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Face au changement climatique, nous devons modifier nos modes de production et de consommation. Cette transition durable vers la sobriété se fera dans les meilleures conditions si chacun choisit d’y participer dès à présent. Analyse de Laurent Trulès et Tristan Fava, co-gérants du fonds Dorval European Climate Initiative.
Si l’approvisionnement de gaz russe est complètement coupé, les stocks européens pourraient ne pas passer l’hiver. Avec cet avertissement, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a jeté un froid lundi 3 octobre: nous devrons réduire notre consommation de gaz tout au long de la saison hivernale de 9% – voire jusqu’à 13% – par rapport à notre consommation moyenne au cours des 5 dernières années. Les experts jugent cet effort «crucial» si l’Europe veut rester en mesure de faire face à une vague de températures négatives après le mois de février 1.
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L’objectif ainsi fixé vient préciser les appels à la sobriété qui se multiplient depuis l’été dernier. Les dirigeants d’EDF, Engie et TotalEnergies ont été les premiers à donner l’alerte, dans une tribune commune publiée en juin 2, rejoints quelques jours plus tard par 83 autres dirigeants réunis au sein de la Convention des entreprises citoyennes 3. Ce nouvel argumentaire en faveur d’une modification profonde et durable de notre mode de consommation dépasse la question conjoncturelle de la hausse des prix de l’énergie pour aborder la dimension climatique. Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 4, sans lequel le dérèglement climatique deviendrait ingouvernable, la sobriété est un maître-mot incontournable. Le Haut conseil pour le climat est formel sur ce point 5.
Dès la rentrée, le Président de la République Emmanuel Macron a exhorté les Français à être au «rendez-vous» de la sobriété, en appelant à la solidarité européenne pour faire face à la crise énergétique 6. Pour cela, nous devrons réduire nos consommations individuelles de 10% cet hiver – indépendamment d’autres actions collectives immédiates et, quant à elles, réglementées (plan gouvernemental Borne). Ce n’est pas la première fois que les Français sont invités à modérer leur consommation énergétique. En effet, chaque crise énergétique s’est accompagnée d’un effort collectif pour économiser l’énergie, comme la «chasse au gaspillage» ouverte après le choc pétrolier de 1973. Un demi-siècle plus tard, la guerre en Ukraine provoque une flambée des prix «comparable en intensité, en brutalité» à cet événement économique majeur, selon le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, en mars dernier.
La mobilisation collective pour y répondre se doit d’être de même ampleur. Mais sommes-nous capables de cette nécessaire sobriété? En 1974, il suffisait d’un décret pour limiter à 22°C la température des logements et lieux de travail, ou pour imposer l’arrêt des émissions de télévision à 23 heures. En 2022, notre rapport à la consommation a changé: renoncer à cet acte du quotidien peut être ressenti comme une privation de liberté, voire un déclassement. Or, la sobriété implique des évolutions dans nos actes de consommation, l’évitement des dérives liées à notre (sur)consommation ou encore une planification accrue de nos infrastructures et de nos sociétés. Ces chemins vers la sobriété sont accessibles, à une condition toutefois: le choix de s’y engager doit être partagé par tous.
L’expérience de la sobriété peut être douce ou brutale, selon qu’on y adhère et la mette en œuvre ensemble dès maintenant, ou qu’elle nous soit imposée. Précisément, il existe 4 définitions de la sobriété. La première, et la plus organisée, est la sobriété structurelle: celle qui est planifiée par le régulateur (par exemple, instaurer des pistes cyclables ou développer des zones à accès restreint pour les voitures pour impulser l’essor des mobilités douces en ville).
La sobriété dimensionnelle, qui consiste à adapter l’objet à son usage, doit également être accompagnée par le législateur. Ainsi, les primes à la conversion vers les véhicules électriques ou les malus à l’achat de véhicules polluants sont des outils de sobriété dimensionnelle du trafic routier en ville. En effet, elles encouragent les particuliers à rompre avec leurs habitudes d’achat automobile, et à opter pour un véhicule plus adapté aux trajets quotidiens (domicile-travail) souvent d’un seul passager que l’est un SUV capable de déplacer plusieurs tonnes de matériel (et pourtant fréquent dans les rues de nos agglomérations).
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La troisième voie est celle de la sobriété d’usage. Nous avons tous dans nos poches des «téléphones portables» qui nous servent à tout, sauf à téléphoner (ou très rarement). Or, il appartient à chacun de maîtriser la multiplication des usages qu’il fait de son appareil. Par exemple, la jeune génération (15-24 ans) passe en moyenne 3h41 par jour sur son téléphone, dont 1h à regarder des vidéos (27% du temps) 7. Or, le visionnage des vidéos en ligne représente 80% du trafic d’internet, et émet 300 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an 8. Dans ce cas, réglementer a ses limites et nous renvoie à une sobriété d’usage, illustrant un choix individuel éclairé.
