.
L’Express
L’enquête a été confiée au comité d’éthique de l’Ecole polytechnique, présidé par Benoît Deveaud, qui précise : “Le processus prend du temps, car nous sommes dans une situation juridique ­complexe. Le dossier est en principe du ressort de l’école ­doctorale de l’université Paris-Saclay, mais à cette époque l’élève était employé à Polytechnique, qui n’avait pas encore d’école doctorale.” Il faut, ensuite, déterminer avec certitude si le ­plagiat est avéré et quelle sanction ­prononcer. “Elles sont toutes sur la table, en fonction de la gravité des faits : de la demande d’amendement à l’annulation de la thèse et du doctorat”, confirme Benoît Deveaud. Les deux institutions préfèrent prendre leur temps pour ne prêter le flanc à aucune critique, ni à aucun éventuel procès. “Nous connaissons bien l’individu et nous redoutons qu’il attaque chaque virgule de l’éventuelle décision”, nous confie une source proche du dossier. Selon nos informations, le dossier Aberkane navigue actuellement entre Polytechnique et Paris-Saclay. Le verdict final ne sera pas rendu avant plusieurs mois. 
Au premier rang, les plus grands sont assis en tailleur, tandis que les autres se serrent pour ne laisser aucune tête en dehors du cadre. En arrière-plan, la façade crayeuse de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm (Paris). Une photo de classe presque banale. A regarder le cliché de plus près, un jeune homme aux cheveux bruns contraste quelque peu parmi la soixantaine d’élèves au look décontracté. Avec son costume couleur crème à larges épaules et sa posture droitière, il semble sorti d’un autre temps. Nous sommes en 2005. Après un Deug de Biologie mention très bien à l’Université Paris-Sud d’Orsay, Idriss Aberkane vient d’être admis sur dossier au magistère de l’ENS, département de biologie. La sélection se faisant sur dossier et entretien de motivation, et non sur concours, les “magistériens” ne peuvent se prévaloir du titre de “normalien”. Mais ils ont accès aux mêmes cours. Idriss Aberkane détonne rapidement en se tenant à l’écart de l’effervescence de la vie estudiantine. Certains l’estampillent rapidement “crâneur”, d’autres lui accordent le bénéfice du doute : peut-être est-ce un timide, de ceux dont on dirait qu’ils n’ont pas les codes… Lorsqu’il veut bien engager la conversation, le garçon n’est pas désagréable. “Même plutôt sympathique”, assure Rémi Proville, l’un de ses anciens camarades, devenu consultant scientifique.  
Mais ses obsessions sont ailleurs. Idriss Aberkane fait part, non sans pavoiser, de ses rêves de collaboration avec des professeurs de renommée internationale. “Il avait déjà bien compris l’importance de cultiver son réseau professionnel”, juge son ancien camarade. Dès le début, son ambition marque ses professeurs. Ils remarquent aussi son “énergie”, que certains qualifient de “presque boulimique”, “désordonnée”, et parfois de “prometteuse”. Un jour, il fait irruption dans le bureau de l’un d’eux pour détailler un “projet rocambolesque” auquel il souhaite l’associer. “Je me suis dit que ce garçon un peu fou se donnerait les moyens d’obtenir ce qu’il voulait. J’attendais seulement de voir quelle direction il donnerait à sa folie”, explique l’enseignant, qui a souhaité conserver l’anonymat.  
Au fil des mois, l’étonnement fait place à la circonspection. Les premières craintes se confirment. En cours, ses interventions à répétition font l’effet de démonstrations de rhétorique et d’arrogance visant à établir un rapport de force avec son interlocuteur plus que d’interrogations sincères. Un autre professeur a un avis plus tranché : “Idriss aurait pu facilement percer dans le domaine des sciences, mais il ne s’est jamais astreint à la rigueur nécessaire de la recherche. Il était vraiment doué pour bluffer, avec une assurance hors du commun, en lançant des grandes phrases faites de mots compliqués. C’était déjà le maître de la poudre aux yeux.” Mariano Casado, un autre de ses enseignants, se souvient d’un exercice qu’il avait soumis à ses élèves. La consigne : analyser un article de recherche scientifique et argumenter de façon critique sur les forces et faiblesses du travail. “Aberkane ne cherchait pas à comprendre comment l’expérience avait été réalisée, il voulait juste nous expliquer qu’elle était révolutionnaire tout en faisant abstraction de tout élément factuel. Cela n’avait rien de scientifique, c’était presque de la vente de produit.” Révélateur d’une fibre plus commerçante que scientifique.  
