Sur le site de Pôle emploi, on recense environ 962 000 offres disponibles. Mais remplissent-elles les critères de conformité ? Si la proportion d’annonces mensongères varie selon les sources, un député et un syndicat pointent du doigt un contrôle insuffisant et l’ouverture de la plateforme aux sociétés privées.
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Le diable est dans les détails. Alors Hadrien Clouet y prête une attention maximale. À propos de Marc Ferraci, rapporteur du projet de loi relatif à l’assurance chômage, il ironise : « le gouvernement a peut-être choisi le seul député qui n’a aucun chômeur ou presque dans sa circonscription ». Puis il poursuit sur le nouvel élu des Français de Suisse : « Il a sans doute plein de qualités, mais sa désignation symbolise une orientation idéologique ».
Si le député LFI manie le discours politique, il reste un sociologue de profession, spécialiste du chômage et des politiques d’emploi. Une expérience universitaire qu’il met désormais au service de son action de parlementaire : le site Nosdéputés.fr lui décompte pas moins de 80 interventions dans l’hémicycle sur le fonctionnement du marché du travail. Mais voici un signe de l’époque : c’est d’abord grâce à son fil Twitter qu’il s’est fait remarquer.
Hadrien Clouet, 31 ans, y publie régulièrement des annonces relayées par le site de Pôle emploi, dont il dénonce le caractère immoral voire carrément illégal. « Il suffit de naviguer dessus à peine 10 minutes pour tomber sur une offre inacceptable », nous assure-t-il. Et avec son équipe de collaborateurs, il en débusque en cascade. Des exemples ? Auxiliaire de crèche, CDD de quatre jours ; Agent(e) d’entretien de nettoyage industriel, 20h sur 6 lieux différents, sans pause repas ; Gestionnaire support scolarité, CDD de 36 mois, sans aucun motif dérogatoire légitime.
👋 Bonjour, nous sommes le 13 octobre, le gouvernement veut forcer les chômeurs à accepter des postes inacceptables.
🥳Liesse dans le grand patronat, qui se déchaîne.
⚠️Découvrez aujourd’hui sur @pole_emploi: devenir un “super-héros du sourire” sous le SMIC ! pic.twitter.com/AWqONLcFve
Hadrien Clouet résume ainsi sa démarche : « Depuis plus de 10 ans, j’observe à quel point le marché du travail se dégrade. Et pourtant, lorsqu’on parle du chômage et de son indemnisation, on élude souvent cette question essentielle : au-delà même des critères légaux, à quelles conditions une offre d’emploi est-elle acceptable ? Car derrière la mythologie des privés d’emploi qui ne voudraient pas bosser, on souligne beaucoup moins la responsabilité des employeurs dans les tensions de recrutement », estime le député.
Outre « le manque de capacités humaines et la dégradation des conditions de travail à Pôle emploi », Hadrien Clouet dénonce une doctrine qui a chamboulé le rôle de l’organisme. « Avant la stratégie de Transparence du Marché du Travail (TMT) initiée en 2012, les offres de Pôle emploi étaient en concurrence avec les autres intermédiaires du marché. Depuis, la plateforme de Pôle Emploi s’est transformée en un agrégateur contraint de publier les annonces des sites privés. Mais en absorbant tout, on ingurgite forcément ce qu’il y a de plus pourri… Et ces offres privées ne sont pas assez régulées », regrette-t-il.
Une étude publiée par le Comité national CGT des travailleurs privés d’emploi et précaires (CNTPEP) lui donne raison. On y apprend que près de 90% des offres illégales proviendraient des plateformes numériques telles que Welljob, HelloWork ou Jobintree. Francine Royon, déléguée CGT à Pôle emploi Île-de-France, en tire cette conclusion : « Les offres les plus conformes au droit du travail, aux conventions collectives et aux qualifications sont celles déposées directement par Pôle emploi. Et malheureusement, ce sont les moins nombreuses. On devrait avoir le monopole », avance la syndicaliste. Pour l’instant, on en est loin : parmi les annonces répertoriées sur le site de Pôle emploi, seulement 20% sont publiées directement par l’organisme public après avoir été contrôlées, rapporte France 3.
Autres conséquences de ces failles de contrôle : elles exposent les demandeurs d’emploi aux escrocs en tout genre. Une enquête de Numerama, parue en décembre 2020, relatait le témoignage édifiant d’une « jeune femme », Fiona. Après avoir postulé pour un poste d’hôtesse d’accueil, elle s’était vue proposer lors de l’entretien… Une activité d’escort girl. Un cas loin d’être isolé au regard de « la faible sécurisation » de la plateforme de Pôle emploi, qui « permet à n’importe qui d’obtenir les CV de Français », jugeait alors le site d’actualité.