Enfin, la sobriété conviviale est la façon la plus douce de consommer mieux tout en gardant la variété de choix qu’affectionnent les consommateurs. Les solutions de mobilité partagée (covoiturage, location de véhicules entre particuliers…) illustrent bien cette sobriété conviviale: le consommateur réduit son budget transports, le trafic routier est allégé, le volume de CO2 émis par passager est réduit, tout comme la consommation de carburant à l’échelle du pays. La sobriété conviviale n’est aucunement contrainte, elle n’impose aucune privation ou limitation de la consommation, voire -dans certains cas- elle permet de consommer davantage.
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Dans tous les cas, la sobriété implique un engagement collectif, car les actions individuelles -bien que nécessaires- ne suffisent pas. Elle demande d’être organisée et structurée. En effet, les changements d’ampleur (repenser le système énergétique à l’échelle d’un pays par exemple) ne s’opèrent pas en deux ou trois mois. Une planification de cette action collective est nécessaire. Or, plus on tarde à agir, plus la pénibilité de la transition est forte… jusqu’au rationnement. L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a ainsi défini quatre scénarios vers la transition durable9 (et la neutralité carbone à l’horizon 2050), plus ou moins désirables. Le premier repose sur l’avènement d’une «génération frugale», capable d’atteindre cet objectif grâce à la seule sobriété. Concrètement, ce scénario traduit un choix collectif de réduire de 70% sa consommation de viande, de diminuer de 30% la surface moyenne des maisons individuelles neuves, ou encore d’utiliser 70% des matières premières de base (acier, verre, papier-carton…) issues du recyclage. Le second scénario est bâti sur les coopérations territoriales, permettant d’allier sobriété (diviser par deux sa consommation de viande, parcourir 17% de kilomètres en moins par personne par an par rapport à 2015…) et efficacité (rénover 8 logements sur dix existants en 2015 au cours des trente prochaines années, utiliser 80% de matières premières issues du recyclage…).
Le troisième scénario est permis par l’essor des technologies vertes. Dans celui-ci, la consommation de viande en 2050 diminue de 30% seulement, et plus du tiers des logements ont été construits après 2015. En effet, de nouvelles technologies se déploient et permettent de réduire les émissions de CO2. Cela implique toutefois d’orienter dès à présent des financements massifs vers l’innovation verte et le déploiement des solutions les plus efficaces.
Le dernier scénario, dit du «pari réparateur», permet de conserver le mode de vie le plus semblable à celui du XXe siècle (consommation de viande réduite de 10%, 45% de matières premières recyclées…). Pour y parvenir, acheter des produits réparés ou de seconde main plutôt que des appareils neufs doit devenir la norme. Cette nouvelle habitude de consommation allège la pression sur l’environnement et sur le porte-monnaie. Par exemple, un smartphone reconditionné a en moyenne 8 fois moins d’impacts environnementaux qu’un appareil neuf, et un coût inférieur de 75% 10. L’ADEME identifie plusieurs autres piliers pour remporter ce «pari régénérateur»: l’électrification des moteurs, la production d’énergie issue de la biomasse et de l’hydrogène, la reforestation et le développement de technologies pour capter et stocker le CO2… Ces technologies existent actuellement. Mais les financements qu’elles captent sont insuffisants face aux enjeux et à l’urgence de leur déploiement à l’échelle de l’économie mondiale.
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Ce «pari réparateur» est à portée de main, si nous choisissons collectivement de le relever, en commençant dès à présent. Informer les citoyens des enjeux et des objectifs est un préalable indispensable à cette décision, qui se doit d’être pleinement partagée par tous. Pour cela, des ressources communes sont souhaitables: une «météo du climat» diffusée chaque jour sur des médias grand public, ou encore une formation au développement durable pour tous les décideurs politiques ou en entreprise (une première initiation a récemment été dispensée à l’Assemblée nationale).
De son côté, l’État a le pouvoir de créer une réglementation favorable au développement des activités et secteurs clés de ce scénario vers un futur durable, pour protéger les entreprises les plus sobres et ériger leur performance extra-financière en norme de marché. Beaucoup d’entreprises se montrent proactives quand des intérêts financiers sont en jeu.