Son CV universitaire ne cesse d’ailleurs de mélanger les genres. “Son parcours se résume à du ‘touch and go’. A peine arrivé dans un programme ou dans une école, il en changeait, analyse Mariano Casado. Ce qui permettait d’ajouter à peu de frais une ligne sur son CV. Le problème est que les non-scientifiques ne voient pas forcément la différence entre un stage d’observation de deux semaines dans un laboratoire et un chercheur associé à ce même laboratoire qui y travaille plusieurs années pour faire avancer un projet. Aberkane prend bien soin de ne pas faire la différence quand il présente son parcours.” Si la plupart des expériences mentionnées ont bel et bien eu lieu, elles sont effectivement augmentées, voire exagérées. Illustration : un stage effectué à l’université de Cambridge en 2006 devient une invitation “comme assistant de recherche rémunéré au département de psychologie expérimentale de l’université de Cambridge”. En ce qui concerne l’Ecole polytechnique dont il se réclame, cette dernière a tenu à faire cette précision en 2018 : “Idriss Aberkane n’a jamais été chercheur à l’X. Il a obtenu un diplôme de docteur en science de gestion de l’université Paris-Saclay auprès d’un professeur de l’X. Nous n’accordons aucune caution scientifique à ses conférences.” 
C’est avec ce CV surgonflé, bourré d’anglicismes, que sa carrière va décoller grâce à son premier livre, Libérez votre cerveau (Robert Laffont), véritable succès d’édition, publié en 2016. Aberkane enchaîne alors les plateaux de télévision – C à vous, France 5, France 2, France Info, etc. -, dont il devient rapidement un chouchou. Il brille par son aisance, prend goût à l’exercice jusqu’à le professionnaliser : sa petite société, Scanderia, propose ainsi des formations pour “apprendre à penser de manière autonome” et développer “un sens critique” moyennant finance. Le choix des thèmes est éclectique : de Gunter Pauli sur l’économie bleue à la réalisatrice Lisa Azuelos sur le pouvoir de la narration, en passant par l’avocat covido-sceptique Fabrice Di Vizio. Mais la tête d’affiche de l’entreprise s’appelle Idriss Aberkane. Le businessman a fait sa mue. 
“Ce n’est pas ma faute si vous ne savez pas faire une recherche. Alors vous allez sur Google Scholar […]. Je viens de taper “Idriss Aberkane”, et j’ai trouvé trois pages de résultats. Ecoutez, vous allez faire vos devoirs pour une fois.” Installé dans son fauteuil, l‘hyperdoctor n’a retenu ni son mépris ni sa condescendance lorsque L’Express l’interrogeait, en juillet dernier, sur ses publications en neurosciences, dans le cadre d’un dossier consacré au développement personnel. Aujourd’hui pas plus qu’hier, il reste impossible de trouver la moindre trace d’une étude publiée par Idriss Aberkane dans ce domaine, sur aucun des moteurs de recherche dédiés. Mais il a une parade : il travaillerait pour l’industrie et l’armée et serait tenu à la confidentialité et au secret-défense. Un peu court. D’abord parce qu’aucun neuroscientifique interrogé par L’Express n’a entendu parler d’une quelconque contribution de sa part. “Idriss Aberkane n’est pas reconnu comme membre de la communauté des chercheurs en neurosciences car il n’a pas d’activité de recherche : il ne publie pas dans les revues et ne présente pas ses résultats dans les conférences scientifiques, confirme la Société des neurosciences française. Même les neuroscientifiques qui travaillent pour l’armée ou des entreprises publient régulièrement au moins certains de leurs travaux et se rendent à des conférences.” Ensuite parce que son livre Libérez votre cerveau, censé être sa référence en la matière, comporte de grossières erreurs qu’un spécialiste aurait évitées. Enfin, parce que la dernière fois qu’Idriss Aberkane a invoqué le secret industriel, c’était pour protéger sa thèse, actuellement sous enquête pour soupçons de plagiat. L’Express a tout de même sollicité l’état-major des armées françaises, dont la réponse ne laisse plus de place au doute : “Après vérifications auprès des différents services (Service de Santé des armées/Direction Générale de l’Armement/Agence Innovation Défense), nous vous confirmons que Monsieur Aberkane n’a pas travaillé avec ces services que ce soit sur des projets scientifiques dans le domaine des neurosciences ou sur des projets de formations.”  
