Le chiffre est tombé comme un couperet : le taux d’engagement au travail des Français s’élève à 6 % en 2021 selon le rapport “State of the Global Workplace” de Gallup. Les moins investis d’Europe. Pire, 54 % des personnes interrogées pour l’enquête réalisée par Les Makers-IFOP sur la relation des Français au travail, perçoivent leur travail comme une contrainte.
Des indicateurs dans le rouge (voire très rouge) pour les entreprises qui peinent à recruter et à fidéliser des salariés toujours plus exigeants. Néanmoins, faut-il en conclure que l’immense majorité des actifs est désengagée ?
Ces chiffres décapants ont l’avantage d’alimenter le débat, aussi passionnant que complexe, sur le “Travail”. Grande démission, “quiet quitting”, “quick quitting” ou épidémie de flemme, tous ces phénomènes conjugués semblent révélateurs d’une crise de sens, d’utilité voire d’envie. Ils exhortent les acteurs économiques de repenser les leviers d’engagement post-Covid pour bâtir un nouveau pacte social, plus enthousiasmant et durable. Vaste programme.
Différents mécanismes peuvent expliquer ce relâchement conjoncturel. Le rapport Gallup de 2022, d’abord, met en évidence qu’il serait lié au traitement injuste au travail, suivi par une charge de travail importante, une communication peu claire de la part des responsables et un manque de soutien managérial. En complément, une autre enquête menée par BVA / Club media RH explique que la première raison des démissions en 2021 est “l’épuisement ou le manque de soutien dans mon travail”. Avant le salaire et l’équilibre vie privée/vie professionnelle.
« Cette situation est souvent due au manque de reconnaissance accordé aux salariés. Les managers sont attendus sur la partie opérationnelle, or il faut aussi prendre en considération le volet relationnel », souligne Faustine Duriez, CEO de HumanSide.io. Si 45 % des salariés font “juste ce qu’il faut” au travail, les raisons du décrochage semblent découler de dysfonctionnements ou désalignements organisationnels, managériaux et culturels. Les salariés souhaitent plus : « Le travail doit combler leur besoin de sens : il existe une soif d’alignement entre identités personnelle et professionnelle. Toute dissonance leur semble de plus en plus insupportable », selon Christophe Hébert, CEO de Shappers, un startup studio.
« Donner le choix, cela signifie les questionner régulièrement sur leurs ambitions et envies professionnelles », insiste Christophe Hébert. Il s’agit d’organiser des feedbacks réguliers avec chaque collaborateur pour « expliciter le sens singulier à chacun et voir s’il est toujours aligné avec celui de l’entreprise : dès l’embauche, puis tout au long du parcours salarié ». Pour comprendre les zones de désalignement, Ignition Program, cabinet spécialisé dans le recrutement, a inventé un baromètre d’alignement professionnel : un questionnaire scientifique inspiré du modèle de Schwartz (2006) et du questionnaire de valeurs proposé par Rokeach (1973). « Nous le lançons annuellement auprès de nos salariés pour disposer d’une vision globale de l’engagement. Puis, entre managers et managés, ils sont invités à s’interroger sur les points de désalignement spécifiques afin de trouver des solutions communes », explique Violette Mercherz, VP Conseil RH & Formation. Et côté solutions ? « Certaines entreprises sont très innovantes et offrent aux collaborateurs des trêves professionnelles en startups afin de les laisser expérimenter d’autres environnements », souligne Christophe Hébert. Il existe aussi le mécénat de compétences ou la possibilité de travailler pour un autre organisme un jour par mois, comme la néo-banque Shine.
Pour nourrir la reconnaissance individuelle, les salariés ont besoin de sentir qu’ils évoluent selon Anne Baumgartner, DRH en mission chez Dailymotion. « Le développement des compétences, soft et hardskills, permet de muscler l’employabilité. Quant à la mobilité interne, une évolution régulière permet à chacun de mieux se projeter en interne ». Autre alternative intéressante : le job crafting qui a vocation à faire évoluer régulièrement la fiche de poste afin de co-construire, avec le salarié une trajectoire sur-mesure. Une méthode de talent management utilisée au sein d’Ignition Program : « Nous proposons régulièrement aux personnes, qui en ressentent le besoin, un moment d’exploration professionnelle. Nous les aidons à formaliser ce qu’elles souhaitent changer dans leur job actuel et les sujets sur lesquels elles veulent davantage se positionner. Toujours en adéquation avec les ambitions de l’entreprise », explique Violette Mercherz.
« Ne réfléchissons plus en termes de rétention, mais de motivation. Les carrières sont beaucoup moins linéaires : les formes d’emplois sont multiples et les temps au sein d’une même entreprise plus courts », explique Calixte Bonnet Saint Georges, DRH en mission chez Clipperton, banque d’affaires spécialisée tech. La période, davantage furtive au sein de l’entreprise, doit donner envie aux salariés de s’investir pleinement. « Chez Clipperton, les rétributions sont variées et très avantageuses pour adresser toutes les catégories de salariés : crèche, bonus, récompenses de la performance… Les événements (“offsite”) et moments conviviaux sont assez exceptionnels afin de remercier l’investissement de chacun ».
Christian Bodin disait « Vivre poétiquement, c’est essayer d’avoir une tenue de langue et d’âme qui réenflamme la vie » : peut-être est-ce une inspiration à transposer au contexte professionnel afin de “réenflammer” le travail ?
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