Rien ne sert d’attendre un accord mondial pour agir: l’Union européenne a la dimension suffisante pour organiser les conditions de la transition durable pour ses 447 millions d’habitants. Ainsi, la taxation carbone générera 70 à 90 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne, qui pourront être redistribués aux ménages les plus modestes, facilitant une transition juste. De plus, les actions pour le climat se traduiront par des bénéfices à l’échelle locale: une réduction de la pollution visible, une biodiversité préservée, reconstitution des stocks de poisson pour la pêche… En somme, elles amélioreront les conditions de vie, mais aussi l’espérance de vie (en limitant les morts liées à la pollution).
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Enfin, chaque épargnant a également le pouvoir de mettre en œuvre un scénario de sobriété souhaitable et une transition durable douce, en choisissant les placements responsables (label ISR , label Greenfin12…). Il peut ainsi bâtir l’avenir en orientant son argent vers des entreprises qui mettent au point les technologies vertes d’avenir. Les opportunités d’investissement se présentent dès à présent, notamment en Europe. Investir responsable est donc un acte pour déterminer nos libertés futures (conditions de vie, consommation…) qu’un choix patrimonial de raison.
Pour en savoir plus
(1) Dans son rapport trimestriel présenté le 3 octobre, l’AIE explique que «sans réduction de la demande de gaz et si l’approvisionnement russe est complètement coupé, les stockages seraient remplis à moins de 20% en février, en supposant un niveau élevé d’approvisionnement en GNL» (Gaz Naturel Liquéfié, provenant essentiellement des États-Unis, NDLR) et «à près de 5% en cas de faible approvisionnement de GNL». Dans ce second cas, il faudra réduire notre consommation de 9% par rapport à sa moyenne sur 5 ans pour préserver un quart des stocks jusqu’à fin février ; et de 13% pour en préserver un tiers à cette même échéance.
(2) «Le prix de l’énergie menace notre cohésion» par les dirigeants d’EDF, Engie et Total (Le Journal du Dimanche, 25 juin 2022).
(3) La tribune intitulée «Faire de la sobriété énergétique un choix collectif» a été signée par 84 dirigeants (dont Jean-Bernard Lévy, d’EDF) lors de la clôture de la première année de travaux de la Convention des entreprises pour le Climat (Le Journal du Dimanche, 2 juillet 2022).
(4) Objectif cité dans le troisième volet du rapport 2022 du GIEC, publié le 4 avril 2022.
(5) Haut conseil pour le climat, 4e rapport annuel, 29 juin 2022. «Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions».
(6) Communiqué de presse de l’Élysée, 5 septembre 2022. «Conférence de presse du Président de la République sur la situation énergétique en Europe».
(7) Médiamétrie, novembre 2021. «Les jeunes toujours plus accros à leur smartphone?».
(8) The Shift Project, juillet 2019. «Climat: l’insoutenable usage de la vidéo en ligne. Un cas pratique pour la sobriété numérique».
(9) ADEME, Les futurs en transition, 2021. «Scénarios».
(10) ADEME, Consommer autrement, 2022. «Pourquoi préférer un smartphone reconditionné?»
(11) Le label ISR est attribué à un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises qui contribuent au développement durable dans tous les secteurs d’activité. Créé par le Ministère des Finances, ce label public vise à rendre plus visibles les fonds d’investissement socialement responsable (ISR) auprès des épargnants. Pour obtenir le label ISR, l’organisme de certification effectue un audit pour s’assurer que les fonds répondent à un ensemble de critères de labellisation. Pour plus d’informations sur la méthodologie, veuillez consulter le site www.lelabelisr.fr.
(12) Créé par le Ministère de la Transition écologique, ce label public garantit la qualité verte des fonds d’investissement et s’adresse aux acteurs financiers qui agissent au service du bien commun grâce à des pratiques transparentes et durables. Pour obtenir le label Greenfin, l’organisme de certification effectue un audit pour s’assurer que les fonds répondent à un ensemble de critères de labellisation. Pour plus d’informations sur la méthodologie, veuillez consulter le site https://www.ecologie.gouv.fr/label-greenfin#e0».
Dorval Asset Management gère le fonds Climat Dorval European Climate Initiative, labellisé Greenfin et ISR
Les exemples cités reposent sur la base d’analyses propres à Dorval AM en date du 03/10/2022. Ils ne constituent pas un engagement ou une garantie. Cette dernière se réserve la possibilité de faire évoluer ses analyses.
DORVAL ASSET MANAGEMENT
Société Anonyme au capital de 303 025 euros – RCS Paris B 391392768 – APE 6630 Z – Agrément AMF n° GP 93-08 – Siège social: 1 rue de Gramont – 75002 Paris – Tél: (+33) 01.44.69.90.44 – www.dorval-am.com
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