Certes, il est exact que son nom apparaît à de multiples reprises dans le moteur de recherche Google Scholar. Mais la grande majorité des résultats concerne des références à ses livres, des textes de réflexion philosophique et quelques ­résumés de conférences. Idriss Aberkane a, néanmoins, publié quatre études en mathématiques. La première, “The Surreal Eulogy”, parue dans la revue The Mathematical Intelligencer, ne comporte aucun calcul : il s’agit d’un poème qui n’apporte rien sur le plan scientifique. Les trois autres concernent la conjecture de Syracuse (ou de Collatz), un problème mathématique sur lequel les plus grands cerveaux de la planète butent encore. Intitulées” “An Algorithm for Linearizing the Collatz Convergence“, “Collatz Attractors Are Space-Filling” et “Rotating Binaries“, elles ont été publiées dans les revues Mathematics et AppliedMath, de l’éditeur MDPI. Idriss Aberkane a également diffusé sur Internet de nombreux documents qui n’ont jamais été publiés dans des revues, dont le définitif “Syracuse est résolu”. 
L’Express a donc envoyé ces travaux à cinq mathématiciens de renom. Tous nous ont d’abord signifié leur lassitude d’être sollicités pour lire des documents qu’ils considèrent “fantaisistes”. D’abord, MDPI jouit d’une réputation exécrable. Un rapport du Cirad épingle les pratiques douteuses de l’éditeur et détaille comment il publie massivement des études sans souci de qualité. “Ce sont typiquement des revues “prédatrices”, et les chercheurs doivent payer pour y paraître [NDLR : entre 500 et 2 000 euros par étude]”, confirme Martin Andler, professeur émérite à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. La qualité des comités de rédaction des deux revues de MDPI interroge aussi, puisque leurs membres ont très peu, voire aucune publication en mathématique à leur actif. Ensuite, Idriss Aberkane n’apparaît ni dans MathSciNet, ni dans ZBMath, les deux bases de données qui référencent les travaux d’intérêt en mathématiques.  
Mais un inconnu des sphères de mathématiques ne pourrait-il pas, pour autant, résoudre un important problème ? Le phénomène est rare, mais pas impossible. En 2013, Zhang Yitang, un mathématicien de 50 ans, soumettait un article à Annals of Mathematics – la plus prestigieuse revue en maths – censé révolutionner l’approche du problème des nombres premiers jumeaux. A l’époque, il n’avait que deux publications à son actif et joignait les deux bouts comme vendeur de sandwich chez Subway. “Tout était en place pour que l’article soit rejeté sans même être lu. Eh bien non : il a été accepté en trois semaines et a créé un immense intérêt, se remémore Martin Andler. Tout ça pour dire qu’un résultat spectaculaire peut être reconnu par l’establishment.” Pour preuve : Terry Tao – un mathématicien australien de génie à l’origine d’une importante avancée dans la conjecture de Syracuse en 2022 – avait immédiatement reconnu l’importance de la méthode de Zhang Yitang. “Donc si Tao avait estimé que les articles d’Aberkane méritaient qu’on y prête attention, il est certain qu’il l’aurait dit”, certifie le professeur émérite.  