Mais afin de bien comprendre pourquoi, suivons un exemple. Côté « employeurs particuliers », pour consulter les profils, l’inscription ne prend que quelques minutes (nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse de résidence). Seul élément demandé et difficile à falsifier : le numéro de la carte Vitale – mais là encore, un numéro personnel suffit et aucun contrôle complémentaire n’est effectué. Idem côté « compte entreprise », où le numéro de SIRET pour s’inscrire est cible d’usurpation.
Du reste, le 13 septembre dernier, Pôle emploi précisait les modalités de ses vérifications auprès de l’AFP, qui s’effectuent « en s’appuyant sur l’intelligence artificielle (…) doublée d’un contrôle par un conseiller dédié entreprises ». Une politique interne, agrémentée par les signalements d’utilisateurs, qui aurait permis la suppression de « plus de 20 000 offres frauduleuses en 2021 ». Mais selon Hadrien Clouet, ce bilan n’est pas satisfaisant et d’autres actions complémentaires doivent être lancées : « Comme le réclame la CGT, une enquête pourrait être menée par la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes. Mais à postériori, l’inspection du travail devrait être aussi saisie sur le sujet » considère-t-il.
Soyez vigilants ! Lorsque vous participez à des sessions de recrutement, rappelle Pôle emploi, « Il ne faut jamais accepter de communiquer vos coordonnées bancaires ou effectuer un quelconque paiement sur place. Évitez également de communiquer un RIB. Soyez aussi prudents si on vous demande de produire des éléments concernant votre identité (carte vitale, permis de conduire, carte d’identité, passeport …) ».
Les annonces illégales ou très précaires ne sont pas nouvelles. Mais récemment, elles se sont retrouvées au cœur du débat. La raison ? Plutôt la cause : le dernier projet de réforme de l’assurance chômage. Car celui-ci prévoit, malgré l’opposition unanime des syndicats, un durcissement des conditions d’indemnisation et ouvre la voie à une modulation de l’assurance chômage « plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé », d’après les mots d’Emmanuel Macron. À titre d’exemple, en 2021, 86 % des offres déposées à Pôle emploi ont été pourvues. Est-ce un niveau satisfaisant ? Outre le taux de chômage, quels sont les indicateurs pour en juger ? Peut-on espérer d’un côté l’accroissement du nombre de propositions d’emploi et de l’autre la diminution des offres vacantes ?
Pour Pierre Gornadier, secrétaire général CNTPEP-CGT, la réponse à ces questions tient en une phrase : « Si les recherches d’un privé d’emploi sont appréciées par la conjoncture économique, de fait, on remet en cause ce qu’est le principe d’un droit en conditionnant la solidarité et on enfreint aussi le principe d’égalité de traitement ». Et le syndicaliste ajoute : « Cette réforme est encore plus scandaleuse si l’on tient compte de l’abondance des annonces précaires, mensongères et illégales ». En ce sens et comme chaque année, son organisation a livré une campagne afin de dénoncer les offres irrégulières de Pôle emploi. En 2022, elle en a épluché plus de 1900, et affirme sur cette base que 76 % d’entre elles sont illégales – le secteur du bâtiment et les missions d’intérim raflent la palme frauduleuse. L’opérateur conteste cette étude au périmètre « très restreint et pas représentatif », qui ferait « un amalgame entre qualité et légalité », mais reconnaît néanmoins que 5% des offres publiées sur son site sont non-conformes.
Naturellement, Hadrien Clouet conteste aussi le principe de modulation, dont il résume ainsi la dimension morale : « devoir constant, droit variable ». Il lui en supplante un autre : suspendre, à partir du moment où 1% du total des offres collectées sur le mois serait illégal, l’obligation pour les chômeurs d’accepter un emploi.
Le député insiste et développe : « Il faut inverser le discours. Les offres qui ne trouvent pas preneurs sont souvent indignes. Et puis il y a une confusion dans les termes : il est normal qu’un emploi soit vacant avant d’être occupé ! La question fondamentale reste l’accroissement du nombre d’offres de qualité. Certains employeurs se sont habitués à proposer des contrats très courts : ce n’est pas la mentalité des chômeurs qui a changé, mais celle des patrons » accuse-t-il.
Un constat partagé par Francine Royon de la CGT Pôle emploi, qui dénonce une pression mise sur les deux côtés du guichet. Pour les agents de l’institution, elle estime que « ces durcissements et une bonne qualité d’accompagnement ne sont pas compatibles : d’un côté on complexifie les calculs, de l’autre la politique du chiffre et les indicateurs de performance vont encore plus peser sur les conseillers, dont la relation avec les usagers s’est déjà fortement dégradée ». Chez ces derniers, elle observe depuis plusieurs années « une colère grandissante », mais surtout « une inquiétante détresse », qu’elle explicite par un chiffre dévoilé par RMC : +166%. Il correspond à la hausse des menaces de suicide de chômeurs auprès de leur agence Pôle emploi en Île-de-France, entre le premier semestre de 2019 et celui de 2021.
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