Après avoir suivi les Cours Florent, Jean-Pierre Darroussin joue au théâtre dès 1976 et enchaîne les spectacles de Jean-Louis Martin Baraze : “Les faux bonshommes”, “L’avare”… En sortant du Conservatoire national de Paris, où il fait la rencontre déterminante d’Ariane Ascaride et de son époux, Robert Guédiguian, avec lequel il tourne une dizaine de films, il crée la troupe Le Chapeau rouge avec Catherine Frot, Alain Gautré, Pierre Pradinas avec qui la pièce “ Les Amis de monsieur Gazon“, est produite et présentée à la Cartoucherie de Vincennes en 1982. Il gardera toujours son appétence pour le jeu de troupes et se décrit lui-même comme un pilier de troupe. Il aime travailler avec ses complices, tels que le couple Ascaride/Guédiguian, puis le couple Jaoui/Bacri, ou encore le quatuor qu’il forme avec Gérard Darmon, Marc Lavoine et Bernard Campan.
En 1980, Darroussin joue dans trois comédies signées Pascal Thomas, Georges Laumer et Philippe de Broca. Par deux fois, la Comédie-Française le sollicite, mais il refuse : le goût de la liberté. En 1984, après quelques longs métrages, il fait son entrée dans le cinéma grâce à Bertrand Blier dans le film Notre histoire où il campe un second rôle. À 30 ans, il quitte tout pour suivre une formation d’instituteur dans le Lot. Le film Mes meilleurs copains (1989) le ramène finalement au métier. Sa carrière est lancée, il joue sous la direction de Guédiguian, Poiré, Klapisch, Resnais, Nicloux, et le couple Jaoui-Bacri. Dès lors, les spectacles et les films se succèdent dans une montée régulière jusqu’à une explosion, au moment des années 1990 qui le voient enchaîner Un air de famille (1995) qui deviendra un film réalisé par Cédric Klapisch, et qui lui vaudra le César du meilleur second rôle masculin en 1997, Marius et Jeannette, Ça ira mieux demain, Le Goût des autres. En tout plus de 50 films, y compris un James Bond On ne meurt que deux fois. Dans les années 2000, il tourne avec Marc Esposito, Le Coeur des Hommes puis enchaîne un second opus quelques années plus tard. En 2006, il expérimente la réalisation en passant derrière la caméra pour Le Pressentiment.
Cet amoureux des planches – autrefois dirigé par le couple Jaoui-Bacri dans Cuisine et dépendances (1991) et Un air de famille (1994), ou ayant déjà interprété trois pièces de Tchekhov (“La Mouette*”* (1986), “Le Génie de la Forêt” (2005-6) mis en scène par Roger Planchon, son mentor, et “Une Banale histoire” (2001), est en ce moment sur scène aux côtés de Laura Smet, dans la pièce “Le Principe d’Incertitude” mis en scène par Louis-Lo de Lencquesaing. Cette semaine, il sera également à l’affiche du film “L’école est à nous” réalisé par Alexandre Castagnetti.
“À l’école primaire, il y avait une institutrice qui avait voulu me faire monter des extraits du “Malade imaginaire”. Je jouais Argan, alors je ne peux pas dire que j’ai senti tout de suite une vocation. Mais après, dès qu’il y avait du théâtre quelque part, j’essayais de m’intégrer à ça. Avec des camarades, on avait retapé une ancienne salle des fêtes à Courbevoie et on avait monté un spectacle. Ça avait eu du succès. Le centre de loisirs de la ville nous avait aidé et accompagné. On a fait une tournée en Bretagne dans un vieux bus à Plateforme. Donc il y avait une aventure de saltimbanques qui commençait quand même. C’était assez fort. Un peu plus tard, je m’étais mis en tête de faire la mise en scène des “Femmes savantes”. Donc je tournais un peu autour de ça. Et puis, comme ce n’était pas non plus quelque chose qui était ancré dans la famille, de faire un métier artistique, j’ai d’abord commencé par travailler avec des artisans, avec mon père. Et puis quand venait le soir, et j’allais voir des copains qui faisaient du théâtre, et je me suis retrouvé entraîné pour aller au cours Florent. Ça a commencé, ça a accroché. C’est mon père qui m’a déclenché puisqu’après m’avoir vu jouer au lycée ou dans d’autres expériences, il m’avait dit “Mais tu devrais essayer de faire ça. Quand tu es sur une scène, on a l’impression que tu es chez toi.” “ Jean-Pierre Darroussin
“Jouer de la comédie, c’est rajouter des couches tout le temps. C’est ne pas se contenter de la situation du texte. […] Quand on a accumulé des couches, une forme de dépôt s’est créée en soi et constitue une espèce de terreau qui grossit avec le temps. Plus on vieillit, plus cette besace s’alourdit […] et c’est ça qui vibre avec l’autre acteur en face.” Jean-Pierre Darroussin
“La troupe Le Chapeau rouge s’est arrêtée et ça m’a arrêté aussi puisque je concevais mon métier à travers une troupe, à travers des créations collectives, à travers le groupe, le fait d’être ensemble, de chercher et de faire des expériences. C’était ça qui m’intéressait. Et donc s’est posée la question de savoir si j’allais continuer à faire ce métier. J’ai voulu faire d’autres expériences, me frotter à moi. Ce retrait m’a permis de passer tout un temps à lire, à me compléter dans une culture que je n’avais pas totalement eu le temps d’avoir parce que j’étais un enfant et un adolescent assez rêveur, pas très discipliné, et beaucoup de choses m’avait échappé. Je pense qu’un acteur a vraiment besoin d’être quelqu’un qui a des réflexions, de s’imprégner de la peinture, s’imprégner de la musique, s’imprégner de la littérature, s’imprégner de l’histoire, s’imprégner d’énormément de choses pour arriver à se forger une épaisseur et un point de vue sur les personnages qu’on connaît, qu’on est amené à accoucher à l’intérieur de soi-même.” Jean-Pierre Darroussin