Enfin, Idriss Aberkane aurait dû présenter ses travaux devant ses pairs afin de les convaincre du bien-fondé de ses calculs, comme le font tous les mathématiciens de la planète. “C’est très facile de le faire, car il n’y a pas d’ostracisme en France, souligne Fabien Durand, enseignant-chercheur à l’université de Picardie Jules-Verne et président de la Société mathématique de France (SMF). Mais il ne s’est jamais présenté dans les séminaires qui ont lieu chaque semaine.” Une description aux antipodes des déclarations d’Aberkane, qui a préféré annoncer sa découverte sur YouTube. “Je ne peux pas être plus clair, plus frontal, je revendique avoir trouvé la solution au problème de Syracuse et d’être la première personne de l’Histoire à avoir porté une solution à ce problème”, déclare-t-il. 

Anne-Gaëlle Amiot/Illustrissimo
Aux yeux des spécialistes, tous ces arguments suffisent à disqualifier ses travaux sans même les lire. Mais L’Express leur a tout de même demandé d’analyser plus en détail les études. Jean-Paul Allouche, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de Syracuse, s’y est refusé : “Qu’une personne ait pu démontrer la conjecture de Syracuse en 15 ou 30 pages est au mieux risible, lance-t-il. Imaginez quelqu’un se présentant comme biologiste publie, dans une revue considérée comme peu fiable par les experts, une étude où il déclare avoir trouvé un moyen de guérir le cancer auquel personne n’a pensé : une décoction de peaux de banane et des feuilles de lierre. Irais-je demander à des chercheurs professionnels si ce remède doit être pris au sérieux ?” Fabien Durand, lui, a accepté. Il a constaté de nombreuses erreurs sur le fond et la forme. “Dans “Syracuse est résolu”, la plupart de ses preuves sont d’un niveau de première année de licence, voire de lycée”, explique-t-il. Son confrère Nicolas Gauvrit, chercheur en sciences cognitives à l’Ecole pratique des hautes études à Paris, critique lui aussi l’étude en pointant l’absence de théorème final. “A la place, il y a un texte informel expliquant pourquoi il l’a résolue. Mais si un mathématicien veut prouver une démonstration, il présente un théorème, pas un discours.” 
Mais c’est sans doute Jean-Paul Allouche qui résume le mieux le problème. “Les vrais grands mathématiciens sont modestes, ils ne clament pas partout qu’ils ont démontré ceci ou cela, et encore moins que personne ne veut reconnaître leur travail. Ils tentent de publier leurs résultats, qui, s’ils sont corrects et ont un intérêt, feront leur chemin tranquillement parmi les experts, non par des coups médiatiques. La “vérité” – qui est comme dans tous les domaines scientifiques sérieux le large consensus -, finit par s’imposer, non par coup de force, mais en étant reconnue. Et les charlatans, fussent-ils des professionnels, sont percés à jour.” 
Le culte qu’Idriss Aberkane voue à Elon Musk est un secret de Polichinelle. Dans ses conférences, les hommages à “l’entrepreneur de talent” sont récurrents. Au point de lui consacrer, en mai dernier, une vidéo sobrement intitulée Il faut sauver le soldat Elon Musk. Plus que le personnage, c’est toute la philosophie de la Silicon Valley qu’Idriss Aberkane semble tenir pour référence. “Pour faire éclore une Silicon Valley, il faut des idéalistes monomaniaques qui pensent pouvoir changer le monde depuis leur garage, même – et surtout – quand le monde les traite de fous”, assurait-il dans une chronique du Point en 2014 intitulée “Pour une Silicon Valley à la française“. Une esquisse d’autoportrait et l’ambition assumée d’intégrer à son tour l’Olympe de la start-up nation. Mais, au lieu d’un garage, il installe des bureaux clinquants en banlieue de Neuchâtel (Suisse). Nous sommes en 2018, le jeune homme vient de lancer General Bionics, qu’il décrit comme le futur “McKinsey du biomimétisme”. La promesse : “Extraire les connaissances de la nature pour résoudre et optimiser tout problème d’entreprise, industriel ou financier.” Dans une vidéo de présentation baroque publiée en 2018, le chef d’entreprise dévoile à coups d’acronymes et d’anglicismes des appareils dernier cri, seuls à peupler pour l’heure les locaux encore vides. Alors que la caméra le suit à la trace, il pousse la porte d’un premier laboratoire dédié “au CRISPR” [NDLR : une technique d’édition du génome]. Puis montre une machine “high performance liquid chromatography”, et évoque “le dessalement bio-inspiré”, l’un des projets de General Bionics. Le tout enrobé d’une musique christique. Voilà pour changer le monde.  
