Dans le cadre de sa campagne de septembre, Stop Suicide a organisé une soirée spectacle et débat, mercredi dernier, à Genève. Et listé les a priori à combattre
Non, parler de suicide à un jeune en détresse ne va pas l’inciter à passer à l’acte. «Au contraire, évoquer clairement la problématique avec lui pourra le soulager et le pousser à exprimer son mal-être.» Exit, donc, le spectre de la contagion souvent brandi pour censurer le thème.
Non, non plus, le suicide d’un jeune n’est pas un choix froid, résolu, impossible à contrer. D’abord, l’individu concerné veut davantage échapper à une immense souffrance que réellement mourir. Surtout, il est ambivalent jusqu’au bout et le geste fatal peut être à tout moment suspendu.
Dès lors, il ne faut pas, par pudeur, peur de la maladresse ou sentiment d’impuissance, livrer la personne à elle-même. Jamais. Il est nécessaire de la faire parler, la faire bouger, l’occuper avec une activité (promenade, cuisine) lui permettant de se sentir entourée si elle ne souhaite pas parler, car le sentiment d’être seule au monde «avec un poids insupportable à l’intérieur» est souvent l’ultime déclencheur.
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Telles sont les consignes sans ambiguïté que Stop Suicide a transmises mercredi dernier à travers Nous, un spectacle interactif et un débat organisés aux Salons, à Genève. L’association genevoise, active dans la prévention depuis vingt-deux ans, a commencé par donner les derniers chiffres sur la question et ils ne rassurent pas.
Si le taux général de suicide a baissé en Suisse en 2020 (972 suicides contre 1018 en 2019), il a augmenté chez les 15-29 ans: 138 jeunes ont mis fin à leurs jours, cette année-là, contre 125 l’année d’avant. Surtout, il y a eu sept suicides chez les moins de 15 ans (six filles, un garçon) contre deux en 2019 et zéro en 2018. «C’est ce chiffre qui est le plus préoccupant, d’autant que les effets néfastes de la pandémie sont attendus pour 2021, voire 2022», s’est inquiétée Fabienne Bugnon, marraine de l’association.
Dès lors, redoublons d’efforts dans la prévention et la sensibilisation, ont lancé les orateurs, dont Christina Kitsos, conseillère administrative genevoise, chargée du Département de la cohésion sociale et de la solidarité. Invitée à écouter les vœux d’élèves de 10 à 12 ans dans le cadre de la Journée des droits de l’enfant en novembre dernier, la politicienne a été frappée par leurs demandes.
«D’une part, ils souhaiteraient avoir un lieu à eux où ils pourraient parler à des psys sans que l’école ou leurs parents soient au courant. D’autre part, ils aimeraient trouver une manière d’afficher sur eux leur émotion du moment, de sorte que les autres puissent voir ce qu’ils ressentent sans avoir besoin de l’exprimer», a restitué la magistrate.
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Deux requêtes en effet insolites qui font écho au spectacle mis en scène par la compagnie de théâtre engagé Anou (pour «A nous de jouer») emmenée par l’intrépide Laure Bacchiocchi. Là aussi, nouvelle idée reçue balayée par l’histoire douloureuse de Mathilde et Mathieu, qui se joue en scène: en 2021, aller voir un psy n’est toujours pas une formalité. «Je ne suis pas fou!», s’écrie Mathieu lorsque sa meilleure amie et sa sœur l’invitent à consulter, car, totalement angoissé, le jeune homme confie ne plus avoir le sentiment d’«être acteur de sa vie».
Dans la salle, on se pince tellement on a l’impression que les jeunes vont chez le psy comme ils vont chez le dentiste, mais ce n’est sans doute vrai que pour une partie privilégiée de la population. D’ailleurs, la campagne 2022 de Stop Suicide est justement consacrée à «la déstigmatisation des soins en santé mentale», car, note le directeur, Raphaël Thélin, «de nombreuses personnes ont encore des a priori sur les psys et les thérapies, et cette prévention a pour effet de décourager les individus en difficulté à chercher de l’aide».
A cet égard, Raphaël Thélin salue le fait que le spectacle Nous, qui montre comment deux jeunes en miroir sortent de leurs idées noires grâce à leurs pairs (les parents sont non seulement absents, mais évoqués comme de vrais boulets!) ait été choisi par le Département de l’Instruction publique de Neuchâtel pour être proposé à tous les élèves du secondaire. «Cette systématisation est très bénéfique, car, au-delà des moyens financiers, nous manquons souvent d’accès aux jeunes concernés. A Genève, par exemple, l’association Stop Suicide est sollicitée par les enseignants les plus motivés, mais n’est pas un partenaire institué du DIP.»
Petite pique à laquelle Pascal Freydier, directeur du Service de santé de l’enfance et de la jeunesse, présent dans la salle, a répondu en indiquant que le DIP genevois multipliait les initiatives visant à «renforcer les compétences émotionnelles des jeunes, qui sont autant de facteurs de protection».
«Genève est d’ailleurs, après le Tessin, le canton de Suisse où les jeunes se suicident le moins», a informé Aglaé Tardin, médecin cantonale invitée au débat. Elle a poursuivi en observant que si le covid avait en effet augmenté les idées sombres des jeunes, il leur avait aussi permis de développer «leur capacité d’introspection et leur empowerment». «Dans le même registre, quand on dit que 84% de jeunes dans le monde souffrent d’éco-anxiété, ne pourrait-on pas plutôt dire qu’ils manifestent de l’éco-objectivité?», questionne la médecin, soucieuse de rendre à cette population sa capacité de mobilisation.
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Dans le bal des idées reçues, celle-ci encore: la Suisse n’est pas le pays du monde où l’on se suicide le plus, ce triste record étant détenu par le Lesotho, avec 87,5 cas pour 100 000 habitants. «Avec 10,4 cas, notre pays se situe dans la moyenne européenne qui est de 11,7 cas», informe Stop Suicide. Autre bonne nouvelle, le taux de suicides chez les jeunes, qui a flambé dans notre pays dans les années quatre-vingts, a été divisé par trois depuis.
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Cela dit, avec ses 138 cas en 2020, cet acte reste la première cause de mortalité des 15-29 ans. Enfin, 73% de ces jeunes suicidés sont masculins, alors que le taux de tentatives de suicides répond au ratio inverse, avec, environ, 75% de tentatives féminines non réalisées. Une inversion due, notamment, à la différence de méthodes utilisées pour se donner la mort.
Ce qu’il faut retenir de la soirée? L’importance du soutien des pairs et le droit d’être soutenu. «Il faut que chaque enfant grandisse avec l’idée qu’il a le droit de demander de l’aide, que ce n’est ni une honte, ni un poids», ont répété plusieurs voix, émues et émouvantes, de l’assemblée.
Vous avez besoin d’aide ou de simplement parler? Contactez les numéros suivants:
– Pro Juventute (écoute et conseils pour les jeunes): 147
– La Main Tendue (écoute et conseils pour les adultes): 143
La pièce Nous est à voir le 16 octobre, à 19h, à l’ UNIL, à Lausanne; les 5 et 11 novembre, à 20h, à l’UNIGE et le 6 décembre, aux HUG, à Genève.
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