Selon une nouvelle étude, le bitcoin serait comparable à la production de viande pour son coût environnemental.
afp.com/JACK GUEZ
Merci pour votre inscription
En matière d’environnement, le bitcoin a rarement bonne presse. De plus en plus de travaux de recherche dénoncent son coût sociétal élevé, en raison des activités de minage, un procédé énergivore de validation des transactions passant par le calcul informatique. Cette semaine, une étude publiée dans la revue Scientific Reports pointe à nouveau les effets néfastes liés au développement de la plus célèbre des cryptomonnaies. Selon elle, le minage de bitcoins s’apparenterait à la production de viande, que l’on sait responsable d’une partie non négligeable des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Pour L’Express, Sébastien Gouspillou, PDG de BigBlock Datacenter, revient sur les erreurs commises par ce genre d’étude d’impact et insiste, au contraire, sur le basculement des mineurs vers l’énergie verte, pour des raisons économiques.
L’Express : Selon l’étude publiée dans Scientific Reports, chaque bitcoin produit en 2021 a généré un coût social de 11 314 dollars (et un total de 12 milliards de dollars depuis 2016). Pour un dollar de bitcoin créé, les dommages s’élèveraient à 35 centimes. Un ratio comparable à celui de la production de viande bovine (33%). Voilà qui ne va pas arranger l’image de cette cryptomonnaie.
S.G. : Ce n’est hélas pas une surprise. Les travaux publiés il y a quelques années par l’université de Cambridge sur la consommation énergétique du bitcoin continuent de servir de référence. Or ils comportent forcément des erreurs car on ne peut pas savoir avec précision où se trouvent les machines de minage. Pour pouvoir les géolocaliser, il faut récupérer leurs adresses IP. Mais celles que les chercheurs récupèrent pour effectuer leurs calculs sont déclaratives : les mineurs indiquent ces renseignements à des “pools” qui ensuite les transmettent à des instituts comme l’Université de Cambridge. Par ailleurs, les adresses IP collectées ne correspondent pas forcément aux endroits dans lesquels les machines opèrent. Dans certaines zones comme l’Amérique du Nord, les données sont sans doute plus fiables que dans d’autres pays où les mineurs sont en délicatesse avec les gouvernements en place. A l’heure actuelle, aucune étude n’est capable de déterminer si le “mining” se fait sur du charbon ou de l’énergie verte, même si d’après ce que j’observe sur le terrain, cette deuxième option est sans doute en train de l’emporter.
Votre société de minage a-t-elle déjà effectué sa transition vers l’énergie verte ?
Oui. Et c’est d’ailleurs une nécessité économique, vu la montée du prix des hydrocarbures. Les mineurs qui persistent à vouloir utiliser ce type d’énergie mettront à coup sûr la clé sous la porte. Certains acteurs se retrouvent déjà contraints de vendre leurs machines, ne parvenant plus à maîtriser les coûts. Chez BigBlock Datacenter, l’essentiel de notre production se situe aujourd’hui au Congo. Rien ne nous prédestinait à nous installer là-bas. Mais nos intérêts se sont trouvés alignés avec ceux du pays. Pour mettre la pédale douce sur la déforestation et tenter de protéger les derniers gorilles des montagnes présents dans la région, l’alliance Virunga, dirigée par le prince Emmanuel de Merode, a décidé il y a quelques années de construire plusieurs centrales hydroélectriques. Or en raison du Covid et des violences dans la région, les projets d’électrification ont été sérieusement contrariés. Une centrale neuve allait être mise en service avec très peu de clients. Nous y avons donc branché l’un de nos containers avec, à l’intérieur, des machines de minage. Au départ, nous ne prélevions qu’une petite partie de la capacité de production. Désormais nous en sommes à 30% environ. Cet exemple montre combien le minage peut être utile sans avoir d’impact notable sur l’environnement.
Certains pourraient vous reprocher d’utiliser de l’énergie pouvant être utile à des projets plus proches des citoyens.
Au contraire, nous utilisons de l’électricité à faible coût qui ne sert à personne. Si la demande monte sur le réseau, nous sommes prêts à nous débrancher et cela sans compensation financière pour aller chercher une autre source d’énergie. Cela fait partie du contrat. En fait, les opérations de minage permettent non seulement d’apporter de l’argent mais aussi de participer à l’équilibre du réseau. Et ce modèle est en train de s’imposer. Au Texas (États-Unis), le minage sert vraiment de batterie économique pour les producteurs d’électricité. Dès qu’il y a une forte demande, ils se débranchent du réseau et sont même indemnisés pour cela !
Cependant, les mineurs américains utilisent beaucoup le gaz. Ils n’ont donc pas encore fait leur révolution verte…
C’est vrai. Mais il suffirait de mettre en place une réglementation pour qu’ils changent leurs habitudes. Au lieu d’envisager d’interdire cette activité professionnelle, ce qui est juste totalement arbitraire, on pourrait décider que le minage ne peut plus reposer sur l’extraction du charbon, du gaz ou du pétrole. Cela ne nuirait en rien à la sécurité du réseau Bitcoin. En fait, celui-ci est sans doute le seul secteur de taille mondiale que l’on peut contraindre à abandonner complètement les hydrocarbures sans que cela n’ait un impact sur son fonctionnement. On ne peut pas en dire autant des banques par exemple.
Malgré tout, le système énergivore du “proof of work” (PoW) sur lequel repose le minage a-t-il encore sa place face à d’autres solutions comme le “proof of stake” (PoS) mis en place récemment par le réseau Ethereum ?
On ne peut pas stopper le mining au niveau mondial. D’ailleurs, l’envisager est une erreur car le rapport bénéfices/risques du système bitcoin est largement positif. On voit bien que le minage apporte de l’argent et contribue à l’équilibre des réseaux électriques dans des pays qui en ont besoin. Rappelons aussi que le système bitcoin doit permettre l’inclusion financière des 1,7 milliard d’adultes non bancarisés par manque de ressource ou pour des questions d’état civil. Enfin, dans un monde où tant de devises décrochent, le bitcoin comme étalon monétaire est une hypothèse de plus en plus crédible. Bitcoin a permis Ethereum, qui ensuite a développé la finance décentralisée et celle-ci réclame la PoS. Mais ce passage n’est pas pertinent pour Bitcoin. Tout comme l’or est lourd de ses atomes, les jetons bitcoin sont lourds de l’électricité qui les a minés.
Les services de L’Express
Nos partenaires
© L’Express