Trois ans plus tard, la société a été mise en faillite (août 2021). Pourtant, Idriss Aberkane en revendique toujours la présidence sur son site Web. Selon le ministère public du canton de Neuchâtel, ce dernier fait l’objet d’une enquête pour des soupçons de gestion déloyale, et plus précisément d’utilisation d'”une partie de l’actif social de la société pour le paiement d’impôts dont il était débiteur à titre personnel”. 
Printemps 2019. La tension est palpable dans les bureaux de General Bionics. Idriss Aberkane doit arriver d’une minute à l’autre pour constater l’avancée d’un important projet de jeu vidéo “neuroergonomique” qui doit être soumis à un potentiel acheteur d’ici une quinzaine de jours. Lui a les idées, charge à ses deux associés ainsi qu’aux développeurs et autres UX designers de les concrétiser. Alfred*, qui participe à l’élaboration du projet, déchante rapidement : “Ça ne va pas du tout… Il faut tout changer”, lui lance le boss, qui veut passer d’un jeu en 2D à de la 3D, ce qui suppose une refonte complète. Alfred contient sa crispation : impossible de tenir les délais. L’inquiétude est d’autant plus forte qu’il se murmure entre employés que la société ne peut se permettre d’échouer : la trésorerie serait déjà au plus bas. “Nous devions produire un jeu fait maison. Mais, face à l’urgence, Idriss a donné le feu vert pour que l’on récupère des visuels sur des boutiques en ligne. Le projet n’avait plus rien d’original et allait devenir une coquille vide”, avoue-t-il. Finalement, trois salariés sont licenciés. Le motif invoqué : “divergences de points de vue sur le projet”. 
Jusqu’ici, il pourrait s’agir des aléas de la vie entrepreneuriale. Mais deux personnes ont déposé une plainte en 2019, estimant avoir été victimes d’escroquerie ou d’abus de confiance de la part d’Aberkane à propos de “prêts à hauteur de plusieurs centaines de milliers de francs”, indique le ministère public neuchâtelois. Si la plainte a été classée faute d’éléments constitutifs d’une escroquerie ou d’un abus de confiance, la justice suisse souligne toutefois que “l’autorité de deuxième instance [NDLR : l’équivalent de la cour d’appel française], saisie d’un recours, a depuis estimé qu’une gestion déloyale était envisageable”. Raison pour laquelle l’enquête a été rouverte et se trouve toujours en cours d’instruction.  
Idriss Aberkane n’en est pas à sa première déconvenue financière. En 2018, il lançait un projet d’interface de navigation Internet révolutionnaire intitulée Chréage. Les prémices d’un métavers avant l’heure. Ce dernier devait être soutenu à hauteur de 144 000 dollars par de généreux donateurs via un financement participatif. Pendant plusieurs mois, Idriss Aberkane en fait la promotion. Puis, brusquement, plus rien. Le site Internet recevant les dons n’a récolté que 28 000 dollars, avant de disparaître discrètement. Sur les réseaux sociaux, on interpelle Aberkane : où est passé l’argent ? Certains donateurs assurent ne pas avoir été remboursés, malgré l’abandon du projet. Idriss Aberkane clame son innocence sur Twitter, et affirme qu’il finançait Chréage grâce à “ses fonds perso”.  