L’amusement le fait revenir au cinéma : “J’ai été contacté pour faire “Mes meilleurs copains”, le film de Jean-Marie Poiré. Puis je me suis retrouvé embringué dans cette histoire et j’ai rencontré des gens avec lesquels je me suis beaucoup amusé, dont Jean-Pierre Bacri. Alors mon aventure dans le Lot s’est terminée, je suis revenu à Paris avec d’un seul coup d’envie de découvrir d’autres auteurs de théâtre, de travailler autrement. On a beaucoup joué, presque 500 fois chacun “Cuisine et dépendances” et “Un air de famille”. Il y avait quelque chose de l’esprit de troupe qui revenait, même si je pense que Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui n’ont jamais voulu s’enfermer dans cette histoire-là.” Jean-Pierre Darroussin
C’est l’amusement, toujours, qu’il attend de ses partenaires de jeu : “Le spectateur a besoin de sentir que l’acteur s’amuse à souffrir, sinon c’est tout à fait indécent de regarder des gens qui souffrent vraiment. Il faut qu’il y ait cette connivence dans l’œil. Il faut qu’on sache qu’on est là pour vraiment prendre du plaisir. Si on arrive à communiquer ce plaisir, tout ce qui va être dit va être beaucoup mieux entendu et va pénétrer, pas forcément dans le cerveau, mais dans les pores de la peau pour ensuite être analysé. Les spectateurs, quand ils vont rentrer chez eux, vont repenser et vont ressentir des choses qui seront passées par ce vecteur du plaisir, de l’amusement qui est simplement notre boulot. Ça ne veut pas dire qu’on cherche forcément à faire rire. D’ailleurs, ce n’est pas lié à la rigolade, c’est simplement rester enfantin, curieux, rester disponible à chaque instant, d’être un bon boxeur, d’avoir les pieds campés. C’était James Cagney qui disait ça : ‘Qu’est-ce que de jouer la comédie ? C’est avoir les deux pieds dans la terre et puis dire la vérité.’ ” Jean-Pierre Darroussin
En 2006, Jean-Pierre Darroussin réalise son premier long-métrage, “Le pressentiment”, une adaptation du livre éponyme d’Emmanuel Bove. Ce film, sur le renoncement, lui permet d’évoquer sa propre expérience. “Le renoncement, que j’ai vécu à un moment donné en pensant faire autre chose que le métier d’acteur, je l’ai senti très régénérant. Donc j’ai fait ce film pour raconter ça : comment un individu, à travers le renoncement, se reconstruit autrement, arrive à changer de personnalité – même si dans la pièce que je joue, “Le Principe d’Incertitude”, je dis que les personnalités, ça n’existe pas, que ce ne sont jamais que la somme des choses que l’on fait et le chemin qui les relie entre elles, et que ça peut toujours changer – j’avais envie d’exprimer cela. Et puis, ce film racontait aussi un déclassement et l’histoire d’un transfuge, mais un transfuge dans l’autre sens : quelqu’un qui partait d’un milieu très bourgeois, très aisé même, d’une très vieille famille bourgeoise du XIXᵉ siècle et qui cherchait justement à se déclasser, mais pas dans un sens d’évolution et d’épanouissement social, dans le sens d’aller retrouver des choses simples, de redevenir un homme simple.” Jean-Pierre Darroussin
Théâtre : “Le Principe d’incertitude” mis en scène par Louis-Lo de Lencquesaing, avec Jean-Pierre Darroussin et Laura Smet, au théâtre Montparnasse, jusqu’au 11 décembre prochain.
Synopsis : “Dans ce monde d’incertitudes, qui peut prédire ce qui rapprochera ou éloignera deux êtres ? Quand Georgie, américaine délurée de 40 ans, et Alex, anglais discret de plus de 70 ans se rencontrent par hasard sur le parvis d’une gare internationale, leur vie s’en trouve bouleversée à jamais. A travers leur rencontre fortuite (ou pas…), Simon Stephens explore la manière dont notre perception des gens et des relations changent en fonction de ce que nous savons, de ce que nous voyons, et selon le point de vue duquel nous explorons les choses.”
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Film : “L’école est à nous” réalisé par Alexandre Castagnetti, avec Sarah Suco, Jean-Pierre Darroussin, Oussama Kheddam, Lili Aupetit… En salles le 26 octobre prochain.
Synopsis : “Virginie Thévenot, une prof de maths un peu spéciale, profite d’une grève générale dans un collège pour tenter une expérience hors du commun avec un petit groupe d’élèves. Elle prend un pari : leur laisser faire ce qu’ils veulent… Une étincelle qui va enflammer les esprits des ados, provoquer une petite révolution au sein du collège et bouleverser leur vie à tous.”
* Archive du metteur en scène Peter Brook, au micro d’Arnaud Laporte dans “Affaires Culturelles” sur France Culture, le lundi 08/02/2021.
* Le réalisateur Robert Guédiguian au micro d’Antoine Guillot dans “Plan large” sur France Culture, diffusé le samedi 23/11/2019.
* Jimi Hendrix – “The Star-Spangled Banner” Album “Live at Woodstock” (1970) – Label MCA
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