Le site de financement participatif pour le projet Chréage, https://campaign.chreage.com, n’existe plus. Il en existe néanmoins une sauvegarde sur le site WayBackMachine.
L’Express/WayBackMachine
General Bionics en faillite, Chréage enterré… Reste son autre entreprise suisse, la fondation Bioniria, qui promeut “le développement durable et la bio-inspiration à l’échelle internationale”. Outre une expédition en Amérique latine “ralentie par le Covid-19”, les actions décrites dans le dernier rapport d’activité disponible (2018-2020) se concentrent au Sénégal. Parmi celles-ci, l’implantation de cultures de moringa, le “soutien aux populations peules” [NDLR : un peuple dispersé sur le territoire du Sahel], la lutte contre la désertification et l’alphabétisation. Alioune Thiaw, proche collaborateur sénégalais d’Idriss Aberkane, prend sa défense. Il assure que ce dernier “a fait construire deux puits à Bardial [NDLR : un village sénégalais] l’année passée” et “financé nos campagnes d’alphabétisation, les instituteurs pour les enfants et les femmes pendant plus de six ans”. Pourtant, l’activité de la fondation Bioniria semble au point mort, l’enquête du ministère public neuchâtelois ayant effectivement conduit au gel des comptes de toutes les entreprises suisses d’Idriss Aberkane. 
Dans un effet de manche dont il est coutumier, l’hyperdoctor a tenté de retourner cette déconvenue juridique à son avantage. Il publiait ainsi en septembre 2020, sur sa chaîne YouTube, une vidéo intitulée La Suisse déclare la guerre aux Peuls ?! Il y expliquait en introduction avoir été nommé “Haut Représentant” par d’éminents représentants du peuple peul pour demander à la Confédération helvétique “les réparations qui leur sont dues”. Et se disait “résolu à aller jusqu’au bout, quels que soient les obstacles – en particulier médiatiques – que les pouvoirs de la Confédération mettront sur [s]on chemin pour détourner l’attention publique de leurs responsabilités indiscutables”. La vidéo aurait pu tout aussi bien s’intituler “Il faut sauver le soldat Aberkane”. 
* Le prénom a été modifié. 
La vidéo La Suisse déclare la guerre aux Peuls ?! est une parfaite illustration de la technique de contre-attaque d’Idriss Aberkane. D’abord détourner l’attention par un syllogisme enfantin : en “séquestrant” les comptes de ses sociétés, c’est la justice qui s’en prend au peuple peul. Ensuite, désigner les coupables, soit la procureure en charge de l’affaire, Sarah Weingart et un journaliste suisse qui enquête sur l’affaire, qu’Aberkane qualifie “d’assassin médiatique”, mais aussi l’ensemble de la “Confédération helvétique” qui “viole sa neutralité au nom d’une poignée de corrompus”. Enfin, essayer de retourner la situation en sa faveur : la Suisse aurait “sciemment agi” contre les Peuls “pour détruire leurs récoltes, leurs moyens d’irrigation et leurs moyens d’éducation”, mais Idriss Aberkane, “nommé Haut Représentant”, est là pour les défendre. 
Cette méthode n’est pas nouvelle et l’hyperdoctor a eu le temps de la peaufiner, à mesure que les critiques à son égard s’accumulent. La crise du Covid en est une illustration. Dès 2020, il ne manque pas l’occasion de défendre farouchement Didier Raoult, l’ex-directeur de l’IHU de Marseille décrié par la communauté scientifique, ainsi que l’hydroxychloroquine, le prétendu remède anti-Covid-19 qui n’a jamais fait les preuves de son efficacité. Une alliance qui le pousse toujours plus loin dans la défiance envers les autorités. Le 16 décembre 2021, il remet par exemple en cause le témoignage télévisé d’Abdelkrim Azzaoui, alias “Karim”, un agent municipal de Seine-Saint-Denis âgé de 48 ans qui avait développé une forme grave du Covid-19. Non vacciné et regrettant son choix, ce dernier conseillait l’injection à “tout le monde”, avant d’alerter sur les dangers de la “théorie du complot” selon laquelle le vaccin serait inefficace. Aberkane suggère alors qu’il s’agit d’un faux témoignage et que Karim est un acteur. Sauf que Karim est décédé du Covid-19 le 20 décembre. “Il va bien entendu de soi que toutes mes condoléances et, si nécessaire, toutes formes d’excuses de ma part accompagnent la famille d’Abdelkrim A”, tweete finalement Aberkane… Avant de relayer quelques minutes plus tard un témoignage d’un virologue selon lequel le vaccin serait “une escroquerie”. Il partage aussi à foison les tweets et déclarations des personnalités les plus antivax et controversées : de l’avocat Fabrice Di Vizio au collectif Verity France sans oublier France Soir, le blog le plus influent de la complosphère française. “C’était un bon vulgarisateur, intelligent. Je garde l’image d’un chic type sincère dans sa démarche. Mais je dois admettre que depuis son virage complotiste, je ne le reconnais pas”, nous confie un journaliste qui l’a connu au faîte de sa gloire médiatique. 
En attendant, la communication d’Idriss Aberkane se fait plus virulente. Il n’hésite plus à diriger ses hordes de fans contre ses détracteurs. Fin juillet dernier, dans le cadre d’un dossier sur le développement personnel, L’Express l’avait interrogé sur ses formations prétendument basées sur les neurosciences, ce que les spécialistes réfutent. Il avait enregistré l’interview et l’avait diffusée à notre insu sur France Soir, non sans en avoir fait la publicité des jours durant auprès de ses fans. Sans surprise, ses invectives et réponses méprisantes ont fait la joie des réseaux complotistes. Sans surprise non plus, des milliers de messages haineux se sont déversés sur les réseaux sociaux et se sont démultipliés quand Didier Raoult (dont les défaillances à la tête de l’IHU ont été détaillées dans plusieurs enquêtes de L’Express) a relayé la vidéo à son million d’abonnés. Outre les innombrables insultes, des messages reproduits à l’identique par des comptes anonymes, mais aussi la promesse d’un “procès de Nuremberg 2.0”, ou d’une “bonne rafale dans la gueule” pour les journalistes de L’Express. 
Captures d’écran de messages copiés-collés adressés à L’Express.
L’Express
Le 30 août dernier, Idriss Aberkane surfait même sur l’un des complots les plus risibles : celui selon lequel l’homme n’aurait pas marché sur la Lune. Le soir même, Thomas Pesquet, alors invité au journal télévisé de France 2, évoquait la difficulté de la mission Artémis qui vise à déposer à nouveau des hommes sur notre petit satellite. Sur Twitter, Aberkane tronque ses ­propos et écrit “Je suis consterné, mais la vidéo de Thomas Pesquet qui se demande en parlant de la Lune “est-ce que c’est humainement possible d’aller là-bas ?” n’était PAS un fake, il a bien dit ça”. De quoi provoquer la colère de ­l’astronaute français : “Il n’y a rien de plus facile pour un type que d’arriver, planqué derrière son clavier, et de raconter des trucs parce que ça l’arrange que vous l’écoutiez. Ça ne demande pas vraiment d’effort […]. Ils critiquent les vrais scientifiques, mais ils se bardent de diplômes (souvent faux) pour vous impressionner”, répond-il sur le réseau social. Idriss Aberkane finit par reconnaître que l’homme a bien marché sur la Lune en 1969. Mais pour lui, l’essentiel est ailleurs : il a réussi à faire parler de lui et a laissé entendre “qu’on” nous mentirait. “C’est un demi-expert dans tous les domaines, c’est-à-dire expert dans aucun. Chez lui, tout n’est qu’approximations, erreurs et généralisations abusives”, dénonce Pascal Wagner-Egger, enseignant-chercheur en psychologie sociale et en ­statistique à l’université de Fribourg. Avant de conclure, cinglant : “Il se prend pour un génie, et son talent oratoire, le seul qu’on peut lui reconnaître, arrive à enfumer les non-spécialistes.” Pour combien de temps encore ? 
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